dimanche 19 août 2012

Le Maître Wul Al Çediq


Mohamed Abdallahi Wul Al Çediq n’est plus depuis ce matin. Je l’ai appris par Shaykh Ahmed Mezid Wul Abdel Haq, l’une de ces sommités du savoir islamique de chez nous. Il savait tout le respect que je vouais pour l’homme. Il n’y a pas longtemps, je lui demandais de m’accompagner pour le voir chez lui après tant d’années.
C’est que Wul Al Çediq a enseigné au collège de garçons de Nouakchott, la classe où j’étais entre 73 et 75. Il enseignait l’Instruction morale, civique et religieuse (IMCR), une matière qui faisait son introduction dans le système éducatif mauritanien, après avoir été réhabilitée comme enseignement originel. Cette réhabilitation participait à l’option «indépendance culturelle», axe essentiel de la fameuse trilogie de l’époque (indépendance politique avec la révision des accords avec la France, indépendance économique avec la nationalisation des ressources et indépendance culturelle avec l’arabisation et l’introduction des sciences religieuses dans le système éducatif).
La matière était détestée par les élèves qui y voyaient une exigence de plus d’efforts. En plus du mépris qu’on affichait à l’époque à tout ce qui était mauritanien, la mauritanisation du corps enseignant étant en cours, les élèves avaient plutôt tendance à déprécier l’enseignant mauritanien. Une attitude idiote certes mais qui expliquait largement les difficultés que devaient affronter les pionniers comme Shaykh Mohamed Abdallahi Wul Al Çediq, mais aussi d’autres qui ont eu à enseigner en ces moments-là et auxquels je rends hommage ici : Kane N’Diawar, Mohamed Ould Messaoud, Khadi Mint Cheikhna, El Bou Wul Awfa et j’en passe. A travers eux, c’est toute une génération d’enseignants qui ont participé à la formation de générations entières et à la mise en œuvre d’une politique éducative qui a donné un moule, un creuset… à l’époque…
 Wul Al Çediq fait partie de ces gens-là qui ont énormément apporté à la Mauritanie et aux Mauritaniens, toutes générations confondues. Je garderai cette transcription du nom qui donne la dimension «vérité» (al çedq) à son nom. Une valeur qu’il voulait cultiver chez nous en nous obligeant à dénoncer nous-mêmes quand quelqu’un perturbait le cours. Il ne demandait jamais aux élèves de dénoncer le fauteur mais faisait en sorte que celui-ci se fasse connaitre lui-même. Et comme cela n’était suivi d’aucune sanction méchante, le fauteur finissait toujours par culpabiliser et par se retirer du groupe des perturbateurs. Le dernier acte de sabotage dans la classe fut l’œuvre du plus méchant d’entre nous, celui qui trouva malin de tordre l’un des pieds du siège sur lequel s’asseyait le professeur. La chute produite ne fit rire personne. Et contrairement à l’éclat de rire attendu, ce fut une sourde désapprobation. Depuis ce jour, je ne me souviens pas que l’un des élèves de la classe a tenté un quelconque coup pour déranger le cours de Wul Al Çediq.
Je le raconte pour dire comment un être aussi frêle, aussi doux, donnant l’air d’être faible a pu imposer son ordre, sa carrure, sa loi à des adolescents un peu fous, un peu espiègles, très insouciants et peu responsables. Sans faire intervenir l’administration, sans jamais punir, au bout de quelques semaines, il réussissait là où tous les autres enseignants avaient échoué : son cours était suivi par l’ensemble des élèves qui lui vouaient un respect évident.
Le savoir de Wul Al Çediq était communiqué sans grands efforts parce qu’il venait de tout près. Il n’avait pas besoin de le maniérer pour le compliquer, il coulait à flots. Sans laisser son jeune auditoire au bord de la route. Il rapprochait les choses en nous taquinant sur nos origines sans jamais offenser, sur le «riz sec» que les uns ont mangé aujourd’hui, le «’aysh» que les autres ont mangé la veille.
Les leçons qu’il prodiguait n’étaient jamais oubliées quand elles sont assimilées. Et pour l’élève que je suis, plus de quarante ans après, j’ai toujours en mémoire trois choses de lui :
  1.  La diction que je n’ai retrouvée nulle part ailleurs que chez les grands érudits de notre espace, une diction qui se perd avec les disparitions successives d’éminences comme Wul Addoud, Wul Bouçayri… Rappelez-vous ces voix et la manière de prononcer les mots, les intonations, les accents… uniques pour chacun… mais avec un fonds commun et c’est ce fond commun qui disparait sous les coups de la mondialisation.
  2. La calligraphie : Wul Al Çediq avait certainement un don extraordinaire, celui d’aligner les textes sur le tableau avec une rigueur extraordinaire et une beauté tout aussi pareille. De bout en bout sur le tableau. On hésitait parfois à effacer le tableau après un cours de Wul Al Çediq ; tellement c’était beau à voir…
  3. La simplicité qui dicte le respect. Pas besoin de muscles, pas besoin d’apparat pour se faire respecter. Dans la cour ou dans la classe, sa seule apparition faisait baisser les voix en disciplinant un espace fait de folies et d’insouciances…
… Je rends hommage ici à cet enseignant qui a finalement été l’un des géants du savoir religieux de ces contrées et dont la notoriété l’a amené à exercer dans le Conseil de l’Iftaa (fatwa) aux Emirats Arabes Unis. Ce géant a fini sa vie parmi nous, à côté de nous, en toute humilité, sans jamais nous avoir demandé de le célébrer, de le consacrer, de lui rendre ce que nous lui devons : une immense reconnaissance.

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