Nous
arrivons évidemment à la fin d’un cycle politique qui a commencé à la veille de
l’indépendance nationale et qui a survécu jusqu’à présent aux multiples
bouleversements que le pays a connus. Le système politique mauritanien est en
train de muter pour donner, espérons-le, quelque chose de neuf et de nouveau.
De «neuf» dans la forme et de «nouveau» dans le contenu.
Si
l’on prend comme référence le Congrès d’Aleg de 1957, on peut considérer que la
première phase de ce cycle a été la plus longue parce qu’elle s’estompe avec la
libéralisation de l’espace politique public qui a donné les partis (1991).
Cette
phase se caractérise par le monopole exercé par l’Autorité publique sur la vie
politique et, conséquence de cette mainmise, l’obligation pour les voix «discordantes»
à s’exprimer dans la clandestinité. Les outils et supports de cette expression
sont le tract, le graffiti, les chants anonymes, la mobilisation «au noir»… ce
qui a donné les groupuscules politiques qui ont animé les frondes des années
60, 70 et 80 : les nationalistes arabes et/ou négro-africains, les
gauchistes d’obédience communiste (staliniens, maoïstes, trotskistes…), les
islamistes…
C’est
l’époque de la floraison des courants monolithiques qui ont imprégné la scène
et qui ont fini par en être l’idéologie nourricière. Le travail politique s’est
alors limité à une lutte frénétique pour la proximité du pouvoir. Le jeu
consistait à approcher, pour les manipuler, les apparatchiks du pouvoir en
place. Et pour ce faire, œuvrer pour éloigner voire éliminer toute velléité
concurrente. Le rapport violent de la relation entre acteurs est né de cette
volonté de tout prendre à soi en excluant – en «mettant hors d’état de nuire» -
tout autre acteur politique concurrent. Chaque mouvement a ainsi participé à la
répression des autres en la justifiant et même en jouant le rôle de l’indic.
Quand
survient la démocratisation en 1991, les mouvements et groupuscules sont tous
passés par la case de victime d’une répression et par celle de commis de
l’appareil répressif. La scène publique était devenue un champ de recyclage
d’anciens prisonniers torturés qui reprenaient du service, le temps de se
venger sur les autres en manipulant l’Appareil d’Etat. C’est d’ailleurs parmi
les acteurs politiques – les leaders et activistes de mouvements clandestins –
que se recrutaient les hommes de renseignements. Cela permettait à l’Appareil
de suivre «de l’intérieur» et aux mouvements d’investir les officines pour
pouvoir les manipuler.
La
naissance des partis, conséquence de l’ouverture politique imposée par la situation
internationale, devait aboutir à la disparition progressive des méthodes et des
logiques qui ont marqué les trente premières années de la République. Une
période de transition va suivre caractérisée par la cohabitation entre le
système totalitaire et ses méthodes et une démocratie limitée à l’existence de
partis politiques réduits à des faire-valoir pour un régime qui ne lâche
finalement rien.
Les
dérives autoritaires laissent des blessures profondes : 1989, 1990 et 1991…
avec leur lot de tristesse, de massacres, de déportations et d’emprisonnements…
La démocratisation, loin de régler les contentieux, donne raison aux
expressions extrémistes avec la naissance des discours particularistes se
basant sur l’instrumentalisation des tares sociales (esclavage) et des
injustices nés des exactions commises durant les années de braise (89-91).
Les
acteurs politiques, adeptes du «tout ou rien», adoptent le boycott comme forme
de résistance. Ce qui contribue à les marginaliser et consacre la fin du
processus de démocratisation.
Le
blocage, la détérioration des conditions de vie des populations, l’échec
évident des programmes d’ajustement dont l’expression marquante fut
l’utilisation excessive des faux chiffres par le pouvoir, la destruction des
mécanismes traditionnels de solidarité sociale, le dressement des communautés
les unes contre les autres, la promotion des particularismes, la privatisation
des biens communs au profit d’une minorité qui a fini par «acheter» (s’approprier)
le pays, et, plus grave, la fragilisation de l’Appareil de défense et de
sécurité qui a provoqué l’attaque de Lemghayti signe précurseur d’un
effondrement planifié par le régime en place… tout cela va justifier –
amplement justifié – le coup d’Etat d’août 2005.
La
période de transition (2005-2007) devait servir à asseoir un système politique
nouveau, mais les résistances de l’ancien monde ont obligé à passer par les
secousses qui ont suivi : la fronde de 2008 puis le coup d’Etat, la
logique de confrontation qui a marqué les dix dernières années, les boycotts et
les participations ratées, les déchirures au sein des formations politiques…
Ce
parcours cahoteux pour les acteurs politiques va leur imposer de subir le cours
des événements sans jamais réussir à le changer, même pas à l’influencer.
L’Opposition avait fini par parier sur le troisième mandat. Préférant mobiliser
autour de cette éventualité au lieu de préparer l’échéance. Incapable
d’identifier ce qui peut l’unir, elle est réduite aujourd’hui à aller en rang
dispersé.
Le plus grand des partis d’opposition,
Tawassoul, a choisi le candidat par défaut après avoir refusé le principe de la
candidature de l’intérieur de l’opposition. Pari risqué quand on sait que
l’aventure va nécessairement prendre la forme d’une réhabilitation d’un passé
par le biais du recyclage de ses hommes. Elle comporte aussi des risques pour
ce parti qui se retrouve à la manœuvre dans cette opération de lifting. Le
candidat du parti Tawassoul aujourd’hui incarne tout ce que les militants de ce
parti prétendaient combattre.
L’Union
des forces du progrès (UFP) réussit à légitimer l’absorption de l’héritage du
Président Ahmed Ould Daddah et à s’allier ainsi au Rassemblement des forces
démocratiques (RFD) à un moment où les deux partis venaient d’accuser un retard
substantiel par rapport à Tawassoul notamment. Le boycott systématique des
dialogues et des scrutins a affecté l’exercice politique et l’influence
populaire des deux partis. En se lançant, comme ils l’ont fait, à l’aventure,
les deux partis risquent leur survie : au cas où ils arrivent derrière le
candidat de Tawassoul et/ou celui de Sawab/Ira, c’est une fin assurée qui
attend cet attelage qui fait oublier, le temps d’une campagne, tout ce qui a pu
opposer ces deux formations.
Le
mariage contre-nature entre IRA et les Baaths de Sawab est une troisième
variante des déviances qui caractérisent l’espace politique traditionnel et qui
ne sont finalement que le signe précurseur d’un effondrement programmé. Même si
le candidat Biram Ould Abeid peut se prévaloir d’être le premier candidat à
s’être déclaré, le refus de ses compagnons de l’adopter comme «candidat
principal de l’Opposition» en fait déjà l’expression d’un marginalisme évident.
Le discours populiste aidant, le candidat Ould Abeid est condamné à jouer
contre tous pour se présenter comme la promesse d’avenir. Tout dépend de
comment va-t-il trouver le point d’équilibre entre le discours violent et
revanchard et l’attitude raisonné de l’homme d’Etat rassurant pour une bonne
partie de la population.
Il
y a enfin, la candidature de Kane Hamidou Baba qui se présente comme étant «le
candidat des communautés négro-africaines». Avant de créer son Mouvement pour
la Refondation, il avait été un soutien inconditionnel du Président Ahmed Ould
Daddah qu’il a suivi de l’Union des forces démocratiques (UFD), à UFD/Ere
nouvelle puis au RFD qu’il a quitté au lendemain du coup d’Etat du 6 août 2008
qu’il avait soutenu avant de se porter candidat en juillet 2009.
Certains
observateurs estiment qu’il va pêcher dans le même électorat que convoitent les
candidats Mohamed Ould Maouloud (UFP/RFD) et Biram Ould Abeid. D’autres
rappellent plutôt son résultat en 2009 quand il a eu 11.568 voix soit 1,49% des
suffrages exprimés arrivant 7ème après Mohamed Ould Abdel Aziz
(52,58%), Messaoud Ould Boulkheir (16,29%), Ahmed Ould Daddah (13,66%), Mohamed
Jemil Mansour (4,76%), Ibrahima Moctar Sarr (4,59%) et Ely Ould Mohamed Val
(3,81%).
Jusqu’à
présent les «aventures» électorales ont été «passées» au registre des «pertes
et profits». Ce qui explique le comportement quelques fois «incalculé», pour ne
pas dire «irréfléchi», des acteurs politiques constamment à la recherche de la
confrontation sans prise en compte du rapport de force sur le terrain.
Cette
fois-ci, ceux parmi eux qui auront perdu la bataille devront se résoudre à
quitter définitivement la scène politique. Ils ne pourront point s’accrocher au
sempiternel argument de «la manipulation des élections».
Aucun
de ceux qui se présentent aujourd’hui face au candidat de la Majorité, ne
survivra au temps de l’échéance. Seul le candidat Biram Ould Abeid pourra faire
partie du paysage futur, s’il réussit à gagner ce pari de la modération et donc
de «l’utilité» pour une cause unanimement prise en compte, y compris par le
candidat Mohamed Ould Ghazouani qui lui a consacré une partie de son discours.
Tous
les autres mènent ici leur dernière bataille. C’est la survie des partis qui
est ici en jeu.