Sur son site www.ichidou.net, Me Mohameden Ould Ichidou, avocat, opérateur
politique et (grand) homme de culture, raconte, pêle-mêle, quelques souvenirs
qu’il essaye merveilleusement bien de lier entre eux pour en faire une fresque
où se superposent des tableaux de plusieurs Mauritanie-s.
Celle qui a fait son enfance et qui baignait dans l’insouciance et le
bonheur d’être. Cette Mauritanie-là se distinguait par la facilité de l’accomplissement
de soi. Puis la Mauritanie dite «moderne» qui demande une préparation, des
efforts pour réussir l’accompagnement d’un Monde qui s’impose à soi. Cette Mauritanie-là
est celle d’une transition inaccomplie… Enfin, la Mauritanie des accidents,
celle qui a souffert de la crise écologique née de différentes sécheresses qui
ont détruit le cheptel et limité l’activité agricole. Une Mauritanie qui a subi
la destruction de son tissu économique traditionnel autour duquel se maintenait
un système social cultivant des valeurs que l’on croyait immortelles… C’est
cette Mauritanie-là dont nous vivons encore l’agonie… Les évolutions y sont
rapides et brusques. Les processus inexistants parce que tout peut arriver n’importe
quand et avoir n’importe quelle conséquence, parce que tout est fruit de l’accident.
Et pour traduire cet état de fait, je m’en vais reprendre cette histoire qu’il
raconte dans un style qu’il est le seul à pouvoir produire.
On est en 1987, l’avocat qu’il est défend son ami et compagnon Baypekha,
armateur propriétaire d’un bateau qui avait été heurté par un chalutier
espagnol que l’avocat essayait de faire payer les dommages. Une semaine que les
négociations duraient. La partie espagnole annonce l’arrivée, dans la soirée, d’un
avion spécial transportant le directeur général de la société à laquelle le
chalutier appartient et les pièces endommagées par le chalutier.
Les négociations reprennent, cette fois-ci en présence du premier décideur
de la société espagnole. Elles durent toute la nuit. L’avocat de Baypekha ne
veut aps entendre parler d’une simple réparation de pièces, mais de dommages. La
partie espagnole veut s’en tenir au remplacement des parties endommagées.
A un certains moment de la nuit, on s’arrête pour un café. Un moment de
détente. Les deux négociateurs en chef, le directeur général de la société
espagnole et l’avocat Me Ichidou, se retrouvent face-à-face. L’avocat se
surprend en train de fixer le visage de son vis-à-vis, de plonger dans son
regard comme lire en lui. «Tu n’es pas Akhyarhoum Ould Ahmed Ould Brahim dit Kaw ?» «Açlaana huwa yakhuya…(c’est bien moi, frère)». Les mots viennent d’eux-mêmes…
Les deux hommes s’étreignent longuement. Ils ne sont pas vus depuis la fin des
années 50, quand, jeunes, ils passaient de campement en campement, de tente en
tente, dans cette Mauritanie de l’insouciance et de la plénitude.
37 ans après, ils se
retrouvent, chacun emporté par une vague qui l’a mené là où il est. Les négociations
sont clôturées le soir même par la satisfaction des deux parties. Les deux
hommes se quittent pour ne jamais se revoir que peu de temps avant la mort de «Kaw»
qui préfèrera rentrer ici pour terminer sa vie parmi les siens.