Ce
matin, j’ai découvert un groupe d’enfants dormant à ‘entrée de l’immeuble qui
abrite les bureaux de La Tribune. Une image que je n’ai pas vue depuis
longtemps : une dizaine d’enfants collés les uns aux autres comme pour
compenser le manque de couverture et de matelas. Il n’ya pas de confort dans
ces conditions. Alors on se sert pour donner l’impression de gagner, le temps
d’une nuit, une chaleur humaine, une solidarité quelconque par le partage de
cette condition difficile.
Le
premier à se réveiller est le plus jeune. A peine soixante-dix centimètres, il
doit peser moins de 25 kilogrammes. Un t-shirt jadis blanc, bouffant, et une
culotte noircie par l’usage. Il se lève, ramasse un pot qui était là, s’en va à
l’intérieur de l’immeuble et ressort avec de l’eau. Il se lave sommairement le
visage comme pour chasser le sommeil et s’en va s’appuyer sur la voiture
stationnée là.
L’un
des habitants arrive et commence à réveiller la petite meute bruyamment. Sans
violence, mais avec fermeté. Il les oblige à faire semblant de prier, ce qu’ils
font sans ablutions. Ils se regardent et commencent à s’envoyer des invectives.
Le plus âgé d’entre eux, celui qui a le plus de muscles ne semble pas être le
chef. C’est un petit blanc, tout sale, qui donne les ordres. C’est d’ailleurs
lui qui se lève le premier pour se diriger vers l’intérieur de
l’immeuble : comme il est encore ensommeillé, il choisit de se recoucher
sous les escaliers de l’intérieur. Il est immédiatement suivi par ses compagnons.
Sauf le plus petit, le plus chétif qui s’est appuyé contre la voiture avant de
sombrer dans un profond sommeil.
J’apprends
qu’ils viennent depuis une semaine dormir dans le coin. Alors je décide de leur
poser des questions. J’apprends par la bouche de l’un d’eux qu’ils travaillent
pour le compte d’un homme d’affaires connu et qui a une entreprise de collecte
de poubelle. Le plus âgé refuse de me parler de leurs familles et de leurs
relations entre eux, se contentant de me donner le nom du personnage et de me
dire : «nous enlevons la poubelle pour…» Mais ses réponses ne me
satisfont pas.
Le
chef – celui qui donne l’impression d’être le vrai leader du groupe – donne une
autre version. Il s’agit d’un groupe qu’il utilise lui-même pour son «entreprise».
Et de raconter «son» histoire.
Ce
petit bout d’enfant raconte qu’il a fui sa famille – sa mère et son frère –
pour les misères que lui faisait cet ainé «particulièrement méchant». Il
a laissé sa mère quelque part en Adrar – il refuse de dire exactement où comme
pour la préserver de ce qu’il considère «l’indignité de vivre» qu’il a
adoptée. Grâce aux petits boulots, il a survécu jusqu’à présent. Il y a plus
d’un an, il a réussi à avoir son propre âne et un attelage (charrette). Il a
décidé alors de travailler dans la collecte des ordures. Les gens le payent
pour transporter les ordures vers les dépôts et sur place il trouve toujours
quelques bricoles qu’il remet en circuit moyennant des sommes plus ou moins
importantes.
Conscient
de son incapacité à faire marcher seul l’entreprise, il a mis sur pieds une
bande de copains, ayant sensiblement son âge. Quand la situation va bien, ils
travaillent jusque tard dans la nuit. Ils cherchent alors où dormir. Ils sont
habitués depuis un certain temps à venir ici. Cela leur convient bien parce
qu’ils ne font pas l’objet de brimades et ne sont pas sujet aux violences que
leur font subir d’autres quand ils les découvrent dans leurs voisinages.
Il
raconte même comment ils ont perdu leur âne pendant près de deux mois, comment
ils l’ont retrouvé par enchantement trainant non loin de l’emplacement qu’ils
avaient l’habitude d’utiliser comme enclos…
Ce phénomène, je le découvrais le matin en ce jeudi
14/5… au soir, j’apprends par la télévision l’adoption d’une loi ayant pour
ambition d’éradiquer le travail des enfants. J’ai alors pensé à ces gosses qui
travaillent pour eux-mêmes, à tous les enfants qui travaillent pour le compte
de leurs parents, à tous les enfants jetés dans les rues pour mendier au profit
de leurs marabouts, à tous les orphelins qui n’ont d’autre choix que celui-là…
que va-t-on faire pour leur éviter justement de trimer dans des conditions
difficiles ?