Ce
n’est pas l’autre bout du monde, pas encore… mais c’est une porte qui ouvre sur
un autre monde. Pas parce qu’il s’en passe des choses dans le Mali voisin, en
fait de ce côté-ci le Mali est ce qu’il a toujours été : un havre de paix,
un lieu de solidarité entre les populations riveraines, un creuset où les souks
hebdomadaires sont le lieu des convergences permettant une animation sociale
évidente et bénéfique… Ici, les gens partent et reviennent jusqu’à la lisière
de Bamako, sans problèmes.
Si
Kobenni peut sembler aussi loin, c’est surtout à cause de l’état de la route
qui devient dangereuse par moments, et à cause encore du comportement des
postes de contrôle…
«…’arrvouna
brouçkoum !» L’ordre est donné par un policier mal habillé, délavé
lui-même par le soleil de ces contrées où il exerce depuis quelque temps. Ce qu’on
peut reprocher aux agents – policiers et gendarmes – des postes de contrôle, c’est
qu’ils sont rarement en tenue réglementaire d’abord. C’est le fait ensuite de
procéder de manière traditionnelle pour avoir les identités. Et c’est enfin
cette enquête sur la provenance et la destination, enquête toujours suivie par
une requête. Ça ne rate jamais : si un agent me demande d’où je viens et
où je vais, je suis sûr que c’est pour me coller quelqu’un ou pour me demander
quelque chose. C’est pourquoi j’ai décidé depuis très longtemps de ne jamais
rendre de service dans ces conditions.
Je
suis toujours en règle, Dieu merci. Et je refuse de prendre quelqu’un que je ne
connais ou de répondre à une doléance dans ces conditions. «Vous m’avez déjà embêté
en voulant savoir qui je suis, où je vais et d’où je viens, c’est le maximum
que vous pouvez me faire en terme d’inconvenances, pourquoi j’accepterai de
vous rendre service…»
Et
pour revenir sur ce «’arrvouna brouçkoum» (une invite à se présenter), doit-on
décliner son identité tribale, ce que je fais parfois sans susciter l’étonnement
de mes interlocuteurs, c’est juste pour me dire «wakhyart» même s’ils sont
incapables de répéter «Idjathfaqa»… Ce sont des réactions standardisées en
milieu maure et qui ont fini par ne plus vouloir dire grand-chose.
La
réaction de l’agent aurait dû être autre : corriger en demandant la pièce
officielle d’identité, mais en fait il se rend compte qu’il s’est lui-même mis
dans une situation où il doit supporter le sarcasme de l’usager de la route. Cela
relève du mépris que nous avons cultivé à l’égard de nos institutions. Cela vient
de décennies de mauvaises pratiques. Cela demande un travail de fond déterminé…