C’est jour de fête au Sénégal, jour d’investiture du nouveau Président Macky Sall sorti largement vainqueur de l’élection du 25 mars (deuxième tour). Jour d’adieu pour Abdoulaye Wade, le président qui a voulu s’accrocher au pouvoir en tripatouillant la Constitution et qui a finalement dû se résoudre à respecter la volonté du peuple sénégalais.
C’est que l’opposition du Sénégal a participé malgré la dénonciation de l’inconstitutionnalité de la candidature de Wade. Tout en dénonçant ce fait, elle a refusé la solution idiote du boycott qui ne mène qu’à l’exclusion du champ politique. Elle a ensuite eu la force de se ranger toute entière derrière le candidat qui représente à ses yeux le changement, le challenger de celui qui était là. Macky Sall n’aura perdu aucune voix des reports déclarés.
C’est qu’enfin, quand le président sortant Abdoulaye Wade a compris que le vent tournait définitivement, il s’est empressé de féliciter le gagnant et de tourner ainsi la page. Quand on perd, on doit avoir le courage de le reconnaitre. Ce qui est normal ailleurs, peut paraitre comme un mérite et un exploit pour nous autres mauritaniens qui n’avons jamais vu un homme politique s’avouer vaincu.
La cérémonie était sobre. Elle fut organisée dans les jardins d’un hôtel de Dakar, le même hôtel qui a vu les pôles politiques mauritaniens parapher l’Accord de Dakar de juin 2009. Sous l’égide du Président Wade et surtout grâce à la médiation de son ministre des affaires étrangères de l’époque, Cheikh Tidjane Gadio. Brillant, le diplomate signait ces jours-là son acte de «renvoi» du gouvernement. Le Président Wade ne cachant plus ses indispositions vis-à-vis de celui qu’il sentait comme un concurrent potentiel.
Cet Accord de Dakar qui continue d’occuper les esprits et les bouches chez nous, avait pour objectif de trouver une sortie de crise pour la Mauritanie. Le package trouvé consistait à mettre en place un gouvernement d’union nationale où les deux pôles de l’opposition auraient chacun un tiers des portefeuilles. Il faut le répéter tant que certains essayent de bloquer le pays autour de la question : avec pour les opposants les ministères-clé de l’intérieur, de la communication, des finances et de la défense. En plus des deux tiers de la CENI dont le président était un proche (et même plus) de l’un des pôles.
Paraphé à Dakar, il a fallu de gros efforts et quelques deux longues semaines de négociations pour le faire signer à Nouakchott. Puis d’autres négociations et d’autres précieux jours pour en appliquer les premiers aspects, notamment la démission du Président Ould Cheikh Abdallahi. ‘On’ croyait à l’époque pouvoir en reporter les échéances à plus tard. Bataille perdue. Incapable de se ranger derrière un seul candidat, l’opposition est partie en rangs dispersés. Ahmed Ould Daddah, Messaoud Ould Boulkheir, Jemil Ould Mansour, Saleh Ould Hanenna, Sarr Ibrahima auxquels il faut ajouter l’ancien président du CMJD Ely Ould Mohamed Val… Le 18 juillet 2009, Ould Abdel Aziz l’emporte avec 52%, Ould Boulkheir arrive en deuxième, suivi de Ould Daddah, les autres collectent moins de 6% chacun. La suite, on en vit encore les soubresauts.
Un cycle de non reconnaissance qui va jusqu’à juillet 2010, quand le chef de file de l’Opposition, Ahmed Ould Daddah est reçu par le Président Ould Abdel Aziz et qu’il déclare que «la glace est brisée». Ould Mansour, le chef du parti islamiste Tawaçoul avait reconnu au lendemain de l’élection. Ould Boulkheir et les autres commenceront à normaliser avec le pouvoir en juillet 2010. Arrivent les événements de Tunisie et d’Egypte, un nouveau cycle de non reconnaissance est inauguré. Il continue pour certains, ceux qui ont refusé de participer au dialogue et qui demandent aujourd’hui au pouvoir de céder la place. Autant dire que notre classe s’est résolue à nous faire tourner en rond, de crise politique en crise politique, d’élection en élection, de boycott en boycott…
Rien à voir donc avec ce qui se passe chez nos voisins du Sénégal. En 52 ans d’indépendance, nous avons eu sept présidents dont deux ont été élus plus ou moins régulièrement : Sidi Ould Cheikh Abdallahi et Mohamed Ould Abdel Aziz. Le premier parce que son élection a été le couronnement d’un processus accepté par la plupart malgré la forte interférence en sa faveur du pouvoir militaire de l’époque. Le second parce que son élection a été organisée par un gouvernement d’union nationale où ses adversaires avaient les portefeuilles clés dans une élection.
Au Sénégal on en est au quatrième. Chacun de ceux qui sont partis, de Senghor à Wade, l’a fait volontairement et sans résistance. L’accumulation de toutes ces expériences et l’intelligence de la classe politique sénégalaise sont à l’origine de la belle image que renvoie le Sénégal aujourd’hui. Un bémol cependant : ce lundi, aucun mot, aucun hommage à l’adresse du président sortant Abdoulaye Wade. Tout est pour le nouveau, comme quoi…