La
visite de l’une des villes anciennes est toujours une occasion de refaire le
chemin supposé être celui de dizaines d’hommes et de femmes nous ayant précédés
dans cet espace qu’ils ont probablement fixé tel qu’il est aujourd’hui. Partir
vers la vieille mosquée de la ville de Chinguitty n’est pas un simple acte de
dévotion. C’est aussi un moment d’introspection profonde et de communion avec
un espace et ses hommes.
En
ce vendredi, j’ai préféré y aller très tôt. Prendre les chemins que prenaient
de grands érudits en leur temps, descendre les ruelles les unes après les
autres, passer devant ce qui semblait avoir été une école coranique avec son
espèce d’internat, pour se retrouver devant la mosquée sans avoir été guidé par
autre chose que les traces de pas qui réussissent à marquer l’étendue de sable
qui tente d’engloutir ce qui reste encore de la vieille cité.
On
peut imaginer que dans le temps, la mosquée surplombait les environs, que son
minaret était visible à des lieues de là, qu’il permettait aux voyageurs perdus
dans les dunes du Ouarane et sur les escarpements du D’har de se retrouver et
de se savoir sauvés. Aujourd’hui, il faut être à côté pour voir le minaret. Il
faut descendre des marches pour entrer dans la cour de la mosquée. Descendre un
autre niveau pour se retrouver à l’intérieur de l’édifice.
Deux
ou trois personnes sont déjà là. Après les rak’at obligatoires à l’entrée d’une
mosquée, on peut, si l’on veut discuter de choses et d’autres en attendant
l’appel officiel à la prière.
Mes
voisins parlent de l’état du pâturage dans le Tiris et le Zemmour. L’un d’eux
explique qu’il a préféré envoyer son troupeau vers l’Assaba, «même si cette
région est infestée de moustiques et qu’elle reste hostile à l’homme d’ici».
Comme on voit l’intérêt que suscite le sujet chez le citadin d’à côté, on
l’associe pour trancher : «Sur la route des régions du Sud, il y a
quelques nourritures comme le sbat ou oumerekba, il y a l’eau et il n’y a pas
cette nécessité de faire le déplacement d’un trait. Alors que vers le Nord,
l’inexistence de quoi manger pour les bêtes, la rareté de l’eau nous obligent à
faire quinze jours de déplacements continus pour arriver dans le Tiris, quinze
jours sont nécessaires pour aller jusqu’au Zemmour et c’est là où les dernières
pluies ont véritablement arrosé».
Contre
argument de son interlocuteur : «Mais quand tu arrives au Zemmour et
même déjà au Tiris, une semaine suffit pour voir les animaux doubler de poids,
au point de ne plus distinguer le chamelon de sa mère que par la trace de ses
petits pas. Alors que de l’autre côté, tu as la fièvre, les maladies qui
affectent les animaux, l’eau impropre…»
Le
premier appel à la prière interrompt la conversation. Un appel qui est suivi
par une litanie dont une première partie est consacrée à glorifier le Créateur,
une deuxième à demander aux Croyants de se préparer à la prière et une
troisième à dédier une dévotion particulière au Prophète Mohammad (PSL). C’est
la première fois que j’entends pareille chose. Je me dis que c’est probablement
comme ça que nos ancêtres faisaient, si ce n’est un rite introduit plus ou
moins récemment. Autre particularité : trois muezzins vont se succéder
pour faire le même appel à la prière ailleurs lancé en un seul moment et par la
même personne.
L’Imam Isselmou Ould Bah n’a pas besoin de
haut-parleur pour faire entendre sa voix cassée : l’autorité morale est là
pour imposer ce timbre fatalement affecté par l’âge. La prestance et le
charisme n’exigent finalement pas un physique dissuasif : le frêle
sexagénaire en impose à tous les présents. Il parle de la fraternité, de la
solidarité, de l’altruisme, de l’humanisme et de la fraternité… dans une
société tiraillée par les querelles nourries par les cloisonnements tribaux et
politiques, empoisonnée par la pesanteur d’un passé encore très présent… Puis
le Saint homme entreprit d’invoquer la Toute-puissance divine pour arroser ces
régions et leurs habitants. L’invocation prit le ton dramatique avec la
description de l’état des bêtes et des hommes, des arbres et de la nature en général…
Le ton était solennel mais emprunt d’humilité. Toute une leçon en moins d’un
quart d’heure, un rite sans manière tout en gardant sa profondeur et sa
sacralité.