Ce qui s’est passé en Egypte est plus révélateur sur le devenir d’une
révolution qui n’en est pas finalement une. D’abord la révolte populaire, ce
que les spécialistes de la région (les vrais) ont considéré comme étant «le
moment social» de la révolte arabe. Pour eux cette révolution s’articulait
sur trois «moments» : le social, le politique et l’international.
Le temps social correspondrait à cet instant où le soulèvement est
à son comble et où la spontanéité des manifestants et de leurs porte-paroles
nous noie dans un romantisme révolutionnaire enivrant. L’articulation du
politique sur ce temps devait prendre la forme d’une prise en charge complète
de toutes les attentes des «insurgés» en quête de reconnaissance, de
recouvrement de la liberté de disposer de soi et des biens de la communauté
pour le bien-être de chacun, de reconquête de la dignité et de recréation de
liens sociaux abimés par les autocrates et les prédateurs. Le temps
international arrivant pour éviter les «pires» scénarii pour les maîtres
actuels du monde : il peut prendre la forme d’une guerre visant à
accélérer la chute des régimes autocratiques vilipendés par la foule (cas de la
Libye et de la Syrie), ou celle de «ralentisseur» du processus d’émancipation
si celui est jugé dangereux ou risqué pour les intérêts des puissances
occidentales (cas de l’Egypte et de la Tunisie).
En Egypte, la victoire des Frères Musulmans aux élections et leur
empressement dans la mise en œuvre de leur idéologie a empêché le nouveau
pouvoir de mener la grande bataille contre les forces centrifuges en créant un
réel espoir d’un lendemain meilleur. On a ici vite versé dans le tout politique
et on a oublié le concret qui comprend la misère réelle des populations, la
soif, la faim, le manque de toit, de soin, la carence du système éducatif, le
manque d’emplois…
Le pouvoir est resté au stade de promesses. Comme par le passé. Il a
aussi péché par naïveté en refusant de chercher le consensus autour de ce qui
aurait pu unir et entretenir la flamme révolutionnaire. Du coup, le soulèvement
est apparu comme une revanche sociale, une recréation d’une théocratie qui n’a
pas de fondements historiques légitimes. On a peu pensé au système politique
qui sied dans une société où le rôle de l’Armée restait à définir et à ancrer. Résultat :
le coup d’Etat et ce qui s’en est suivi.
Le soulèvement des peuples arabes n’était pas soutenu
par une pensée libératrice comme celle des Lumières qui a été à l’origine de la
révolution française. Et s’il pouvait trouver ancrage dans la Nahda du 19ème
siècle, ce soulèvement s’est interdit d’aller au-delà d’une rébellion populaire
qui ne pouvait pas occasionner les ruptures nécessaires pour produire une
révolution. Il est resté au stade du phénomène finalement limité dans le temps…
et dans l’espace ?