mercredi 29 août 2012

Les mercredis de MP


«Mauritanie Perspectives» est un think thank qui regroupe des cadres, hauts fonctionnaires, des chercheurs, des hommes d’affaires, représentant le kaléidoscope mauritanien. Après s’être enfermée dans une logique de cercle de réflexion autour de la stratégie de lutte contre la pauvreté, l’association tente de s’ouvrir aux sujets d’information qui pourraient intéresser le grand public et pas seulement un cercle de bien-pensants «semi-officiels». Elle a donc lancé «les mercredis de Mauritanie Perspectives». Le dernier mercredi du mois, l’association invite un public intéressé (et intéressant) et le met en face de chercheurs pour parler d’un sujet donné, d’artistes créateurs, d’acteurs sociaux pour exposer leurs visions du monde. Un espace d’échange…
Ce mercredi (29/8), les intervenants invités étaient : Jérôme Pigné, doctorant travaillant sur la problématique de la coopération internationale et particulièrement européenne (UE) en matière de lutte contre le terrorisme, et Ferdous Bouhlel, doctorante aussi travaillant sur les communautés du Nord du Mali et l’Islam réformé. Il est en début de mission. Elle est en fin de mission parce qu’elle se met à la rédaction d’une thèse qui lui a demandé trois ans de présence sur le terrain. L’intérêt était de confronter l’avis d’un chercheur qui débute et qui travaille sur le terrorisme islamique en zone sahélienne dans une perspective européenne, à celui d’un chercheur qui finit son travail de terrain.
Jérôme Pigné prépare sa thèse sous la direction de notre compatriote Dr Mouhamed Mahmoud Ould Mohamedou, ancien ministre des affaires étrangères, directeur du Programme sur le Moyen-Orient et Afrique du Nord au Centre pour la politique sécuritaire de Genève et Professeur à l’Institut universitaire des hautes études internationales à Genève.
Son travail consiste à travailler sur la coopération face au phénomène AQMI, entre les pays de l’Union européenne (UE) et les pays du champ, et entre les institutions de l’UE en tant qu’acteur global (sic) dans la confrontation qui se déroule au Sahel. L’européanisation de la lutte anti-terroriste est-elle possible ? comment l’UE va-t-elle équilibrer l’approche sécuritaire avec celle du développement des régions concernées ? en quoi ce qui se passe au Sahel menace-t-il l’espace européen ? comment ressent-on cette menace ? est-ce que la problématique de l’intégration de l’Islam dans les aires européennes n’est pas une donnée qu’il faut prendre en compte ? comment l’UE va-t-elle faire ? et par qui va-t-elle le faire ? quelles sont les limites de la coopération en la matière ?
Autant de questions auxquelles le travail de thèse tentera de répondre. Toujours est-il que le développement de cette criminalité aux portes de l’Europe inquiète et ne peut laisser indifférent.
Ferdous Bouhlel quant à elle, a présenté quelques éléments du résultat de son travail sur le terrain. Le phénomène AQMI occulte les vraies questions qui doivent être débattues. En fait, toute cette évolution est le fruit, non pas de greffes extérieures, mais d’une gestion endogène des affaires du Nord malien et de l’islamisation progressive des communautés. La radicalisation des groupes salafistes est le fruit d’une islamisation de la contestation historique et d’une reprise en charge par les groupes islamistes locaux des revendications qui n’ont jamais été satisfaites malgré quelques guerres, quelques rébellions et quelques accords. La gestation de la crise a commencé bien avant, avec la décolonisation, pour connaitre des moments de pointe et aboutir enfin à cette rébellion qui a fini par mettre à genoux l’Etat malien.
La conjugaison de facteurs intérieurs (mauvaise gouvernance de la question du Nord) et extérieurs (l’influence du théâtre algérien et celle de la guerre en Libye), a poussé vers le pire. Dans le cadre de ses travaux, Ferdous Bouhlel avait dirigé une enquête (été 2011) sur la perception qu’avaient les populations du Nord de l’Etat.
Cette enquête a conclu au profond désarroi de ces populations. Frustrations, délaissement, corruption des institutions de l’Etat, enlèvements, départs des partenaires au développement, fractures communautaires exacerbées par l’Etat central qui a favorisé la création de milices communautaires… Des milices qui vont finir par couvrir et même organiser le trafic de drogue, d’armes et de cigarettes. L’importance de ce trafic et des ressources qu’il générait permettait d’acheter l’Etat et ses représentants. C’est ainsi que ces milices se sont appropriées les structures de l’Etat et avec elles, la gestion de cette partie du pays. Et si l’on parle de «Club ATT», c’est pour dire que le sommet de l’Etat profitait largement des prébendes liées au trafic mais aussi à la pression exercée sur les populations.
Les unités spéciales créées dans le cadre des derniers accords entre la rébellion et l’Etat malien, ces unités ont vite abandonné leur mission qui était celle de pacifier le Nord et de protéger les populations pour être une source d’inquiétude et une ponction de plus sur le peu de ressources qui existent. Appuyée par l’UE et les partenaires au développement, la remilitarisation du Nord a été un échec parce qu’elle n’a finalement signifié que la création de ces milices légales communautaires : la milice touarègue, principalement composée par les Imghad, a sévi à Kidal contre les Ifoghas ; celle arabe des Amhar a fait de même avec les Kounta un peu plus au sud. Les deux milices ont vite pris le contrôle du trafic de drogue et, fortes de leurs moyens, ont essayé de vider des contentieux historiques liées à la vassalité vis-à-vis des anciens groupes dominants, ajoutant au désarroi des populations locales.
Si la rébellion des années 60 et 90 et même 2000 revendiquait la reconnaissance de la spécificité culturelle d’un espace (tumast, culture touarègue), elle a abouti au radicalisme de 2011-12 qui veut désormais un Etat indépendant qui correspond à l’Azawad. Comme pour dire «nous avons vu l’Etat et nous n’en voulons plus».

Comme quoi le processus de désintégration du Mali est le fruit d’une évolution intérieure et d’une incapacité de l’Etat malien, particulièrement durant l’exercice du Président Amadou Toumani Touré (ATT) de prendre en charge les revendications des populations d’une zone abandonnée à son sort par le pouvoir central.