On
ne peut pas être à Walata sans se rappeler le mal fait à cette ville historique
par les pouvoirs publics tout au long des longues années des noires périodes.
Une ville dont le nom est lié, pour une bonne partie des Mauritaniens, aux
drames qui s’y sont déroulés.
C’est
ici que s’est noué le destin tragique de l’Emir Mohamed Fall Wul ‘Umayr, l’un
des leaders de la Gauche nationaliste arabe mauritanienne. De retour du Maroc
au début des années 60 (63), il fut emprisonné et envoyé à Walata où il devait
purger une peine sans avoir jamais été jugé. Les mauvais traitements et les
conditions difficiles de l’environnement du fort de la vieille ville, sans
doute la solitude et la vive conscience de subir l’arbitraire…, le tout est arrivé
au bout de l’Emir aimé. Malade, très malade, il fut évacué avec beaucoup de
retard, sur Dakar où la médecine ne pouvait plus rien pour lui.
Au
lendemain du coup d’Etat de juillet 1978, le Président Moktar Ould Daddah fut
envoyé au fort de Walata par ses tombeurs. Il fallut l’intervention «diplomatique»
mais ferme de la France pour le faire évacuer en France où il put être sauvé in
extrémis. Lui aussi dut souffrir la solitude et le mauvais traitement. Parmi les
anciens présidents, feu Moustapha Ould Mohamed Saleck qui en a beaucoup
souffert et Mohamed Khouna Ould Haidalla.
Mais
le drame que retiendra l’Histoire est celui des prisonniers arrêtés à la suite
de la publication du «Manifeste du négro-mauritanien opprimé» en 1986. Quelques-uns
d’entre eux furent envoyés ici et livrés à la merci de gardes parfois d’une
grande brutalité, souvent indifférents au sort de ceux qu’ils doivent
surveiller. Encore les mauvais traitements et les affres de la solitude qui
devaient emporter le grand écrivain et penseur Ten Youssouf Guèye. Les misères
de cette expérience sont racontées avec exactitude par Boye Harouna dans «J’étais
à Walata».
En
fait chaque fois que le régime en place voulait en finir avec un opposant, c’est
au fort de Walata qu’il l’envoiyait. Un lieu maudit qui porte les stigmates du passé,
mais un témoin qu’on ne peut réduire au silence et qui nargue les auteurs des
exactions qui espèrent encore l’oubli et l’impunité qui va avec…
Quand
on vient à Walata, on comprend quelque peu – il faut un grand sens d’équité
pour le comprendre – pourquoi ces drames ont eu lieu ici dans l’indifférence de
la population locale et plus généralement des Mauritaniens qui ont, chaque
fois, appris tardivement ce qui se passait. Une vieille culture de cité perdue,
constamment menacée par la violence des voisins, toujours sous pression de plus
fort a donné une population «concentrée» sur elle-même et sur sa
sécurité. Même dans les comportements anodins, on retrouve des réflexes de
survie et de préservation des biens. Jusqu’à récemment, les hommes qui
descendent dans la bat’ha de Walata enlèvent systématiquement leurs turbans dès
qu’ils descendent des hauteurs où se trouve la vieille cité. Le geste est
presque machinal : le turban est enlevé de dessus la tête pour être mis
sous le bras. Pourquoi ? Parce que dans le temps on craignait que quelques
chameliers indélicats ne viennent arracher la couronne de tissu. La création de
l’Etat moderne n’a fait qu’accentuer cette peur de la force qui fait que tout
ce qui touche à l’administration ne peut être sujet de conversation ou même
d’intérêt. Ce qui se passe au fort, déjà «là-bas», «là-haut», ne
regarde pas les gens de la ville.
…Aujourd’hui Walata s’apprête à vivre une grande fête,
celle des Villes anciennes. Une façon de recouvrer sa symbolique et sa
splendeur d’antan, de donner l’impression d’une paix définitive. L’espace de
quelques jours.