Commentant son dernier ouvrage, Cosmos, le philosophe
français Michel Onfray nous apprend deux choses fondamentales que je voudrai
partager avec ceux de mes compatriotes qui ont encore le temps et le souci de
lire et d’apprendre des autres.
«La parole est survalorisée dans ce
monde où l’angoisse contraint les humains à boucher les trous ontologiques par
un flux continu de mots qui, la plupart du temps, ne veulent rien dire – flatus voci. Le silence est pris pour une agression, un désintérêt,
alors que c’est le flux ininterrompu de mots qui est agression et désintérêt du
monde. Quand peu parler s’accompagne de bien parler, parler juste et profond,
le verbe est un trésor, et le silence aussi, puisqu’il le rend possible.»
En lisant ces lignes, on ne peut s’empêcher de penser à
notre scène médiatique et culturelle. Des flots ininterrompus de paroles qui
commencent très souvent par des affirmations rapidement infirmées par les
développements qui suivent, pour finir fatalement sur des conclusions
complètement inattendues voire improbables. En général, l’on à dire n’importe
quoi quand on sent qu’il n’y a pas de comptes à rendre, quand on n’est pas
comptable de ce qu’on dit. Alors on peut dire tout et son contraire. A entendre
ceux parmi nous qui squattent l’espace public – la gazra est un phénomène bien
de chez nous -, on est sidéré par la facilité avec laquelle on peut se
permettre de pérorer, disserter sans retenue, sans réserve.
Ce soir j’ai entendu un homme politique mauritanien
défendre ardemment l’ancien Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré. Il en
voulait au journaliste qui avait utilisé les termes «dictateur» et «sanguinaire»
à l’endroit du Chef d’Etat burkinabé renvoyé par une révolution populaire après
avoir cherché par tous les moyens à traficoter les Institutions de la
République pour rester au pouvoir. «Il faut retirer ces appréciations parce
que tu n’as pas vu le Burkina Faso et ce que Blaise en a fait. Si tu avais été
au Burkina, tu n’aurais pas dit de telles absurdités à l’encontre de cet homme
qui a fait du Burkina un pays moderne et développé…» Selon cette logique,
il ne faudra pas dire de Kadhafi qu’il a été un dictateur, ni de Ben Ali, ni
Moubarak, encore moins de Assad…
Tout dire pour ne rien dire dans la réalité. Ecoutez-les,
prédicateurs, tribuns politiques, intellectuels, poètes. Lisez-les, écrivains,
analystes des hebdomadaires, quotidiens et sites multiples, scribouillards de
toutes origines. Ecoutez-les, lisez-les et essayez de sortir une idée, une
proposition, un diagnostic complet d’une situation, un constat irréprochable… vous
m’en direz des nouvelles, disent ceux de RFI.
Que reste-t-il ? Les insultes et les mauvaises
prophéties. «L’agression», c’est ce qui reste quand on a tout perdu… en
matière d’arguments, de logique, de vérité. Ensuite la peur : «Faire
peur est tout juste bon pour ceux qui ont renoncé à la raison – et qui sont
nombreux ces temps-ci», nous apprend Michel Onfray.
«Parce qu’un philosophe qui utilise la
peur comme méthode renonce à la raison, à l’éducation, à la démonstration, à la
persuasion, au dialogue, à l’échange pour tabler sur les passions, le pathos,
le sentiment, l’émotion, qui sont mauvais conseillers quand on veut penser
juste et droit.» Il suffit de remplacer le
mot «philosophe» par «politique» ou «intellectuel» ou
encore «activiste», pour décrire ce qui se passe présentement chez nous.
Pouvoir convaincre, séduire par la force de l’argument et la pertinence de la
proposition, ce n’est pas ce qui est recherché. Plutôt installer l’opinion
publique dans une atmosphère de déraison, dans une logique d’incertitudes, de
peur du lendemain immédiat… Les acteurs de chez nous oublient qu’en nous
désespérant du présent, ils nous disent qu’ils n’ont pas de futur à nous
proposer.
Ici apparait l’urgence d’un changement qui passe
nécessairement par cette jeunesse dynamique, nourrie de modernités, plus ou
moins libérée des carcans… cette jeunesse doit oser et risquer… ce que ses
ainés n’ont jamais fait.