Le
Président Mohamed Ould Abdel Aziz avait promis une «Mauritanie nouvelle» au
lendemain du référendum du 5 août. C’était d’ailleurs le justificatif principal
de l’organisation de ce référendum qu’on avait voulu fondateur.
Or
que s’est-il passé depuis ? Rien ou presque…
Certes
le nouveau drapeau flotte depuis le 28 novembre 2017 sur l’ensemble du
territoire national. Certes le nouvel hymne national a été composé et
interprété à plusieurs reprises, partout en Mauritanie et même à l’extérieur.
Mais cela ne semble pas suffire pour voir naitre la Mauritanie annoncée.
A
quelques mois de la fin du deuxième et dernier mandat du Président Mohamed Ould
Abdel Aziz, les hésitations sont toujours fortes et l’espoir de le voir changer
d’équipes et de méthodes de gouvernement s’estompe dangereusement. Pourtant, le
déroulement des évènements aurait dû amener l’homme à opérer un grand
toilettage dans son dispositif.
Les
déconvenues récentes
D’abord
le référendum. Annoncé en grande pompe le 3 mai 2016 à Néma, le référendum
n’aura lieu que le 5 août 2017. Soit quinze mois au total. Quinze mois pendant
lesquels, les hésitations l’auront emporté, créant une situation inédite en
Mauritanie.
La
guerre des influences entre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf, ministre secrétaire
général de la Présidence chargé du dossier politique, et Yahya Ould Hademine
son successeur au Premier ministère, cette guerre sera la cause principale du
retard pris dans la réalisation du projet de réforme. Surtout qu’elle devait
s’étendre aux autres pans du pouvoir pour impliquer le Sénat, le Parti et même
des ministres comme celui de l’économie et des finances.
Le
pouvoir devait perdre le temps et l’énergie à la suite d’affrontements
fratricides dont la raison est encore inexpliquée. Toujours est-il qu’il en
sort meurtri et incapable de réaction. Avec en prime un résultat qui a frôlé la
catastrophe, le taux de participation au référendum ayant été bien en-deçà des
attentes de l’Appareil d’Etat et ce malgré tous les efforts, visibles ou non,
fournis à l’occasion.
C’est
bien parce que les résultats ont été ce qu’ils ont fini par être, que l’opinion
publique s’était convaincue de l’immédiateté d’un balayage complet du
dispositif. Surtout qu’il fallait compter avec la perspective de l’engagement
d’un processus politique commençant par le renouvèlement du conseil de la Commission nationale
électorale (CENI), continuant avec l’élection des conseils régionaux, des
conseils municipaux et de nouveaux députés de l’Assemblée Nationale, et se
terminant par la présidentielle de 2019.
Ce
processus politique lourd et plein d’imprévus demande une expertise et un
savoir-faire qui ne sont pas ceux de l’équipe actuelle. Le référendum a prouvé,
s’il en est besoin, que les appareils administratifs et politiques étaient
incapables de mener à bien un exercice politique quelconque, y compris une
élection.
Le
Président du Parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR), peut toujours
prétexter l’engagement du gouvernement qui lui a pris son domaine d’action en
engageant la campagne référendaire avant terme et sans en référer au parti.
Aussi y a-t-il lieu de rappeler la mise à l’écart du parti et de son président
pendant la campagne, mise à l’écart visiblement encouragée par le Président de
la République qui n’a rien fait pour y mettre fin. C’est seulement ces jours-ci
qu’il a confié à une commission restreinte la mission de mener une réflexion
sur l’état de l’Union pour la République (cf. article consacré à l’UPR).
Un
après qui ne vient pas
Aussi
bien pour tourner la page que pour asseoir le nouveau monde qu’il promettait,
le Président Ould Abdel Aziz était sommé de redéployer ses troupes et de se
débarrasser de ceux qui n’ont pas satisfait les attentes. Et ils sont nombreux.
Pourtant, jusqu’à présent rien n’a bougé. Ce qui ajoute à la perplexité
générale.
Le
Président Ould Abdel Aziz se comporte comme s’il disposait de temps et comme si
la Mauritanie pouvait encore souffrir le temps des atermoiements.
Dans
moins de deux ans, le deuxième mandat de l’actuel Président prend fin. Un
rendez-vous qu’il devait préparer par le renforcement du système qu’il est
sensé laisser derrière lui. Les divisions nées de la concurrence entre les
chefs de l’Exécutif et du Politique empêchent jusqu’à présent la cohésion
nécessaire à tout système.
L’illisibilité
de la situation contribue elle aussi à entretenir cette lourde atmosphère qui
pèse sur la scène et sur ses acteurs. Personne ne sait où l’on va et personne
ne semble savoir. Résultat : la sensation d’être sur le point de faire un
grand saut dans l’inconnu. Quoi de plus effroyable pour une société déjà en
proie à de sérieux problèmes d’existence et de développement.
On feint d’ignorer que l’année s’annonce
difficile avec notamment le déficit pluviométrique qui aura des conséquences
catastrophiques sur l’économie, la société et l’environnement. On se prépare
mentalement déjà à une secousse bien pire que celles de 1968, 1973 et 1983.
Même le gouvernement s’alarme et lance un programme d’urgence qui reprend à peu
près celui de Emel pourtant décrié par l’actuel Premier ministre et par son
ministre de l’économie et des finances qui ont étouffé ce programme par de
multiples coupes budgétaires et par la fermeture de la plupart des boutiques.
Il n’est plus question aujourd’hui que de rouvrir les boutiques et de les
augmenter s’il y a lieu.
La
bataille a fait rage. Entre une coalition composée du Premier ministre Ould
Hademine, soutenu tantôt par président du parti Me Sidi Mohamed Ould Maham,
tantôt par le ministre de l’économie de l’économie, Mokhtar Ould Djaye, et
celle incarnée par l’ancien Premier ministre Moulaye Ould Mohamed Laghdaf qui a
ses alliés au sein du gouvernement.
Refusant
de trancher dans cette guerre des têtes du système, le Président Ould Abdel
Aziz s’obstine donc à garder les mêmes équipes.
Les
plus optimistes des analystes y voient une volonté de procéder seulement après
mûre réflexion. Tandis que le scepticisme des autres y voit une incapacité à
changer comme promis. Quelles que soient les raisons de ce statu quo voulu par
le Président, son effet est l’intensification de l’usure du pouvoir.
La
gestation (trop) longue
La
gestation peut encore durer parce que les acteurs, principalement le Pouvoir
qui a la décision, semblent ne pas prendre en compte l’urgence du moment.
La
Mauritanie nouvelle, annoncée en grande pompe le 3 mai 2016 à Néma, tarde donc
même si elle a commencé par les refondations consacrées par le référendum du 5
août. Et si la réussite de ce premier pas a été (très) relative, c’est bien à
cause des premiers collaborateurs du Président de la République qui a dû
lui-même monter au créneau pour se retrouver sur la ligne de front, lui qui
devait rester protégé par ses hommes. Dans les faits, c’est bien le Président
Ould Abdel Aziz qui est constamment sollicité pour servir de bouclier entre ses
hommes et l’opinion publique. L’épisode Ould Mkhaytir nous en dit long.
C’est
bien lui qui fait annoncer qu’il a interjeté appel à la suite de la libération
de Ould Mkhaytir condamné à deux ans de prison, période qu’il a largement
purgée. Il n’attend pas son ministre de la Justice pour rendre publique
l’information à travers des canaux non institutionnels parce qu’il ne passe ni
par son conseiller en communication, ni par le porte-parole du gouvernement.
C’est
déjà lui qui intervient au lendemain du vote du Sénat contre la réforme
constitutionnelle pour annoncer le passage par le référendum populaire. C’est
ensuite lui qui fait le tour des régions intérieures pour battre campagne.
Chaque
fois que l’un des pans de son régime commet un impair, c’est le Président Ould
Abdel Aziz qui vient éteindre le feu. Et jusqu’à présent sans demander des
comptes…
En
refusant chaque fois de faire payer aux uns et aux autres leurs fautes et insuffisances,
il prend sur lui la responsabilité des évènements et devient le fusible de son
système. Une situation qui en fait l’otage de son Premier ministre, de son
gouvernement, de son parti et même de ses institutions qu’il a pourtant tenues
sans partage.
C’est
ce qui expliquerait le refus de laisser s’appliquer les dispositions de la
Constitution concernant le passage désormais obligatoire du gouvernement devant
l’Assemblée. Ce passage est risqué et sera, s’il a lieu, certainement coûteux.
Autant s’abstenir quitte à violer les dispositions de la Constitution nouvelle,
résultat d’un dialogue dont le moins qu’on peut dire est qu’il a été laborieux.
La
peur de l’inconnu
La
situation interdit alors la prise de risque. Tout changement d’équipe constitue
en soi une sérieuse prise de risque, surtout si l’on ne veut pas faire appel à
la compétence et/ou à l’expérience. Autant continuer à trainer le lourd fardeau
de ces collaborateurs aussi inefficients les uns que les autres, plutôt que
d’essayer de nouvelles figures. Quitte à ignorer le risque réel de
pourrissement et de déconfiture…
Mais
le temps passe. Chaque jour nous rapproche d’août 2019.
Dans
les semaines qui viennent, une nouvelle CENI doit être mise en place. Un
nouveau Conseil constitutionnel doit voir le jour suivant les nouvelles
dispositions. Rien que le processus de mise en place de ces deux institutions
demande du temps et des efforts en négociations…
Ensuite,
il va falloir se préparer pour mener les batailles politiques prévues. 2018
sera l’année des grands rendez-vous électoraux avec le renouvèlement de
l’Assemblée Nationale, des conseils municipaux et l’élection des Conseils
régionaux. C’est bien cette année qui va préparer l’ultime rendez-vous, celui
de la présidence de 2019.
En
attendant, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz se doit de préparer le pays au
grand saut.
Première
exigence, celle d’apaiser la scène et de provoquer un processus de convergence.
Chacun des rendez-vous immédiats peut être l’occasion de corriger le tir et de
se diriger vers un avenir plus ou moins consensuel, du moins serein.
Deuxième
exigence, celle de renforcer les Institutions et de les protéger. Ce qui ne
peut se réaliser que dans le respect des dispositions prévues dans chaque cas,
y compris le passage du gouvernement devant l’Assemblée.
Troisième
exigence, celle de mettre fin à la règle de l’impunité. Faire payer tout
manquement à son auteur, imposer l’équité à tous les niveaux de la vie publique
et donner l’exemple d’une probité possible.
…Attendre
que le temps passe pour voir les problèmes mourir d’eux-mêmes est une erreur
qui peut être fatale pour notre société, pour notre pays. Ne pas prendre en
compte la conjoncture qui se complique avec la menace d’une sécheresse
annoncée, relève de l’entêtement. Tout simplement.
MFO