Le 11 septembre 2001, un mardi pas comme les autres. Nous sommes en plein hivernage chez nous. Les vacances ont été interrompues à cause de la visite du Roi du Maroc. Le jeune Roi Mohammed VI avait décidé de briser la glace et de se rendre en Mauritanie pour quelques jours. Nonobstant la chaleur de la saison mais aussi toutes les menaces que faisaient peser déjà les mouvements jihadistes coptés par le GSPC.
C’était un grand moment pour la plupart des Mauritaniens. Je faisais partie de ceux qui croyaient qu’il s’agissait là d’une grande opportunité ouverte devant les deux pays pour solder cet espèce de «contentieux historique» qui a toujours perturbé les rapports entre nous. J’ai toujours cru – je le crois encore – que la Mauritanie a besoin d’un Maroc fort et stable à ses marches du nord. Sur ce Maroc-là, elle peut s’adosser sans crainte. Encore faut-il normaliser les relations entre les Etats pour leur permettre d’exprimer – et d’accompagner – celles qui existent entre les peuples… Bref.
Ce matin du 11 septembre, je faisais partie de ceux qui s’apprêtaient à aller à Atar au devant du Roi qui devait s’y rendre dans l’après-midi. Je venais, après moult tractations, de trouver une place dans l’un des avions spéciaux. J’avais couru chez moi pour prendre mes affaires.
Quand je suis entré chez moi, il y avait là quelqu’un qui regardait un quelconque feuilleton brésilien «doublé» (mousalsal moudablaj). Un peu surpris, il se mit à zapper sachant mon mépris pour les feuilletons. Et par hasard, il tombe sur CNN : l’une des tours est en flamme. Même si je reconnais les lieux, je ne réalise pas. J’ai juste le temps de lire la mention «breaking news». Je comprends immédiatement qu’on est en direct. Le peu d’anglais que je connais me confirme cela. J’attends donc, stupéfait et atterré. Le deuxième avion arrive alors que je n’ai pas encore eu le temps de réagir. «Ce n’est pas un accident», c’est ma conclusion. Alors ?
C’est, quelques instants plus tard, Al Jazeera qui satisfait ma curiosité. Je n’irai nulle part, ni à l’hôtel Marhaba où j’étais attendu, ni à Atar où j’espérais aller. D’ailleurs personne n’ira nulle part.
C’est d’abord l’enthousiasme dans les rues de Nouakchott, comme partout dans le monde arabo-musulman, quand on apprend que ce sont des musulmans, arabes de surcroit, qui ont porté un tel coup à l’Amérique ! Mais les gens, après les premières excitations, auront le temps de se reprendre et de comprendre que les auteurs, loin de servir la cause arabe, venaient d’ouvrir la voie à l’exécution d’un plan savamment préparé par les ultraconservateurs américains.
En Mauritanie, le nom de Ben Laden sera célébré comme un héros. Des épiceries, des lieux de villégiatures à l’intérieur et même des enfants porteront son nom. Avant que les autorités n’entreprennent une campagne contre cette tendance.
Le mouvement islamiste en profite pour prendre ses distances de l’option violente. Un repositionnement qui lui vaudra une normalisation ailleurs. Mais qui ne lui sert à rien chez nous parce qu’il est réprimé par les autorités qui entendent trouver ainsi un moyen de se donner une nouvelle santé aux yeux de l’Occident.
La normalisation de la mouvance islamiste permettra aux Occidentaux de reconnaitre et de traiter avec l’islamisme politique modéré. Et d’envisager son arrivée au pouvoir sans que cela touche ses intérêts stratégiques. D’où la peur des gouvernants de cette mouvance et donc le regain de répression à son encontre au cours de ces années-là.
La répression renforce l’enracinement de la mouvance qui apparait comme l’unique force de résistance devant l’exercice de l’arbitraire. Forte de ses moyens financiers énormes, la mouvance peut se déployer sur le terrain de l’assistance humanitaire et sociale. Elle occupe tous les fronts. La rigidité du Wahabisme Saoudien est remplacée par un discours soft et convenable à travers Al Jazeera qui devient la conscience du monde arabo-musulman. Sur le plan géographique, le leadership de cette conscience quitte Riad pour Doha. Nous en étions là quand surviennent les «révolutions» de Tunisie et d’Egypte. Nous en sommes encore là.
Dix ans que cela dure : les évènements malheureux de Libye, la situation chaotique au Yémen, au Pakistan, en Afghanistan, en Irak… tout est conséquence de ce jour néfaste et de cet acte irréfléchi. La mort ne peut pas porter un projet de vie. C’est pourquoi les auteurs de ces attentats – des attentats en général – ne se posent jamais la vraie question : et après ?