Personne,
je crois, ne peut rester indifférent à la succession de reportages consacrés à
la prise de parole d’individus se présentant «cadres» de telle ou telle
tribu voulant «exprimer leurs remerciements au Président de la République
pour les nominations et l’attention qui a été enfin accordée vis-à-vis de la
tribu». Authentique.
Des
jours durant, l’une des chaînes privées nous a abreuvés de déclarations du
genre. Dans le temps, on voyait cela sous une autre forme dans la presse écrite
avec mention : «ceux qui ont contribué à la réussite de la visite du
Président…» Mais là, c’est encore plus dangereux dans la mesure où l’exercice
consiste à décliner carrément la filiation tribale et de parler au nom d’un
groupe social déterminé pour remercier en son nom le Président de la
République.
La
Mauritanie d’aujourd’hui est loin de ce qu’elle aurait dû être si son évolution
avait été linéaire. Si la Modernité avait continué à prendre le pas sur le
conformisme, on ne serait pas là à tourner en rond sans savoir ce que nous
voulons faire de nous-mêmes. La période est propice cependant pour refonder le
rêve commun.
La
Mauritanie de départ s’engageait résolument contre les structures
traditionnelles consacrant les inégalités sociales et le joug d’un arbitraire
de naissance. Elle se voulait un pays offrant à ses citoyens le moyen de vivre
librement, pleinement leur épanouissement. Elle ne se voyait pas en noir et
blanc, mais en kaléidoscope dont la splendeur n’éblouit pas outre mesure. Juste
ce qu’il faut de lumières pour éclairer le chemin et les alentours.
La
Mauritanie de départ avait imposé l’autorité de l’Etat pour mettre fin aux
structures émirales traditionnelles par extinction. Elle avait compris que l’école
pouvait servir de creuset et de moule pour le citoyen de demain. Elle a été un
cadre d’épanouissement, de rencontre et d’échanges entres des générations de
Mauritaniens qui ont ainsi grandi sans prendre conscience de leurs différences
d’origines comme des handicaps mais des atouts.
Puis
vint la réforme de 1979 qui a consacré la division. L’école a alors formé des
générations évoluant parallèlement, sans contact entre elles, sans partage,
sans solidarité… Vint la démocratisation après le reflux de toutes les
idéologies unitaires et égalitaires. Une démocratisation qui fut d’abord un
moyen de reproduction du système inique d’antan. La légitimité du pouvoir très
entamée par son passif humanitaire (et économique) dut faire appel aux vieux
réflexes sectaires. D’abord l’ethnie, ensuite la région et enfin la tribu, le
clan, la caste… Les particularismes deviennent alors un enjeu politique dans le
positionnement et le placement. Ils sont cultivés sur la place publique et
encouragés par le pouvoir et ses pontes.
C’est
une Mauritanie émiettée qui en sort. On n’arrive pas encore à recoller les
morceaux. La paresse des acteurs politiques, la mauvaise volonté générale, le
manque d’engagement officiel et la propagande ambiante (celle véhiculée par nos
médias et notre élite en général), tout cela contribue à exacerber justement
ces réflexes sectaires. Comme si nous voulions aboutir à la formation de
ghettos politiques et sociaux qui sont appelés à se confronter un jour. D’où la
nécessité pour cette élite de réfléchir au plus vite et de converger vers un
espace commun, un espace apaisé. La fragilité du pays doit dicter un minimum de
circonspection et de sacrifice. L’avenir mérite des sacrifices. On perd
beaucoup de temps dans la reprise des vocations de la Mauritanie de départ, ce
qu’elle doit être, ce que nous voulons qu’elle soit…