Nous
quittons nos amis de Kobenni ce matin. Quitter cette famille des Barameks
est un moment d’effusions difficiles à supporter. Les moments d’adieux sont toujours
difficiles… Nous aurons vécu une dizaine de jours de repos complet : pas
de télévision, pas d’internet et rarement le téléphone. Loin de nous le vacarme
de la ville, la cacophonie des querelles politiques stériles, les peurs de
Ebola, les images terrifiantes de Gaza, d’Irak, de Syrie, de Libye et
d’ailleurs. Des moments de plénitude partagée avec ceux qu’on aime (et qui nous
le rendent bien), de liberté aussi et de ressourcement.
Merci
à Khadar, Bennahi et aux enfants, à Brahim, à Wul Bobbi, Melaïnine et à tous
ceux qui nous ont entourés avec chaleur pour rendre plus agréable le séjour
dans ce morceau magique de la Mauritanie secrète, celle qui n’apparait pas dans
les propos de nos discoureurs excités, de nos activistes fous de rage, de nos
militants enfermés dans leurs coquilles (vides)… Une Mauritanie, certes
affectée par les aléas de la nature, certes quelque peu érodée par la
mal-gouvernance qui a donné le Kobenni de 1992 liant le nom à la fraude
et à la manipulation, mais une Mauritanie qui a résisté aux assauts des
courants racistes dévastateurs, aux tentations et aux dérives égoïstes et
sectaires, à la déliquescence morale, une Mauritanie qui est restée elle-même
malgré les agressions. Une terre de rencontre et de convergence, de mixité et
de pluralité, une terre de labeur et d’humilité…
La
veille, pour une dernière sortie dans la région, on s’était rendu à Modibougou.
C’était jour de marché dans ce gros bourg de la frontière (çoug de dimanche).
Les filles ont beaucoup entendu parler du village : l’une de ses
ressortissantes a travaillé chez nous pendant quelques années. Mais elles
imaginaient que la route qui y menait était goudronnée (asphaltée). Les
filles s’attendaient à trouver une ville au bout de la route longue d’une
quarantaine de kilomètres. Rien de tout ça.
Une
route chaotique qui avait été une fois aménagée, très sommairement d’ailleurs.
Les ouvrages destinés initialement à faciliter le passage sont devenus
obstacles, tellement ils sont mal faits et mal entretenus. La route parait
désormais dangereuse, surtout quand il y a la pluie.
On
arrive dans le petit village sans s’en rendre compte parce qu’on estime être
entré dans un énième village de la zone (qui est parsemée de villages, les
tribus voulant chacune marquer son territoire). Les maisons en banco portent
les stigmates du temps qui passe sans laisser de trace autre que celles du
vieillissement et de la décrépitude. L’érosion de l’habitat est reflétée par
les visages ridés précocement. La profondeur des rides leur donne l’aspect de ravins
creusés par les gouttes de sueur qui tracent des chemins dans les visages
restés, pourtant, pleins de vie. Les stigmates du labeur et du temps (qui ne
passe pas cette fois-ci) n’ont rien entamé de la bonté de ces visages qui puent
la dignité et la généreuse humanité.
L’habitant
ici ne doit rien à personne. Il s’assume entièrement. Sa foi en lui-même est
plus évidente. Son refus d’abdiquer devant les assauts conjugués de la
mondialisation s’en trouve renforcé.
Les
petites citadines que sont les filles de la génération facebook, sont
subjuguées par cette force tranquille, par ce bonheur évident de vivre sur ces
terres, loin de tout… comme si ne pas avoir internet, ne pas pouvoir
acheter les recettes de la malbouffe, ne pas savoir quelles sont les dernières
variations de muftila ou les derniers épisodes de feuilletons turcs,
comme si ne pas vivre à Nouakchott relevait du miracle.
Le
problème des générations mauritaniennes futures, ce sera bien celui-là :
ne pas pouvoir concevoir la vie sans les artifices de la ville, les mensonges
de la ville, les extravagances de la ville, ses excès, ses dérives, ses
aliénations… Le problème aujourd’hui, c’est que la Mauritanie telle qu’elle a
été, telle qu’elle est encore dans ces coins, cette Mauritanie-là est insoupçonnable
pour les générations qui s’apprêtent à prendre la relève.
Il
est temps de penser à instaurer un service national qui permettrait à nos
enfants de découvrir le pays profond, de les préparer à mieux servir ses
populations, de traiter ces populations avec plus d’équité et moins de
condescendance, de parler la langue et d’adopter la culture de ces populations.
Imposer à chaque fin de cycle universitaire deux ans de service volontaire dans
un coin reculé, loin de chez soi pour mieux connaitre les autres, en contrepartie
d’une distinction particulière, d’une compensation financière symbolique, d’un
privilège pour le recrutement…
Une chose à faire d’urgence dans ce cadre :
interdire aux fonctionnaires et agents, surtout de la sécurité publique de
travailler chez eux pendant les quinze premières années de leurs carrières. Il
est affligeant de voir que la majorité des policiers travaillant dans un
département quelconque du pays sont originaires de ce département. Comment un
policier va-t-il renseigner correctement sur les activités illicites des
siens ? comment un enseignant va-t-il exercer sans arrière-pensée ?
comment un juge va-t-il rendre sa décision impartialement alors qu’il concerné
par tous les conflits ? Il faut trouver une solution définitive à ce problème
qui peut fonder une partition le moment venu et qui, en attendant, entrave
l’action impartiale de l’Etat et affecte son image auprès des populations.