A quelques kilomètres d’Atar, on descend la passe de N’tarazi et on
se trouve «aspiré» par la plénitude… Au bas de la montagne s’étalent de
grandes oasis qui épousent parfaitement les parcours des oueds qui ont creusé
la vallée de Teyaret… Au nord-est la montagne, à l’ouest la montagne, à l’est
la montagne… la pierre noire qui met en valeur la couleur du sable qui entoure
les palmeraies comme pour les engloutir… Un relief qui s’est constitué sur des
millions d’années. Une occupation humaine qui date d’au moins dix siècles.
Il y eut probablement une peuplade appelé Bavour. On ne sait pas grand-chose
de cette peuplade sinon que sa langue était l’Azer, un mélange de berbère et de
soninké. D’ailleurs on en trouve quelques résidus dans le parler des Soninkés d’aujourd’hui.
On dit que les Bavour avaient été convertis au Christianisme puis
au Judaïsme et enfin à l’Islam. Qu’ils adoptèrent enfin un islam kharijite
ibadite. On dit aussi qu’ils avaient une capitale où le chien était l’animal le
plus présent, d’où le nom donné par les voyageurs arabes «medinat el kilaab»
(la ville des chiens). C’est dans cette ville que l’Imam Al Hadrami aurait
écrit son essai politique qui présageait Le Prince de Machiavel. C’est ici que
ce vénérable érudit serait mort et aurait été enterré.
On dit qu’elle deviendra l’une des premières forteresses des conquérants
almoravides (Mourabitoune), qu’elle aurait été prise par le frère de Yahya Ibn
Omar, l’un de leurs chefs. Au fil des siècles et des conquêtes, Azougui a
finalement été une prestigieuse oasis coincée entre les plateaux de l’Adrar, là
où ils culminent.
L’un des notables de la ville, Ahmed Ould Eyih nous relate
gentiment l’histoire d’Azougui. Il peut surprendre d’entendre un homme de cet
âge tenir des propos d’une certaine rigueur scientifique, expliquant la
succession de peuplements sans état d’âme particulier et avec une note de
fierté certaine.
Il nous fait visiter les anciens monuments sortis des décombres par
des fouilles qui ont cessé depuis longtemps, puis la tombe de l’Imam Al
Hadrami. Sans excès, il explique que l’intérêt public à ce pan de l’Histoire ne
semble pas effectif. «Des responsables viennent de temps en temps promettre
que des travaux vont être entrepris, que des efforts vont être consentis… mais
on attend toujours…»
Commencées effectivement au milieu des années 70, les campagnes de
fouilles du site d’Azougui se sont brutalement arrêtées au début des années 80.
Ils avaient permis de déblayer une partie de ce qui paraissait être les pans d’une
forteresse ancienne. Juste sur une surface qui ne doit pas dépasser les 15 m2
et qui affleure encore malgré l’abandon par les officiels des travaux. Faute de
moyens et de personnels qualifiés, la Mauritanie est incapable de continuer les
travaux de recherche archéologiques commencés sous l’égide d’experts français
et sur financement de la coopération française.
Il y a aussi le manque d’intérêt certain des autorités et du public
pour tout ce qui touche au patrimoine, particulièrement les vestiges anciens.
Dans les années 60, le pays était une véritable Mecque pour les
archéologues. A partir de Dakar, des missions ont organisé de nombreuses
campagnes de recherches. Le mouvement était si intense que la Mauritanie se
trouva dans l’obligation de créer son propre institut de recherches
scientifiques (IMRS). Il aura pour mission de préserver, de valoriser et de
développer la connaissance du patrimoine national. Au début des années 70 les
fouilles à Tegdawst (Awdaghost) et Koumbi Saleh en font un véritable instrument
de recherches scientifiques. L’appui personnel du Président Moktar Ould Daddah
aux efforts des chercheurs qu’il rencontrait souvent et qu’il visitait sur les
lieux de travail parfois, cet appui a réellement servi.
Une véritable école de l’archéologie de la période médiévale a
ainsi vu le jour ici. Les professeurs-chercheurs Serge et Denise Robert, Bernard
Saison, Sophie Berthier, avec le concours de sommités comme Jean Devisse,
encouragèrent des étudiants de l’Ecole normale supérieure de Nouakchott à s’orienter
vers le domaine de l’archéologie médiévale. D’autres comme Robert Vernet eurent
des disciples dans la recherche en préhistoire. Un engouement certain naquit
chez les étudiants de l’ENS pour ces histoires du passé. Une ferveur qui allait
survivre aux aléas jusqu’au milieu des années 80.
L’arrivée au pouvoir en France des Socialistes a changé les
orientations dans la priorisation des secteurs d’aide au développement. Au moment
où le retrait de l’expertise française ne pouvait être entièrement comblé. Comme
tout le secteur de la culture, celui de la recherche et particulièrement de l’archéologie
tomba en désuétude. Quelques tentatives de le relancer cependant.
Celle couvrant la préhistoire et qui a permit à Robert Vernet de
revenir grâce à un accord avec le pétrolier Total. Pour éviter que les recherches
et essais sismiques ne détruisent les sites anciens, des campagnes de recherche
ont été lancées sur financement de la société et impliquant un personnel
mauritanien. De ces campagnes sortirent des cartographies et descriptions de
sites préhistoriques où étaient enfouis d’immenses trésor témoignant d’un
néolithique florissant.
Quant à l’archéologie médiévale, des campagnes ont failli être lancées
au niveau de Koumbi et Tegdawst en 2007. Alors que les contrats étaient signés,
que la logistique avait été déployée, que les équipes s’apprêtaient à se rendre
sur les lieux, survint l’assassinat des touristes français à Aleg. Un autre
crime des groupes jihadistes… Tout s’arrêta.
On est aujourd’hui au point mort. Pour relancer
la recherche dans le domaine il faut d’abord la volonté politique, ensuite les
moyens financiers et humains, enfin l’intérêt prononcé (et partagé) pour le
patrimoine… autant dire l’impossible ou presque.