En
2011, quand l’Opposition mauritanienne a «exigé»
le départ du Président Ould Abdel Aziz, les observateurs avaient tiré la
sonnette d’alarme. Ils y voyaient le début d’une aventure qui pouvait, encore
une fois mener à une impasse politique. Ce qui serait – ce qui est – dangereux
pour la démocratie et pour le pays qui se trouve ainsi condamné à faire du
surplace et à toujours arrêter un processus pour en commencer un autre.
La
configuration de l’époque, contrairement à ce qu’on pensait dans certains
milieux, ne donnait pas un «pouvoir
chancelant», encore moins «une
dynamique qui avait juste besoin d’un coup de pouce pour décider du
renversement du pouvoir». Et comme le vent – du changement ? de la
déstabilisation ? des révoltes ? tout sauf de la révolution - semblait
souffler sur les scènes arabes, il suffisait de le dire pour décider d’un
renversement du pouvoir par la rue.
Encore
une fois, les chefs politiques et leurs analystes attitrés n’auront pas pris en
considération le rapport de force et la «nature
du terrain» mauritanien. Le pouvoir avait toutes les cartes en main et ne
pouvait sembler usé comme ceux de Ben Ali en Tunisie ou de Moubarak en Egypte.
Il venait de sortir victorieux d’une crise sécuritaire qui a emporté des pays beaucoup
mieux outillés que la Mauritanie. Ce qui lui avait valu l’estime et la
considération de ses partenaires extérieurs. C’était déjà l’essentiel. Surtout
qu’au plan intérieur, on oublie souvent de faire la sociologie des matériaux
existants.
On
promet la révolte d’un peuple qui a toujours refusé les grandes ruptures et les
risques que peuvent provoquer les changements. Déjà à l’état nomade, il fallait
toujours un éclaireur («bowah») pour
s’assurer que la destination est bien meilleure que le lieu qu’on quitte. Ce
qui a donné la sagesse populaire qui dit : «ilaa endhakrit lak daar laa tansa daarak», si une nouvelle
situation t’est chantée, n’oublie pas celle qui est la tienne. Dans l’histoire
du pays, dans celle des communautés, y compris tribales, il n’y a pas trace
d’un mouvement de rupture populaire ou non. Ce qui fait «modèle» dans cet espace, ce n’est pas la violence, c’est la
capacité de la juguler, de la réprimer pour ne pas en faire usage…
La
révolution commence par l’aptitude à l’expression de l’émotion parce qu’elle
est toujours nourrie par un imaginaire, par une utopie, par un désir puissant
d’un ailleurs… chez les nomades, la conscience d’un «ailleurs meilleur», autre que celui qui sépare la vie et la mort et
qui est le destin (redouté) de tous, est presque nulle. Il n’y a que deux lieux
(dyiaar, pluriel de daar) : celui où nous nous trouvons et celui qu’on
nous promet après la mort (darayn : dhi ddaar u dhiik ddaar). Toutes les
expressions, les plus sibyllines comme les plus brutes, n’ont pas réussi à
atténuer le poids de cette perception du devenir.
Sur
le plan politique, l’expérience «révolutionnaire»
est quasi-nulle : ni le mouvement des Almoravides, ni les guerres entre
différentes castes (Guerriers vs Marabouts par exemple), ni l’épopée d’El Haj
Oumar Tall, ni les résistances Idaw’ish aux Mghafra, ni celles manifestées ici
et là contre la colonisation, ni les joutes entre les Ulémas, ni les
convulsions du Toro, dans le Tiris, l’Adrar, le Hodh et le Sud dans sa
globalité, rien de tout cela n’a été consacré comme étant le prélude à une
révolution quelconque. Rien de cela n’a ambitionné être une rupture avec ce qui
précède. Tout fut une tentative de consécration du statu quo et non un
renversement de l’ordre établi. Et même la petite révolution gauchiste des
années 70, elle aura vécu ce que vivent les espoirs chez nous : l’espace
d’un printemps.
Il
n’y aura pas de «printemps arabe» en
Mauritanie. trois ans pour s’en rendre compte alors que l’analyse froide de la
situation aurait permis de le comprendre dès le départ.
Vint
le temps des vains espoirs. Celui où les voix priaient tout haut pour voir tous
les malheurs s’abattre sur le pays, si cela devait conduire à la chute du
régime. Celui où l’on cherchait désespérément à créer des problèmes comme s’il n’y
en avait pas assez. Intox. Mensonges. Manipulations. Rumeurs. Et même
corruption des relations avec les voisins…
…Pour
se rendre enfin à l’évidence : la révolution n’aura pas lieu. (à suivre)