Pas la peine de présenter cet éminent connaisseur du monde arabe et musulman au public mauritanien. La preuve : sa première sortie publique à l’Institut Français de Mauritanie (ancien CCF), a attiré du monde. C’était hier, mardi, et le conférencier devait faire une présentation des «dix leçons» qu’il faut tirer de la Révolution arabe. C’était une peu une présentation de son dernier ouvrage : «La Révolution arabe, Dix leçons sur le soulèvement démocratique» (août 2011). On ne parle que de choses que l’on connait, une religion chez Jean-Pierre Filiu.
Il préfère parler d’une Révolution qui ne fait que commencer, d’un cycle de saisons au lieu d’un «printemps arabe», d’un processus historique dont il faut trouver les racines dans la Nahda du 19ème siècle, cette ère de tentative de renaissance du monde arabo-musulman. Une tentative menée par des penseurs au moment où les peuples de la région aspiraient d’une part à se libérer du joug Ottoman, d’autre part à relever le défi culturel, voire civilisationnel, «lancé» par un Occident conquérant.
A l’époque, les effets du choc napoléonien et de la domination ottomane ont pour expression la naissance d’une pensée politique islamiste moderne, et du nationalisme arabe comme vecteur de résistance et de libération. Conclusion : la Révolution arabe dont on a suivi l’explosion, est le prolongement de ce «temps arabe»-là.
Un «temps arabe» où la Tunisie abolissait l’esclavage en 1846, deux ans avant la France, et où elle adoptait sa première Constitution en 1861. Ne nous étonnons point si, aujourd’hui, le processus tunisien semble plus accompli que tous les autres.
«La Révolution arabe ne fait que commencer et elle va encore se déployer durant de longues années d'un bout à l'autre de cette région», écrit récemment Jean-Pierre Filiu dans un article intitulé : «La poussée islamiste dans les urnes n’annonce pas un "automne intégriste"». L’obligation pour les Islamistes de composer avec la réalité du pouvoir, avec aussi les autres composantes du paysage politique local, aura raison de toutes les appréhensions de départ.
Pour lui, les leçons qu’il faut en tirer dans l’immédiat consistent à remettre en cause les quelques idées reçues sur la perception de cette Révolution. Il en compte dix : 1. «Les Arabes ne sont pas une exception» ; 2. «Les musulmans ne sont pas que des musulmans» ; 3. «La jeunesse est en première ligne» ; 4. «Les réseaux sociaux ne font pas le printemps» ; 5. «On peut gagner sans chef» ; 6. «L’alternative à la démocratie est le chao» ; 7. «Les islamistes au pied du mur» ; 8. «Les jihadistes n’intéressent plus que les dictateurs» ; 9. «La Palestine au cœur demeure» ; 10. «La renaissance n’est pas une partie de domino»
De l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid en Tunisie, à l’élection, le 12 décembre 2011, de Moncef Marzouki, opposant historique, à la tête de l’Etat tunisien, entre les deux évènements un chemin important a été parcouru. Mais malgré ce parcours, le plus dur reste à venir.
Défaire les forces centrifuges, dépasser le stade de la simple revanche des sociétés sur les systèmes politiques, dépasser celui de la recréation ou de la reconquête des liens sociaux brisés au nom de la construction de l’Etat moderne, (re)créer une pensée politique à même de nourrir le processus, à même de devenir au mouvement ce que la philosophie des Lumières fut pour 1789, reconquérir et rétablir la confiance par la concrétisation des choix politiques, économiques, ainsi que par la mise en œuvre de pactes sociaux conçus pour répondre aux besoins des populations…
Jusque-là cette Révolution a, comme le dit si bien Jean-Pierre Filiu dans son ouvrage, œuvré «à rendre la vie à un corps social paralysé par les différents autocrates, leurs cliques prédatrices et leurs polices débridées». Il s’agit maintenant, je le crois, d’éviter à cette Révolution d’être un autre Mai 68.