Pour
comprendre d’où l’on vient, nous n’irons pas loin, juste en juin 2005. Le 4
juin 2005, une Sariya du Groupe salafiste de combat et de prédication
(GSPC), composée d’Algériens, de Mauritaniens et de Nigériens, attaque la base
militaire de Lemghayti dans l’extrême nord-est mauritanien. C’est le lendemain
que la nouvelle est connue par l’intermédiaire d’un commerçant pratiquant le
trafic dans la région. Cette partie de la Mauritanie devenant une
plaque-tournante du crime organisé, une sorte d’espace vital pour les groupes
qui avaient déjà fait main-basse sur le Nord malien.
La
première réaction des autorités est de pourchasser les assaillants. Problème :
aucune unité de l’Armée n’est assez préparée pour mener les opérations. On fait
appel officiellement aux groupes d’affaires. L’un d’eux finance l’équipement, l’autre
la motorisation, un autre la logistique… Si bien qu’un millier d’éléments de
notre Armée sont mobilisés et envoyés en terre inconnue, le plus loin de leurs
bases arrières… Heureusement que quand ils sont confrontés aux misères de l’éloignement
et de l’impréparation, le coup d’Etat du 3 août était déjà en marche.
La
période de transition qui s’ouvre à partir du 3 août 2005 a d’autres priorités
que la remise à niveau de l’Armée. Même si c’est une junte qui est au pouvoir,
elle ne pense pas tout de suite à l’état de déconfiture des forces armées. Et quand
vient le régime civil d’avril 2007, l’attitude est plutôt à la méfiance.
Depuis
le 10 juillet 1978, date du premier coup d’Etat, on a toujours pensé en haut
lieu que la première menace pour un pouvoir venait de l’Armée. La longévité du
régime de Ould Taya s’explique en partie par le lancement d’une politique de
sape qui a visé à détruire la force de frappe de notre Armée, à diminuer ses
capacités opérationnelles et défensives, et à détruire le moral des troupes et
de l’encadrement profondément clochardisé.
La
crise politique dont l’issue fut le coup d’Etat du 6 août va donner une idée au
GSPC devenu depuis Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) : la Mauritanie
est encore une fois, comme du temps de la guerre du Sahara, perçue comme le
maillon faible sur lequel toutes les pressions doivent être exercées pour le
faire tomber.
15
septembre 2008, en plein Ramadan, une unité de l’Armée tombe dans une embuscade
à Tourine : une douzaine de morts qui furent mutilés par les assaillants. La
décision politique est alors prise. Les dirigeants du pays sont conscients que
c’est un chantier qui ne peut attendre.
Le
général Mohamed Ould Cheikh El Ghazwani, nommé quelques mois avant à la tête de
l’Etat Major national par le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, se voit
investi de la mission de réorganiser les troupes. Fortement soutenu par une
volonté politique déterminée, il engage une profonde réforme qui aboutit à la
création d’unités combattantes spécialisées dans la lutte contre le terrorisme.
Utilisant
les mêmes moyens et les mêmes méthodes que l’ennemi (terroriste), les Groupes
spéciaux d’intervention (GSI) font rapidement leurs preuves. Mobilité,
efficacité, rapidité, puissance de feu… tout est là pour rendre plus
efficientes les interventions de l’Armée mauritanienne. Une Armée qui devait d’abord
recouvrer le contrôle de son territoire, de tout son territoire. Pour la
première fois, l’Armée arrivait à Aïn Bintili où aucune force ne s’est rendue
depuis ce fameux 16 février 1976 où les attaques du Front Polisario avaient
fait ravage tuant quelques-uns de nos valeureux hommes dont l’officier
Soueydate Ould Wedad commandant la place. Des bases furent installées en plein
désert et l’on reprit rapidement le contrôle de tout le nord-est mauritanien.
Le
12 juillet 2010, l’Armée mauritanienne décime une unité AQMI qui marchait sur
la Mauritanie. S’en suivirent les épisodes de Wagadu, les attaques repoussées à
Bassiknou, à Nouakchott et ailleurs. Mais surtout les coups portés à AQMI dans
ses fiefs du Nord malien. Ce regain d’activité et de combativité permettait
dans un premier temps de faire changer la peur de camp : désormais, ce
sont ces groupes qui craignent l’Armée mauritanienne et non le contraire. Cela permettait
aussi de sécuriser le pays.
Si
bien que quand arrive la crise malienne, la Mauritanie est tranquille parce qu’elle
peut assurer le respect de ses frontières et la sécurité de ses citoyens. AQMI
évitant de donner le prétexte à l’Armée mauritanienne d’intervenir dans une
guerre, certes déterminante pour la région, mais sans menace directe pour la
stabilité du pays tant que les limites qu’elle a fixées à l’ennemi sont
respectées.
Après
cette refondation, la réforme a abouti à la création d’un Etat Major national
des Armées et de trois Etats Majors annexes : Armée de terre, de l’air et
Marine.
Nous
sommes loin du temps où le concours des privés était sollicité pour mobiliser
les hommes, du temps où le territoire national était un point de passage pour
le crime organisé, où la Mauritanie était sous-estimée en tant que pays
souverain, loin du temps où les promotions au sein de l’Armée se faisaient
suivant les accointances, du temps où le contrôle des consciences était de
rigueur (les résultats des bureaux de l’Armée indiquent une totale liberté de
choix), loin du temps où l’on croisait des officiers démunis, mal dans leurs
tenues, réservés de peur de subir l’arbitraire qui pouvait s’abattre à n’importe
quel moment et pour n’importe quoi…
Sivis parcem para bellum (qui veut la paix
prépare la guerre) disaient les Latins. Pour notre cas, on imagine mal comment
aurait été la Mauritanie aujourd’hui si les efforts de guerre entrepris à
partir de 2009 n’avaient pas été faits…