On
m’apprend la mort de Bekar Ould Mohamed, un anonyme aujourd’hui, du moins pour
la plupart d’entre vous. Je ne l’ai pas connu, je n’ai pas eu cet honneur-là. Malheureusement
pour moi. Mais j’ai connu Cheikh Mohamed Lemine Wul Sid’Mhammed qui l’a connu,
qui l’a aimé comme un frère, qui l’a taquiné comme un ami, un vrai, des qu’on
ne trouve plus.
Il
en parlait toujours avec le sourire nostalgique qui trahit l’attachement
profond. Pour lui, ce descendant de la lignée d’Ehl Souweid’Ahmed avait toutes
les qualités du guerrier, cultivait toutes ses valeurs… La grandeur, la
candeur, l’humilité, la vivacité d’esprit, la tolérance, l’amour de la poésie,
la spontanéité… Quand Cheikh Mohamed Lemine évoquait ses aventures communes
avec Bekar ou quand il expliquait les différents qui l’ont opposé à son «frère» Hammoud Wul Ahmedou, il exprimait
une émotion profonde et se laissait submerger par des sentiments mitigés. Une
tristesse amusée et une joie mélancolique… le souvenir d’un temps qui fut le
plus beau… le regret d’un monde qui a fini par crouler sous les coups répétés
des adversités… Assez pour percer la carapace du «monstre» et révéler toute la douceur, toute la sensibilité de
Cheikh Mohamed Lemine
La
mort de Bekar est pour moi l’occasion de revisiter le poète, le génie de Timbedgha,
l’ami et frère de Bekar. D’abord le poème le plus connu dans l’espace Bidhâne
et qui n’est finalement qu’un échantillon. Il ne faut jamais croire que dans l’œuvre
de Cheikh Mohamed Lemine, il existe un poème qui soit «une perle». Chaque poème est un échantillon et tous ses poèmes sont
des «perles».
«Yamiss ’and il
karkaar /
Jaaw
‘lina Khittaar/
Ahlu
‘aadu bEgueyl/
Wu’lim biiha Bekaar/
Wujhad’ha
biih alwayl
Ulaa
hassayt blakhbar
Ilyan
il ‘aad illayl/
Emmaana
yalma ‘buudd/
Lukint
e‘limt gbayl
‘anhum bEgayl en’uud
gayalt gbayl Egeyl»
(Hier à el karkaar/des étrangers ont annoncé
que les gens de Billehbaar/étaient désormais à Egueyl/Bekar l’a appris/me l’a
caché par malice/je n’ai appris la nouvelle/que tard dans la nuit/mais moi par
dieu/si j’avais su plus tôt/qu’ils étaient à Egueyl/je serai plutôt/dans la
journée allé à Egueyl)
Autre
échantillon de cette poésie sublime qui reste à collecter et à partager par le
grand public :
«hadha eddahr vshi kaan/
imn etrab lazawaan/
wutlahiig ishuban/
laahi viih eski biih/
u hadha akhiru ezzaman/
laahi ‘idt innawiih/
inra’iviih iban/
shmaadha yatra viih/
min teqlaab ivlayam/
u dhaak ilyaana tembiih/
’lannu billi gaam/
maahu lahi tem biih»
(Au tout début de ce Temps-là/étaient l’harmonie
et la musique/ce temps qui commença/par l’insouciante jeunesse/à la fin, il
fait faux bond :/les jours changent/pour me rappeler/que le commencement
de ce Temps-là/ne restera pas comme il avait commencé)
Le
souvenir de ses hommes doit rester pour servir à mouler un modèle pour les
générations d’aujourd’hui, celles qui ont perdu les repères et qui se sont,
pour cela, retrouvées assises entre deux chaises.
Qu’Allah
allège nos souffrances, nous qui leur avons survécu et qui avons la lourde
tâche d’entretenir leur souvenir.
Que la famille de l’une des dernières incarnations d’un
temps lointain, âge d’or d’une culture qui a fait le Traab el Bidhâne, que la
famille de Bekar, que ceux de Tembedgha et d’Ashram, du Hodh et du Tagant
trouvent ici l’expression de mes condoléances attristées.