Il y a quelques nuits, une association de la nébuleuse du mouvement islamiste en Mauritanie organisait une rencontre pour le moins surprenante. L’intitulé était «liqaa el Fiqh wa el Fan» (rencontre entre le Fiqh et l’art). L’association Al Mustaqbal dont le président n’est autre que Shaykh Mohamd el Hacen Ould Dedew, tandis que l’exécutif est dirigé par le secrétaire général Mohamed Mahmoud Ould Seyidi (ancien ministre pour Tawaçoul dans le gouvernement de Waghf II), cette association travaille dans des domaines divers et a de nombreuses excroissances dans le domaine culturel et social, mais aussi de la prédication. C’est elle qui parrainait cette manifestation.
Toutes les associations du monde de la musique traditionnelle furent sollicitées – quand on dit musique chez nous, on parle exclusivement des griots. Le débat a été dirigé par Shaykh Mohamed Ould Abouwah, prédicateur et poète émérite de l’espace hassanophone. La plupart des grandes familles de griots étaient présentes à travers les associations.
La soirée a tergiversé entre «porte ouverte» du Fiqh tel que promu par la Jema’a fondamentaliste sur la musique et sa pratique, et «opération de charme» qui découle d’une approche politique consistant en une ouverture sur certains pans de la société.
L’on retiendra que l’appel à la prière du crépuscule (Al maghrib) a été l’œuvre de Bouh Ould Bawbe Jidou, alors que l’entame (liqaama) l’œuvre de Mohamed Ould Hembara, tous deux héritiers de grandes écoles de musique traditionnelle du Hodh. Mais les concessions s’arrêteront là : la prière sera dirigée par l’un des «shuyukhs» de la mouvance.
L’on retiendra aussi que la question posée par une jeune griotte ayant abandonné la pratique de l’art pour raison religieuse, et qui voulait, à l’occasion savoir si son art était illicite ou non, cette question restera sans réponse.
L’on retiendra enfin que la réconciliation entre «Marabouts» - pan sensé promouvoir le savoir religieux – et le griot représentant un pan s’occupant de l’art traditionnel, que cette réconciliation attendra encore. Il existe un proverbe Maure qui dit : «le marabout n’est pas l’ami du griot».
Pour l’anecdote, quelqu’un – un marabout – avait opposé cet aphorisme à Mokhtar Ould Meydah, un griot-faqih-grammairien- poète émérite. Un peu pour éviter de "faire le nécessaire", un peu pour taquiner. Et Mokhtar de répondre : «c’est quand même le marabout refuse»… le refus à double sens…
Espérons en tout cas que la manifestation soit l’expression d’une prise de conscience de l’importance de la frange sociale des griots, comme dépositaires de la légitimité d’un art authentique qui risque de se perdre aujourd’hui, comme propriétaires d’un patrimoine qui doit être restauré.