On peut considérer l’arrestation de Abdallah Senoussi, le chef des renseignements libyens du temps de Kadhafi, comme une aubaine pour la Mauritanie. On peut la considérer comme un problème. Comme dans tout ce qui se passe, chacun ira de sa lecture qui lui sera dictée souvent par son positionnement…
L’homme le plus recherché du Maghreb Arabe avait sur lui un faux passeport malien. Il venait du Maroc. Etait-il seulement de passage dans ce pays ? y avait-il séjourné seulement ? d’où venait-il quand il est allé au Maroc ? par quelle voie a-t-il gagné le Royaume ? qui sont ses complices qui l’ont protégé jusqu’à présent ? où allait-il ? si c’est en Mauritanie, qui devait-il voir et chez qui devait-il être reçu ?
Autant de questions que beaucoup d’autres auxquelles les services mauritaniens essayeront de trouver réponse. C’est légitime. D’ici là on aura vidé la polémique autour de sa «livraison», à qui et comment ?
Nos avocats se sont empressés – comme il est de tradition chez nous – les uns pour dire que «la Mauritanie est tenue de le remettre à la CPI», les autres d’affirmer que «la Mauritanie n’est absolument pas tenue de le remettre aux autorités libyennes avec lesquelles elle n’est lié par aucune convention». Le premier oublie que la Mauritanie n’est pas signataire de la Convention de Rome qui fait de cette obligation une religion. Le second oublie que la Mauritanie est liée par la Convention de Ryad à tous les pays arabes et est tenue, par cet effet, à le remettre, tôt ou tard aux autorités libyennes.
Même si l’on doit y réfléchir à deux fois quand on prend en compte le sort qui pourrait être réservé à l’homme dans son pays. Comment lui assurer un traitement «normal», loin de toute vindicte comme cela s’est passé pour Kadhafi sauvagement assassiné par ses geôliers ou son fils dont on a coupé les doigts ? comment lui assurer un procès régulier, avec une défense librement choisie, une transparence acceptable et un verdict susceptible d’appel ?
Autant de questions que la Mauritanie doit poser aux frères libyens, mais aussi à tous ceux qui voudront avoir l’ancien chef des renseignements de Kadhafi (un chef de renseignements équivaut à un chef de la police ici), celui qu’on surnomme «la boîte noire» pour les secrets qu’il est supposé garder. Rien ne presse. Tout cela prendra du temps.
Le devoir moral de la Mauritanie lui dicte de ne pas avoir de pitié pour celui qui a été le bras qui frappe, qui exécute, qui torture, qui était aussi l’intelligence de tous les excès de Kadhafi. Des milliers de libyens attendent que justice soit rendue. Des dizaines d’étrangers attendent aussi que soit traduit cet homme pour faire le deuil des leurs. Abdallah Senoussi ne doit pas se soustraire à cette justice universelle, encore moins à celle de son pays. D’ailleurs son arrestation est bien la preuve qu’on doit toujours payer pour ses actes.
Que tous ceux qui ont participé aux crimes du passé méditent l’exemple de cet homme. Il y a un an, il aurait pu inverser les évènements et amener son mentor à quitter pacifiquement le pouvoir. Il a choisi de soutenir, d’accompagner son maître jusqu’à la fin. Il a été très probablement son «mauvais génie»… Ceux de chez nous doivent se le rappeler.