«La Tunisie des frontières :Jihad et contrebande»,
c’est le titre du rapport de Crisis Group international consacré à l’évolution
dans le pays du jasmin. Le rapport a été publié le 28 novembre dernier et ne
traite de la situation tunisienne que l’aspect sécuritaire qui pèse sur l’avenir
du pays et surtout sur celui du processus politique qui connait de multiples
blocages.
«Bien que de faible intensité, indique le rapport, les attentats jihadistes augmentent à un rythme
alarmant, choquant la population, alimentant les rumeurs les plus confuses,
affaiblissant l’Etat et polarisant toujours davantage la scène politique.
Coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste An-Nahda et opposition
séculariste se renvoient la balle et politisent la sécurité publique au lieu de
contribuer à l’assurer.»
Le pourrissement de la scène politique et l’incapacité
des acteurs à trouver un terrain d’entente font que la menace de l’insécurité
est plus pesante sur l’avenir du pays que par le passé. La Tunisie n’avait pas
fini de reprendre le souffle après la révolte de 2010/2011 qu’elle devait faire
face déjà aux dangers venant de Libye où l’effondrement du pouvoir commençait à
ouvrir la voie à toutes les dérives. Les zones frontalières devinrent
rapidement un terreau de développement de la criminalité organisée. Cette économie
de guerre, basée sur les trafics de tout genre, est venue se greffer sur un
espace de pauvreté et de non droit. Ici, loin de la capitale et des autorités,
s’est développée, depuis tout temps, une mentalité de sédition et de mise en
réseau des activités illégales. Cela va du trafic de cigarettes et des produits
de première nécessité, à celui de la drogue et des armes, et, pour faire le
tour, le Jihad s’installe et encadre désormais toute l’activité.
Voilà pourquoi l’enjeu principal en Tunisie
est d’abord celui de la restauration de l’autorité de l’Etat. La première
conséquence de la révolte étant justement l’effondrement des structures
étatiques.
Suit ensuite la nécessité de trouver un équilibre entre les
extrêmes : d’une part les Salafistes (Jihadistes ou non) qui perturbent et
déstabilisent la Nahda, parti islamiste plutôt moderniste ; d’autre part
les tenants d’une laïcité qui frise l’athéisme et qui veulent imposer à la
société tunisienne un modèle qui ne lui sied pas forcément, et qui, par leur
action, parasite les revendications démocratiques et modernistes légitimes de
la société tunisienne. Les premiers ne veulent pas entendre de la démocratie qu’ils
assimilent à une hérésie. Les seconds instrumentalisent la peur développée face
à l’Islam politique pour remettre en cause les résultats des urnes en obligeant
la Nahda à renoncer au pouvoir. Les deux extrêmes se nourrissent l’un de l’autre.
D’où le désordre actuel qui a abouti à la dissolution du gouvernement né des
premières élections libres et à la suspension d’un processus politique qui
aurait dû aboutir à la mise en œuvre d’un modèle tunisien. Nous en sommes là,
trois ans après le déclenchement de ce que certains ont appelé pompeusement «la
révolution du jasmin» et qui n’est déjà qu’un soubresaut d’une société qui
se cherche en l’absence d’un éclairage que l’élite aurait dû fournir.