Je suis de Nouakchott. Je connais cette ville qui avait été édifiée avec l’indépendance du pays et qui a finalement fini par être… le pays.
Tout s’y passe, ou presque. En tout cas tout s’y décide. La politique, l’économie, la culture… tout est concentré ici. Et pour conclure, les partis politiques – et les activistes de l’ombre – sont venus s’établir ici. Aux côtés des centres de décision.
La première décennie de l’indépendance a été l’occasion pour les autorités de l’époque de dépenser une énergie énorme pour convaincre la population – pour l’essentiel nomade – à croire en l’avenir de la capitale et donc du pays. Ce ne fut pas facile. D’où l’importance de cet anodin appel : «huna Nwakchoot, idha’atu il joumhouriya il islaamiya el muritaniya» (ici Nouakchott, Radio de la République Islamique de Mauritanie). Quand on écoute les enregistrements de l’époque on se rend facilement compte de la bataille menée pour légitimer cette ville et la faire accepter. La nature fera le reste.
La décennie de la sécheresse – fin des années 60, début des 70 – oblige le pays à inverser les proportions : de 67% de la population nomade, nous passons petit à petit à près de 80% de sédentaires. Nouakchott en reçoit le tiers et même plus. Les premières projections prévoyaient de dépasser le cap des 100.000 habitants dans les années 80, on en était à 300.000 à la fin de ces années-là. On est officiellement à plus de huit cents mille aujourd’hui. Avec les lotissements des quartiers périphériques en cours, il faut s’attendre à un doublement dans les mois à venir. Surtout qu’une nouvelle sécheresse menace le monde rural. On peut toujours espérer que la saison politique prochaine va servir à faire revivre l’intérieur, tout en craignant que ce ne soit qu’un phénomène saisonnier.
Le Nouakchott d’aujourd’hui est inquiétant pour mille raisons. Le nombre de ses habitants et le manque cruel d’infrastructures. Le fait de crouler sous les immondices (une vieille «habitude» avec laquelle la ville semble renouer ces jours-ci). L’agressivité de ses habitants prêts à en découdre pour n’importe quelle raison. L’indescriptible chao que le manque de respect des règles urbaines installe : le refus de respecter les feux, les normes de sécurité, de construction, de respecter l’espace public, de respecter l’autre, l’absence de mentalité de quartier. Le développement de la criminalité. Le chômage. La concentration de toutes les activités du pays dans un espace de plus en plus exigu.
«Les hommes, c’est comme les pommes : ils pourrissent quand on les entasse». Si ce n’est pas un nomade qui a dit ça, ce devrait être quelqu’un qui les connait. Qui les connait très bien, tellement c’est vrai pour eux.
Le Nouakchott d’aujourd’hui n’arrive pas à être une ville parce que la ruralité a rattrapé ses habitants. Ce n’est pas non plus une campagne parce qu’il n’en a pas la tranquillité et la pureté. Pour le Nouakchottois que je suis, cette ville sombre lentement sous le poids de la pression démographique et du manque de vision – pour elle - chez les différentes autorités. Finalement, il est clair que Nouakchott n’appartient à personne parce qu’elle appartient à la Mauritanie, parce qu’elle est la Mauritanie… personne ne s’émeut pour son devenir. Et si quelques objections sont émises de temps en temps, aucune action ne semble venir.