Un
enseignant donne à ses élèves un exercice où il leur demande de conjuguer le
verbe «saraqa» (voler) à tous les temps de la langue arabe : le présent
progressif (présent+futur), le passé et l’impératif. Que faut-il en dire ?
qu’il n’a pas trouvé un autre verbe dans cette langue par lequel il pouvait
évaluer l’acquisition de connaissances des enfants ? que tous les verbes
se valent ? qu’il s’agit pour lui d’un verbe incolore et inodore et qu’on
devait donc familiariser les enfants avec sa conjugaison ?
Quoi
qu’on dise cela est révélateur de l’état d’esprit qui prévaut désormais chez
nous avec notamment ce renversement de l’échelle des valeurs qui fait que le
pire des comportements est normalisé. On en parle, on en a parlé mais il faut
en reparler encore… Notre système de valeurs a foutu le camp sans être remplacé…
La transition malheureuse que nous vivons depuis quelques décennies a cultivé
certaines «perversités» sans donner de réelles valeurs…
Ces
perversités commencent par cette culture de l’approximation dont je vous
parlais hier, avec son corollaire : le mensonge comme valeur dominante. Aucun
scrupule à répéter des histoires dont on sait qu’elles sont fausses… qu’on se
plait à les répéter. Ici on ne demande pas à celui qui produit l’information –
journaliste, homme de salons, chômeur désœuvré…- d’être précis dans ce qu’il
dit, d’être juste ou d’être vrai dans la relation des faits. On lui demande
plutôt d’être racoleur, extravagant et imaginatif. Dans une assemblée où vous
rapportez un fait ce qui fera l’objet de discussions donc ce qui aura retenu l’attention,
ce sont toujours les aspects les moins formels, ceux qui peuvent souffrir l’interprétation…
Mais
revenons au verbe «voler» (saraqa) et à ses utilisations. Dans le temps, on
disait d’un chien dont on défendait l’utilité pour le campement (les gens du
désert n’aiment pas les chiens et cherchent toujours des prétextes à les
exterminer), on en disait donc pour les protéger : «le chien de untel ne
vole pas». On sous-entend qu’il n’est pas dangereux de le laisser parmi les
humains parce qu’il n’utilise que la nourriture qui lui est servie dans des récipients
qui lui sont réservés. Il ne va pas donc »souiller» les autres récipients
utilisés par les hommes. Ce qui fait que la qualité exprimée à travers «untel
ne vole pas» était réservée, dans notre société traditionnelle, au chien et non
aux hommes qui doivent naturellement s’abstenir de le faire. On commence
aujourd’hui, quand on veut célébrer l’un des nôtres, par l’expression «il ne
vole pas»… ce qui en dit long sur la voie empruntée par notre société ces
derniers temps.
La
culture dominante aujourd’hui est celle du système D qui suppose un
savoir-faire et un courage dans l’acquisition des passe-droits. L’héroïsme se
confond justement avec la capacité de l’individu à passer outre les lois et règlements
pour «arracher» un privilège que le droit ne lui donne pas… La culture
dominante est celle qui fait fi de l’aspect moral du comportement… et comme
nous sommes dans une société où l’impunité est totale, où personne n’est
comptable de ses agissement, parce que nous sommes prêts à oublier. Qui se
souvient encore de ceux qui ont mis à sac le pays ?