C’est une discussion autour des industries et du recul des opportunités de travail et de production, qui m’a appris la réussite d’un frère tunisien qui est parti de rien pour avoir une chaîne de commercialisation des viandes. Personne avant lui n’avait pensé à ce créneau alors que nous sommes dans un pays parmi les plus «carnassiers», alors que notre rapport social à la viande est des plus forts, alors que nous nous croyons «intelligents» et «créateurs». Aucun de nos hommes d’affaires, aucun de nos grands éleveurs n’avait eu l’idée de financer ou d’installer une ou deux boucheries, propres, modernes à Nouakchott et proposer aux consommateurs, avides de nouveautés, un produit acceptable. Pourtant le savoir-faire «technique» se rapportant à la viande est un facteur certain, la ressource était là, le marché aussi…
Pour revenir aux industries, on constatait qu’en 1988, il y avait environ 84 unités industrielles qui tournaient ici. Combien y en a-t-il aujourd’hui ? Trois créneaux : quelques industries alimentaires qui vivent des marchés sénégalais et maliens (pâtes alimentaires) ; une unité industrielle qui produit le savon et dont les propriétaires ont toujours évité le système bancaire pour des raisons religieuses, cette industrie est entrée dans ses comptes très tôt et a pu maintenir le niveau des prix et donc éviter de se faire concurrence ; quelques cimenteries qui bénéficient d’une couverture de l’Etat qui interdit l’importation de la denrée produite, aidé en cela par la difficulté de l’importer sans gros risques. En tout et pour tout à peine dix unités sur les 84 tournant en 1988.
Le phénomène d’extinction des industries s’est accentué au lendemain de la démocratisation des années 90, c’est-à-dire au moment où la politique a commencé à se mêler aux affaires. L’explication principale est l’abandon par les opérateurs d’activités qui nécessitent des efforts sans pour autant rapporter gros, pour une activité qui rapporte gros sans efforts : la politique. Et donc l’argent facile. Ça se comptait en milliards en termes de marchés gré à gré, sans contrôle sur l’exécution, sur la qualité, sur la réalité. En termes de «primes à la privatisation», quand on brade à votre profit une entité nationale, que l’Etat prend en charge son passif et qu’il vous compense quand même pour cela. En termes même de virements colossaux et sans justificatifs.
Tout cela pour dire que l’argent facile a été une catastrophe pour le pays. Pas seulement pour ce qu’il lui a coûté en détournements de projets de développement, mais pour la mentalité et la culture de la paresse qu’il a ancrée en nous. Plus personne ne veut plus mériter ce qu’il perçoit. Et tous nous demandons le maximum en voulant fournir le minimum, sinon rien.