Récapitulons.
Le 17 décembre 2010, une petite bourgade de Tunisie s’enflamme à la suite d’un
acte de désespoir commis par un chômeur, vendeur à la sauvette que la police
municipale exaspérait et qui entendait culpabiliser cette police devant
laquelle il était incapable de résister. En s’immolant, Mohamed Bou’zizi
faisait recours à un nouveau moyen de résistance sous les latitudes
arabo-islamiques. Mais il provoquait la population qui croulait, depuis trop
longtemps, sous le joug de l’arbitraire. Il en «sortait» une première «révolution»,
suivie de près par un mouvement en Libye, en Egypte, au Yémen, au Bahreïn, en
Syrie… pour ne citer que les pays sérieusement ébranlés.
En
Tunisie et en Egypte, le mouvement insurrectionnel a entraîné la chute des deux
régimes honnis, sans guerre civile comme en Libye, au Yémen, en Syrie (où la
guerre civile continue). Du moins le départ de leurs premiers symboles :
Zine el Abidine Ben Ali pour la Tunisie et Hosni Moubarak pour l’Egypte. Des élections
furent vite organisées et, naturellement, dans chacun des pays, c’est le parti
qui avait eu les moyens de s’organiser et le temps de reprendre les «réseaux»
(sociaux et politiques) pour son compte qui a réussi : Ennahda en Tunisie
et la confrérie des Frères Musulmans en Egypte.
Commençait
alors pour les deux sociétés, tunisienne et égyptienne, une régression qui n’en
finit plus. Pour aboutir à l’exercice de la violence politique. Au grand jour.
Assassinats,
sac des sièges de partis, répressions violentes et sans discernement, tortures,
humiliations… toutes les expressions de l’arbitraire que l’on croyait
définitivement abolies avec l’avènement du «printemps arabe» revenaient
en surface. Comme si la «révolution» n’était effectivement qu’une
alternance dans le métier du bourreau : on change la main qui tient la
cravache contre une autre, la cravache reste et avec elle l’instinct de l’utiliser
contre la population désemparée. Avec en bonus les assassinats politiques.
Chokri
Belaid, cet opposant tunisien assassiné froidement, est la première victime d’un
système de pensée qui pense le Monde en deux : le Bien et le Mal. C’est
plus que le manichéisme qui reste «humain». Cette pensée est renforcée
par le fait de vouloir l’imposer parce qu’elle relèverait du divin. Elle est l’absolue
Vérité et toute velléité de la remettre en cause est assimilée à une hérésie,
une apostasie.
Toute
manière de voir le déroulement du Monde, de concevoir l’action afin d’y
participer, de rêver l’idéal pour soi et pour ses semblables, est hétérodoxe,
déviance à combattre. Son auteur mérite la mort, même si tous les Exégètes
références lui accordent trois jours pour le voir «revenir sur le droit
chemin».
Dans
le Monde de ceux-là, chacun peut se substituer à la Loi divine, chacun peut
interpréter les textes de façon indiscutable, chacun peut décréter la sentence
sans appel… Il suffit d’être l’un des leurs pour ne plus être susceptible de
fauter.
Des
Chokri Belaïd, il y en aura encore et encore, partout dans le Monde musulman,
partout où il se trouvera des gens qui croiront que leur lecture du Monde est
une Vérité qui ne souffre pas la remise en cause. Autant dire partout dans le Monde
musulman d’aujourd’hui. Même chez nous.
La vraie bataille à mener ici est bien celle de barrer
le chemin à toutes les pensées uniques qui ravagent le Monde environnant et de
faire en sorte pour que la Mauritanie évite la route empruntée – très empruntée
– en Tunisie, en Egypte, au Yémen, en Syrie… C’est aux forces progressistes, s’il
en existe encore, d’agir tant que c’est possible.