En Mauritanie, la plupart du ceux qui
s’activent sur la toile (ils doivent être en-deçà de 3000) exercent un
véritable terrorisme intellectuel à l’égard de toutes les voix différentes à
celles qu’ils veulent entendre. Gare à vous si vous êtes capables de dire ce
que vous pensez de la situation du pays sans être un opposant radical, un
esprit sectaire, un raciste invétéré (anti ceci ou cela). Il faut, pour avoir
le soutien (ou l’indifférence) des commentateurs anonymes dans la plupart du
temps (signe d’une grande lâcheté qui fait qu’on n’assume pas ce qu’on
exprime), verser dans le sens d’une Mauritanie en état de putréfaction
ethnique, sociale, économique et politique. Il faut défendre par exemple une
communauté contre une autre, décrire une situation de l’esclavage où l’on
trouve des marchés d’esclaves, des pratiques avérées (qui existent mais en nombre
de plus en plus limité), nier toute avancée, s’interdire de critiquer les voix
qui dominent par la cacophonie qu’elles produisent… Le politiquement correct
ici est d’imposer un pessimisme ambiant qui cherche à donner une image d’un
pays sans avenir et sans passé.
En lisant l’interview du chercheur
Vincent Bisson et les réactions qu’elle a suscitées parmi le lectorat
francophone, je suis surpris par tant de haine et de mauvaise foi. Je sais,
pour l’avoir expérimenté à mes dépens, que remettre en cause la «pensée
unique» d’un spectre d’opposants très déterminés à ne rien lâcher sur le
net, relève du grand risque de se voir lynché par une foule (de doigts, non de
personnes) se préservant quand même derrière le confortable masque de
l’anonymat.
Qu’a dit ce chercheur, grand
spécialiste de la Mauritanie (auteur notamment d’une belle thèse sur les
dynamiques comparées d’urbanisme en milieu rural en Tunisie, Jordanie et
Mauritanie) pour irriter les cyber-activistes radicaux ?
Que «l’opposition mauritanienne
considère que les conditions ne sont pas réunies pour la transparence du
scrutin (présidentielle de juin prochain, ndlr). Donc elle ne veut pas
servir de caution démocratique à la réélection du président Mohamed Ould Abdel
Aziz». Pour aller plus loin que Vincent Bisson, l’opposition a toujours
considéré comme erreur le fait d’avoir participé aux élections de 2009 suite à
l’Accord de Dakar. Alors que l’erreur à ce moment-là c’est d’avoir cru pouvoir louvoyer
en essayant de reculer les échéances : en signant les Accords, les représentants
des deux pôles politiques de l’opposition tablaient sincèrement sur
l’impossibilité de respecter les délais légaux. Oubliant que l’Accord avait
l’assentiment de la communauté internationale et qu’elle allait obliger toutes
les parties à en finir. Deuxième erreur – peut-être s’agit-il d’une carence
plus que d’une erreur – c’est le choix des représentants dans la CENI et au
sein du gouvernement d’union nationale devant superviser les élections :
aucun de ses représentants n’a accepté de démissionner quand les partis l’ont
demandé pour éviter d’en arriver au terme du processus. Troisième erreur de
taille : avoir refusé de reconnaitre immédiatement les résultats comme le
préconisait l’Accord et exiger la suite (dialogue inclusif).
«Les raisons en réalité ne sont pas
valables» nous dit Vincent Bisson. Qu’on le veuille ou non, toute lecture
juste de la situation nous renseigne sur les tenants et aboutissants des
tergiversations de l’opposition mauritanienne. C’est d’abord son incapacité à
faire une analyse froide et objective de la situation. D’où la multitude de
positionnements qui paraissent plus relever de la concurrence pour le
classement des acteurs les uns par rapport aux autres que de la recherche d’un
intérêt général. C’est ensuite tous ces rendez-vous manqués avec
l’Histoire : de 1992 avec le boycott des premières législatives et
municipales jusqu’en 2013 avec le refus pour de grands partis de participer à
ces élections, en passant par les attitudes mitigées vis-à-vis des changements
violents.
«On est face à une population qui,
dans sa majorité, pas dans sa totalité, ne vote pas pour un parti ou pour un
programme. On vote d’abord pour quelqu’un qui peut vous apporter la sécurité et
de quoi manger. A partir de là, aujourd’hui le président Ould Abdel Aziz est en
position de force». Etranger qu’il est, Vincent Bisson a parlé avec plus de
gens du peuple que la plus part des leaders politiques mauritaniens qui se
suffisent de ce qu’on leur rapporte ou d’entretiens avec quelques notables et
intermédiaires en rupture momentanée avec les régimes qu’avec la masse.
La fraude ? «On ne peut pas
faire un procès à charge du régime et prétendre que les élections ne seront pas
transparentes». Pas seulement parce que «Ould Abdel Aziz n’a pas besoin
de la fraude pour gagner», comme dit le chercheur, mais parce que les
réformes introduites ont permis d’éloigner réellement le spectre de la
fraude : bulletin unique, carte biométrique, obligation de remettre une
copie du PV à chaque représentant de candidat, publication des listes
électorales sur le net permettant un audit du fichier à temps, l’existence de
plusieurs instances de contrôle, la prise en charge par la CENI de toute
l’opération… Comment peut-on frauder aujourd’hui ?
L’un des espoirs de l’opposition, a
toujours été de mobiliser l’opinion publique nationale et les partenaires au
développement étrangers. Les deux ans de lutte pour faire «dégager» le
régime ont lamentablement échoué. Alors qu’il a été impossible pour les partis
d’opposition d’embarquer avec eux la moindre opinion de l’extérieur. D’ailleurs
les ressentiments franchement exprimés vis-à-vis de ces partenaires a ajouté à
la décrédibilisation de l’action de cette opposition qui donne l’impression de
ne rien pouvoir faire si elle n’a pas le soutien des pays étrangers.
Cela exclut-il de futurs
mouvements ? Non, selon le chercheur qui pense qu’«il y aura de
nouvelles contestations, c’est sûr. Tous les débats que l’on a vus ressurgir
ces derniers mois, c’est-à-dire autour de la question des rapatriés, de l’esclavage,
ces débats sont positifs. Effectivement ce sont des dossiers qui sont lourds,
qu’il faut traiter parce qu’il y a une situation effectivement critique dans le
pays sur ces questions-là. De là à remettre en cause la légitimité du
président ? Je n’y crois pas».
Pas besoin d’être devin pour savoir
que les arguments développés aujourd’hui par l’opposition à Ould Abdel Aziz ne
portent plus. D’abord pour la désuétude des discours. Ensuite pour le discrédit
des personnes les plus en vue pour les porter. Les opposants plus ou moins
légitimés par le combat mené durant les années «dures» ne sont plus en
première ligne. Ce sont les ministres de l’époque de la dictature aveugle, de
l’exercice de l’arbitraire, des exactions contre les populations civiles, du
pillage systématique des ressources, de la fraude à grande échelle…, ce sont
ceux-là qui nous abreuvent de leurs écrits et nous assourdissent par leurs
paroles. Leurs vociférations feront-elles oublier tout le mal qu’ils ont fait
au pays ? difficile à croire.
En définitive, Vincent Bisson qui
connait sûrement le pays plus qu’une grande partie de notre élite, a juste fait
une lecture objective et mesurée de la situation en Mauritanie. Pas celle du
Congo démocratique. Pas non plus celle de la Libye.