éditoriaux

Editorial 551 (publié le 29 mai 2011)


Poussé dans ses derniers retranchements, le pouvoir yéménite cherche à créer le chao. En provoquant une guerre civile dans un pays profondément tribalisé d’une part, et en actionnant les cellules d’Al Qaeda d’autre part. En effet le pouvoir yéménite vient d’ordonner à son armée de se retirer de la ville de Zenjibar au profit des éléments de l’organisation jihadiste. C’est un dernier coup d’un pouvoir usé et incapable d’intelligence. Mais là n’est pas l’objet de mon propos.
Il y a de multiples enseignements à tirer des révolutions arabes. Quoi que nous disions ou fassions, nous resterons en-deçà des questions posées et des analyses possibles. Il faut donc multiplier l’évocation de sujets de méditation.
Ces révolutions sonnent, quelque part, le glas des idéologies nationalistes et des réflexes nationalitaires. Dans des pays comme la Libye et le Yémen, l’idéologie motrice du devenir a été le nationalisme arabe. C’est au nom de la nécessité de préserver la Nation arabe que toutes les dérives ont été possibles. C’est toujours au nom de cette idée, que les services de sécurité pouvaient sévir, réprimer dans le sang toute velléité de s’assumer. Toujours en son nom que les richesses ont été dépensées inconsidérablement.
Les régimes nourris de ce prétexte ont été les plus sanguinaires des dictatures arabes. C’est un constat.
Mais ce qui est écœurant en plus, c’est que ces régimes ont été catastrophiques en terme d’intégration et de cohésion sociales. Qu’est-ce qu’on découvre en Libye ou au Yémen ? Des sociétés éclatées, profondément tribalisées. Des pouvoirs qui ont fait de l’appartenance tribale un critère d’identification et de regroupement.
Le crime de ces régimes, ce n’est pas seulement d’avoir pillé leurs pays en s’appropriant ses ressources, pas seulement d’avoir réprimé dans la violence toute contestation, ni d’avoir aussi prostitué la morale corrompant du coup le comportement social… pas seulement cela. Le crime, le crime c’est d’avoir cultivé les particularismes tribaux, instituant l’atomisation de la société et condamnant à jamais leurs Nations à l’émiettement.
Par bien des aspects, je retrouve un peu de nous en Libye et au Yémen. Avec cette différence heureuse : je crois que le fait d’avoir opté pour un Etat centralisé moderne dès l’indépendance a beaucoup aidé dans la manifestation publique des sectarismes dans leur expression élémentaire.
C’est certainement le lieu de rendre hommage à l’élite des années 60 qui avait fait ce choix-là. Même si dans la pratique, le népotisme subsiste, même s’il y a encore de profondes fractures sociales qui sont une plaie à soigner, aucun Mauritanien ne peut exprimer publiquement son appartenance tribale et/ou ethnique. Il essayera toujours de «l’entourer», de «l’envelopper» pour la rendre moins visible. C’est sur cette «honte» qui est restée malgré tout ce que nous avons enduré, sur cette «honte» d’exprimer son particularisme qu’il va falloir reconstruire la bâtisse de l’ensemble national.
L’urgence pour nous et de nous réapproprier l’ambition originelle, celle qui a animé les pères de l’indépendance. Celle qui visait à créer un Etat pour tous et par tous.
L’ambition qui fondait une société égalitaire, un Etat citoyen, une justice pour tous, une croissance pour tous, une école pour tous, une santé pour tous, des infrastructures pour tous… une ambition qui permettait à chacun de rêver, qui lui donnait le droit de rêver, l’occasion de s’épanouir, la possibilité d’être, et d’être soi-même.
Si l’on arrive à croire en notre pays, en notre peuple, en notre capacité de vaincre les aléas et d’aller de l’avant, si l’on arrive à nous armer d’une ambition, chacun à son niveau, d’une ambition pour notre pays, si l’on refuse cette impression de vivre une fatalité qui consiste à subir sans réagir, à consommer sans produire, à recevoir sans donner…, alors seulement nous pourrons nous dire que nous sommes et que nous pouvons être autre chose que ce que nous sommes. Nous saurons alors avancer. Et progresser.


Editorial N° 550 (publié le 22 mai 2011)


Le Président de la République a promis plusieurs fois la tenue des Etats généraux de l’éducation. Un forum qui devait permettre la conception puis la mise en œuvre d’une nouvelle vision de l’école mauritanienne. Cela ne semble pas venir. Pour une raison très simple : personne dans le secteur n’est vraiment convaincu de l’utilité d’un forum national sur la question.
Pour les professionnels qu’on peut qualifier de «spécialistes», il n’y a pas lieu de dépenser tant de moyens pour des palabres dont on sait d’avance l’issue. «Il suffit, me disait l’un de ces spécialistes, de réhabiliter la dernière réforme, celle de 1999 et de l’appliquer dans son intégralité».
Cette réforme, décidée à la-va-vite au cours de l’un des voyages du Président Ould Taya à l’intérieur, a pour philosophie première la réunification du système éducatif mauritanien.
De 1979 à 2000, l’école mauritanienne a formé deux types de mauritaniens : celui qui suivait les filières arabes, type naturellement arabe, et celui qu’on disait dans le système «bilingue», essentiellement des négro-africains.
Cette séparation voulue par les autorités politiques de 1979, avait contribué à former des générations de Mauritaniens n’ayant rien à partager. Même pas l’aire d’une cours de recréation. 20 ans d’évolution parallèle. 20 ans aussi de destruction des valeurs de partage et d’atouts d’intégration. Avec, en prime, un contenu des plus pauvres.
Quand j’ai quitté l’enseignement (années 90), on disait que l’on qualifiait d’«arabisant» celui qui n’avait aucune prétention de parler Français, mais ne parlait pas pour autant Arabe ; et de «bilingue», celui qui, tout en ayant la prétention de faire sa formation en Français, ne parlait ni français ni arabe. Ça s’est détérioré depuis…
Tous les acteurs politiques, l’autorité la première, sont d’accord pour décrier l’état de notre système éducatif. Tous invoquent l’urgence d’une action.
Depuis le temps qu’on y réfléchit, le diagnostic est fait. Toutes les solutions ont été imaginées. Tous les scénarii identifiés. Nous n’avons donc pas besoin d’états généraux. Surtout que les responsables auxquels a été confié le département sont loin d’être à la hauteur de la mission. Et c’est révélateur des véritables causes du scepticisme cultivé présentement.
Le super ministre a échoué alors qu’il n’était que ministre de l’enseignement secondaire (et supérieur). Alors il a été nommé ministre d’Etat et désigné pour coiffer trois ministres délégués chargés chacun d’un niveau de l’enseignement (fondamental, secondaire, supérieur et professionnel).
Les choix de ce genre laissent perplexe le public. Comme s’il y avait une prime à la carence. Le directeur de la SMCP limogé pour …faute ? insuffisance ? mévente du poisson ? connivence avec les acheteurs ?... en tout cas limogé de son poste et qu’on retrouve président de la nouvelle autorité des marchés publics. Le ministre des finances démis pour incapacité et certainement fraude sur le CV, qu’on retrouve ministre de l’environnement. Tous ces secrétaires généraux qu’on fait changer de portefeuilles sans considération des performances de quelques-uns et des contreperformances de la plupart.
Des nominations de ce genre ajoutent à l’illisibilité de l’action du gouvernement. Tout comme le maintien en place de personnes ayant prouvé leur incapacité.
Depuis près de deux ans, le ministère de l’éducation n’arrive pas à lancer une réforme du système, alors que c’était l’une des urgences du pouvoir de Ould Abdel Aziz. Que faut-il en déduire ?
Que les premiers responsables du secteur sont incapables d’engager une telle action ? Ou que ce n’est pas une vraie priorité pour le pouvoir ?
Il n’y a pas d’autre explication qui s’offre à nous. Aidez-nous à choisir, à savoir, à comprendre.


Editorial N° 548 (publié le 9 mai 2011)

Chaque jour que Dieu fait, il y a des gens qui manifestent devant la présidence à Nouakchott. Des foules se succèdent, parfois nombreuses parfois pas. Des doléances de toutes parts. Ce sont ici les femmes arrivant des zones de lotissements récents qui viennent protester. Ce sont là des diplômés qui revendiquent. Ici des travailleurs du secteur de la santé ou de l’éducation. Là des chômeurs, diplômés ou non. Récemment se sont ajoutés à eux les rapatriés de Libye, et bientôt certainement ceux de Côte d’Ivoire… Après avoir été un peuple de résignés subissant en silence, nous voilà en passe de ravir la palme de la protestation aux peuples qui ont fait de la contestation un sport national.
Et c’est tant mieux quand on se dit que c’est le signe d’un changement dans les mentalités. En effet rien de mieux pour le Mauritanien que d’adopter une attitude revendicative face à l’autorité, quelle qu’elle soit. Si l’on peut aller jusque devant la présidence aujourd’hui pour crier sa colère, c’est bien parce que quelque chose a changé en nous. Notamment la peur du pouvoir. Tant mieux, tant mieux…
Mais là où ces démonstrations quotidiennes inquiètent, c’est qu’elles apportent la preuve soit d’un dysfonctionnement dans la hiérarchie de la décision, soit de l’incompétence de l’administration.
Dans le premier cas, c’est que rien ne se décide plus "avant" la présidence. Pour toute chose il faut revenir ici. Et c’est ce que nous entendons les hauts responsables dire pour expliquer leurs insuffisances.
Dans le deuxième cas, c’est que le fonctionnaire agent, chef de service, directeur, secrétaire général, ministre n’a pu résoudre le problème qui se pose à cette population. Pire, ni l’un ni les autres n’ont assez de verve et d’intelligence pour convaincre ceux parmi les protestataires de l’illégitimité ou non de leurs démarches.
Dans les deux cas, nous sommes en face d’une situation de déresponsabilisation dangereuse, avec, comme circonstance aggravante, l’incompétence notoire de ceux qui ont en charge les dossiers concernés. Et c’est là où les décideurs sont quotidiennement interpellés.
La réponse ne peut être l’envoi d’un conseiller pour consigner les doléances des protestataires. Mais une profonde remise en cause du dispositif et de la méthode de gouvernement, sinon des deux. C’est au Président de la République de juger.
Mais pour l’observateur, il n’y a pas lieu de continuer à subir la pression de protestataires, toujours plus nombreux et chaque fois plus diversifiés. Ce n’est pas le travail de la présidence de recueillir les plaintes de simples citoyens. Et si cela est fait une première fois, une deuxième fois, cela doit avoir des conséquences les fois suivantes. Sinon nous risquons de voir la présidence engluée dans un quotidien fait de recherche de réponses à des revendications spécifiques aux différents groupes. Risque aussi de voir le chef de l’Etat pris par la résolution de questions qui devaient avoir leurs réponses au niveau des départements concernés.
Autant créer un «Diwan al madhalim» - une sorte de bureau des plaintes – rattaché à a présidence mais suffisamment loin pour éviter la pression directe. Surtout que cette institution faisait partie des promesses électorales du Président Ould Abdel Aziz.
En attendant, autant renvoyer les problèmes posés devant les administrations concernées et voir si elles peuvent les résoudre et, dans le cas contraire, sévir. Le Président souffre comme nous les effets des mauvais choix des responsables devant gérer les différents départements. Pourquoi continuer à croire qu’il y a quelque chose à tirer de gens qui font chaque jour preuve d’incapacité ?
Il faut le répéter en espérant qu’on soit entendu : la plupart des hommes du Président ne sont porteur d’aucune valeur, d’aucune compétence à même de leur permettre d’accompagner son programme, de retransmettre son discours et encore moins d’en incarner les valeurs.
Nous perdons un temps précieux et une grande énergie à essayer de faire rouler l’attelage avec des chevaux fatigués, fatigués sur tous les plans.
Tant qu’il y aura des gens mécontents et qui n’ont de recours que les abords de la présidence, cela voudra dire que les responsables administratifs ont failli. Pourquoi ? Allez savoir. Mais vite.

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Editorial N° 547 (publié le 29 avril 2011)

Décidément, nous avons la mémoire courte… très courte… c’est parce qu’on ne parle pas assez de nos expériences – bonnes et mauvaises – du passé. Cette dernière dizaine de jours, nous avons eu tous les ingrédients qui ont fait avril 1989. Voulu ou pas, le décor a été planté.
Une «forte» crise avec le Sénégal, amplifiée par une presse «qui ne regarde pas derrière elle» - je préfère traduire cette expression populaire plutôt que d’utiliser des mots qui vont fatalement mener à l’irresponsabilité. L’accord sur le transport entre les deux pays a été quelque peu «perturbé» par les opérateurs sénégalais qui commençaient à souffrir la concurrence des bus, encore en bon état, de leurs homologues mauritaniens. Réplique mauritanienne. De mesure en mesure, on en est arrivé à une perturbation dans les transports entre les deux pays. Juste une perturbation que les autorités étaient en passe de régler.
Arrive l’opération de police qui fait suite aux manifestations de nationaux mauritaniens concernant la trop forte présence de la main d’œuvre étrangère illégale. Une opération qui aboutit à l’arrestation de plusieurs africains dont certainement quelques sénégalais. Cela se transforme en «chasse aux sénégalais en représailles aux mesures prises par le Sénégal dans ce qui a conduit à la crise ouverte entre les deux pays». Les textes diffusés par quelques sites arabophones sont vite repris par la PANA et APA qui font feu de tout bois. Heureusement que peu de journaux sénégalais ont repris ces dépêches… On a encore en tête comment les fausses informations diffusées en 1989 furent largement à l’origine des massacres commis ici et là.
Puis arrivent les événements de l’Université. Parties d’une opération de fraude lors de l’élection d’un bureau d’une association estudiantine, les manifestations ont pris l’aspect d’un affrontement ethnique. L’administration de l’Université de Nouakchott a-t-elle poussé, encouragé, préparé les esprits pour un tel aboutissement ? Ses détracteurs veulent bien le faire savoir.
Mais nous croyons quant à nous que la préparation psychique et mentale des politiques en perte de vitesse est beaucoup plus déterminante dans la suite des évènements. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ou presque, nous avons assisté à une surenchère des syndicats estudiantins affiliés aux formations politiques – reconnues ou non. Surenchère qui a évolué nécessairement vers la «revivification du fait ethnique». C’est fatalement le recours quand on a plus d’argument à avancer dans ce pays.
On joue avec le feu. C’est d’autant plus dangereux que ceux qui mènent la manœuvre ne savent pas où peuvent mener leur entreprise. Ils peuvent actionner la machine mais pour l’arrêter, ils manquent d’expertise et de courage.
La fermeture, même temporaire, de l’Université est un aveu d’échec de son administration et des services de sécurité. Pour éviter les complications attendues, il fallait faire du campus – de ce qui en fait office – une aire de débats en vue de réaliser une catharsis collective. Pas fermer les portes devant les étudiants et leur laisser entendre qu’il n’y a de solution – côté officiel – que l’abdication devant le mouvement estudiantin. On attendait plus et mieux des autorités universitaires et du super ministère de l’éducation nationale. Au moins nous avons là la preuve – en cas de besoin – de la carence de l’autorité chargée de gérer le secteur de l’éducation.
Comment peut-on en espérer la conception puis la mise en œuvre de la grande refonte espérée depuis tant d’années, et promise par le pouvoir au lendemain de l’élection de juillet 2009 ? Non ! décidément, ce n’est pas cette administration-là qui va remettre sur les rails l’école mauritanienne… Mais parons au plus pressé.
Comment empêcher les «apprentis sorciers» - expression usitée pour désigner ceux qui sont supposés être derrière les évènements -, comment les empêcher d’occuper le pays, de bouffer les énergies dans des batailles qui ne méritent pas d’être menées ?
J’ai toujours soutenu que le pouvoir de Ould Abdel Aziz sous-estime la capacité de nuisance des ennemis du changement. Je crois aussi que les forces progressistes de ce pays ont manqué de lucidité en refusant de faire barrage devant les déferlantes de l’ancien régime. Elles sont allées jusqu’à servir de «blanchisserie» publique (et gratuite) aux serviteurs de l’ancien régime. Qui ont coordonné avant de converger vers le centre de décision au sein de toutes les formations politiques.
Nous payons pour avoir eu la mémoire courte… trop courte… Pendant deux semaines, nous avons été suspendus à la probabilité d’une réunion entre les partis de la Majorité et le Président de la République. Depuis des semaines, nous sommes en attente de savoir quelles suites peuvent être données aux coordinations entre les différentes composantes de l’opposition. Nous avons été suspendus à ce qui pouvait être proposé, pour éviter le pire, par : Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine, Sangott Ousmane, Yahya Ould Ahmed Waghf, Tahya Mint Lehbib, Saleh Ould Hanenna, Sidi Ould Kleib… et de l’autre côté : Ahmed Ould Daddah, Jemil Mansour, Yahya Ould Sid’el Moustaph, Moussa Fall…
Décidément, nous avons la mémoire courte… très courte… «trop» certainement pour toujours refaire le chemin d’hier. Celui qui nous a menés là où nous sommes.                                                                
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Editorial N° 546 (publié le 20 avril 2011)

L’assassinat odieux du journaliste italien par un groupe Jihadiste de Gaza est venu nous rappeler que la bataille des valeurs modernes positives est loin d’être gagnée dans le Monde arabo-musulman. Comme elle nous indique que les forces du Mal sont encore présentes parmi nous. Ce n’est pas parce que la rue arabe (et islamique) connait une ébullition prometteuse que nous devons croire que nous avons vaincu ce qu’il y a de plus obscure en nous. Et de pire pour nous.
Excroissance de l’obscurantisme de nos pouvoirs, les mouvements politiques prônant la violence en se basant sur des lectures erronées des textes religieux, ces mouvements ont servi, en le justifiant, l’arbitraire qui s’est abattu sur nous depuis des décennies. Les régimes qui régnaient – qui règnent encore – sur notre espace ont su s’en servir comme d’épouvantails. Les nourrissant pour les entretenir, les «revivifiant» quand ils en avaient besoin. A telle enseigne qu’on avait fini par croire que la seule alternative à ces régimes corrompus et souvent sanguinaires, c’était le chao. Il faut dire que le seul projet que nous proposent les Jihadistes est celui-là : le chao et la mort. Qu’est-ce qu’il faut dire de ceux qui sèment mort et désolation ?
Ce qui se passe présentement sur les scènes arabes aurait dû poursuivre les «envolées» égyptienne et tunisienne qui se sont inscrite en faite dans un processus de libération du génie créateur et d’établissement d’une opinion publique ayant son mot à dire. Ce qu’il y a de plus beau dans les deux soulèvements, c’est cet ancrage dans la Modernité, avec notamment la mise en avant de valeurs universelles d’humanisme. C’est «quelque chose» qui va donner inévitablement «quelque chose», pour parler comme chez moi.
Le Yémen, la Jordanie et surtout la Libye sont venus nous rappeler que l’explosion peut mener ailleurs que vers l’établissement d’un nouvel ordre fait de rêves, de justice et d’égalité. On dira toujours que les gouvernants sont responsables de l’atomisation de leurs sociétés. Que cette atomisation a donné la tribalisation excessive laquelle a provoqué les dérapages actuels. Aux déstructurations internes, il faut ajouter les interférences extérieures inspirées – toujours – par la volonté de profiter des ressources, d’affaiblir un ennemi potentiel, de faire payer à un régime – ou à une idéologie – l’engagement qui peut être le sien… Qui croit que la France, les Etats-Unis, la Grande Bretagne ou les autres agissent pour le bien de nos peuples ?
Pour asseoir la démocratie ? Ce sont ces pays qui ont soutenu, des décennies durant, les dictateurs dont certains sévissent encore. Le passage d’un gouvernement français soutenant jusqu’au bout Zinedine Ben Ali ne sera pas effacé par l’empressement de reconnaitre la direction d’une révolution libyenne encore en gestation.
Pour venir en aide à nos peuples opprimés et privés de bien-être ? Ce sont ces puissances qui ont profité de la corruption de ces gouvernants qui plaçaient tous leurs biens chez eux, soit pour les fructifier, soit pour les mettre en sécurité. Des décennies durant, cela ne les a pas dérangés.
A Benghazi, dans l’hôtel Tibesti qui fait office de République pour les «révolutionnaires» libyens, il y a une atmosphère qui ne présage rien de bon. Les barbouzes partout. Ici des militaires qataris qui se déguisent en tunisiens et qui occupent une aile de l’hôtel. Là des diplomates français et britanniques entourés de forces spéciales en civil. Ailleurs ce sont des philosophes, des intellectuels comme le français Bernard-Henri Levy (BHL, pour les intimes). Chacun y va de son discours, de ses orientations, de son encadrement pour la «direction» - y a-t-il seulement une direction ? – de la «révolution libyenne».
A voir cette foire d’empoigne, on ne peut qu’être atterré, inquiet pour les plus optimistes. Bernard-Henri Levy, le plus sioniste de l’intelligentsia mondiale, le plus pro-israélien et le plus anti-arabe des intellectuels français, celui-là même qui peut être considéré comme l’un des idéologues de l’islamophobie… lui là… ici, au milieu de tous ces barbus qui affichent leurs engagements politiques profondément marqués par le religieux… qui l’écoutent, qui lui obéissent parfois… non, décidément il y a des choses «qui ne ressemblent pas à quelque chose» dans cette Libye meurtrie par quatre décennies d’un régime qui n’a rien pu asseoir. Même pas une idéologie unitaire pour l’espace et ses occupants.
Quand il y a eu les révoltes de Tunisie et d’Egypte, on a vu que les ennemis de cette évolution heureuse sont en nous, parmi nous. Leur grand souci fut de détourner, de dénaturer l’ébullition qui prenait l’allure d’une libération de l’homme arabe, pour en limiter les effets et la portée. Ne nous étonnons pas de voir ranimés les déchirures religieuses en Egypte, tribales et sectaires ailleurs. Ne nous étonnons pas non plus de voir les adeptes de la violence politique, expression de l’obscurantisme idéologique longtemps cultivé chez nous, ne nous étonnons pas de les voir reprendre du service. Tout cela procède de la même logique : ramener le Monde Arabe en arrière. Reste à savoir si les pas franchis n’ont pas donné une évolution irréversible.
Vittorio Arrigoni, ce jeune militant pacifiste italien, porteur d’un idéal de justice et d’équité, un nom qui devrait être ajouté aux milliers des nôtres, morts pour un monde meilleur, une humanité meilleure, mort «pour quelque chose» qui veut dire quelque chose… Nous saluons sa mémoire ici.    

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Editorial N° 545 (publié le 11 avril 2011)

Avril 1989, le 9… un jour qu’il faut rappeler à la courte mémoire de nos compatriotes. Ce jour-là arrive un malheur du côté de Diawara, sur les rives du fleuve Sénégal, sur ce qu’il est convenu d’appeler «la frontière» et qui n’a jamais eu d’existence réelle dans l’esprit des habitants. Quelques bêtes errantes, appartenant à des transhumants peulhs, pénètrent dans les champs de quelques agriculteurs soninkés. On en vient aux mains et même aux armes. Il y a mort d’homme. Les Peulhs sont mauritaniens, les Soninkés sont sénégalais. Le mort est soninké… Ce sera le point de départ de la plus grande crise dans la sous-région.
Nous ne devons pas oublier que ce qui a été, au départ, un incident «banal» entre éleveurs et cultivateurs d’une population qui avait les ressorts de règlement de conflits autrement plus compliqués, cet incident devait ouvrir une plaie qu’il faut encore guérir aujourd’hui.
22 ans après, nous avons besoin de nous remémorer ces moments tragiques qui ont vu des dizaines de milliers de nos compatriotes déguerpis de leurs terres, spoliés de leurs biens… Il aura fallu 20 ans – ou presque – pour les voir revenir dans des conditions minimales de dignité et de reconnaissance du mal fait. Il aura fallu attendre tout ce temps pour qu’une autorité demande pardon au nom de la Nation fautive.
Nous ne devons pas oublier comment un incident «anodin» parce que quotidien, a tourné au drame. Par la faute de la propagande raciste et sectaire. Par la faute de gouvernements aux aguets, de gouvernements qui ont vu dans la crise ouverte la possibilité pour eux de capitaliser les relents nationalitaires. Trouver ici et là un bouc-émissaire, un punching-ball pour vider le trop plein d’amertumes et de colères populaires justifiées pourtant.
Les relations entre les deux peuples et entre les deux pays sont devenues un enjeu politique intérieur. Pour les pouvoirs en mal de performances, et leurs oppositions en mal de popularité. Dans ce cas, cultiver la haine devient facilement une voie de légitimation de l’action politique des protagonistes d’une scène désaffectée par le bon sens et la vertu.
On a tendance à dire aujourd’hui qu’il importe peu de situer les responsabilités. Soit. Mais nous ne pouvons passer sous silence l’événement : ses causes, ses manifestations et ses conséquences. Les mêmes logorrhées qui l’ont produit sont toujours en vigueur. Les mêmes facteurs qui l’ont envenimé réapparaissent. Convulsions et menaces de convulsions. Crises et menaces de crises. Qui ? plus que l’autre – qui qu’il soit et surtout s’il est celui d’en face -, va souffrir des échecs de soi, des frustrations, des incohérences… l’Enfer, c’est encore l’autre, c’est toujours l’autre…
Nous ne devons pas oublier que cette déchirure physique et mentale est le fait d’une vision sectaire de la Mauritanie. Elle a été l’œuvre d’une classe politique qui – toutes composantes confondues – a tout raté : de l’idéal révolutionnaire à celui de la construction nationale en passant par celui de l’intégration régionale…
La Mauritanie en est sortie meurtrie, il faut le rappeler. Tournant le dos momentanément – on l’espère encore – à ses versants africains, elle a été (naturellement) incapable de se faire une place «honorable» au sein de la famille arabe. L’extravagance dans les approches et l’instabilité des visions y sont pour quelque chose.
Mais le plus dur restera l’incapacité pour les autorités de l’époque de s’empêcher d’instrumentaliser la situation en vue d’atténuer les contestations politiques intérieures. Les cycles de répression qui allaient s’abattre sur les acteurs politiques furent fondés sur l’urgence de faire face aux périls sectaires (tantôt négro-africain, tantôt arabe). Juste des prétextes.
Aujourd’hui que certains chantiers ont été ouverts ou en voie d’être clôturés (retour des déportés, règlement des passifs…), et que notre environnement géopolitique est secoué par de fortes vagues de changement, nous avons à nous dire que seules des réponses politiques peuvent être apportées aux problèmes politiques. La violence ne peut être la panacée. Au contraire, elle complique les donnes, enracine les haines, élargit les fossés, approfondit les déchirures et accentue les douleurs.
Regardons ce qui se passe aujourd’hui près de nous, en Côte d’Ivoire, en Libye, en Palestine, un peu plus loin au Yémen, en Syrie et au Bahreïn… quand le sang coule, ce sont toutes les voies possibles de la Raison qui se perdent.
En Mauritanie, nous avons la chance de pouvoir – encore –  faire ce que nous voulons de notre avenir. Mais jusqu’à quand ? Plus nous tardons à anticiper, à nous ouvrir les uns sur les autres, plus demain sera difficile. 
Agir et vite. Voir et loin, toujours plus loin. Commémorer aussi et encore, pour ne pas retomber dans les mêmes pièges, refaire les mêmes erreurs. Apprendre du passé pour conforter le présent et assurer l’avenir. Ne pas oublier qu’il y a 22 ans, arrivait chez nous ce que personne ne pouvait imaginer. Parce que notre intelligentsia et notre pouvoir ont été  «courts», «trop courts»… 
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Editorial N° 544 (publié le 5 avril 2011)

J’ai suivi cette semaine, deux émissions de TVM. La première m’a fait peur. La seconde m’a réconforté. C’est la vie.
Dans la première, il y avait l’un de nos honorables Shaykh (pluriel : mashayiikh). Avec sa barbe teinte au henné, il justifiait la polygamie et la nécessité pour nous de renouer avec cette pratique qu’il jugeait salvatrice. Il utilisait tous les arguments et tous les prétextes – arguments et prétextes étant différents à mon avis.
Quand il parle de la femme, c’est comme s’il parlait d’un ornement, d’un objet. Et pour dire tous les bienfaits de la multiplicité des épouses, il arguait que «personne ne supporterait de manger le même repas tous les jours». Son sourire trahissait une satisfaction personnelle à dire ce qu’il disait et à le présenter comme il le faisait. Libre à lui.
Mais là où j’ai été choqué, c’est de voir que son interlocuteur était …une journaliste. Une femme que j’avais vue auparavant sur le petit écran et qui, à l’occasion, avait abdiqué devant le Shaykh en s’habillant «supplémentaire». Elle s’était mise une cape noire autour de la tête comme pour se couvrir encore plus. Et puis rien ne semblait la déranger dans les propos du Shaykh qui était allé très loin dans le traitement de la femme et du statut que lui confère notre législation nationale. Y avait-il des femmes militantes qui regardaient cette émission ? sinon il va falloir la retransmettre pour leur permettre de la voir. Les propos tenus dans l’émission rappellent combien la bataille de la Modernité est ardue. Pour tous. Comme ils interpellent sur la vision que nous avons de notre société. Ceci dit, il est vrai que toutes les opinions doivent s’exprimer. C’est encore plus vrai et plus juste de les mettre en contradiction.
La deuxième émission qui m’a mis du baume au cœur est celle qui a vu s’affronter quatre intellectuels de différentes écoles dans un débat autour du dialogue national.
Elle a été voulue pour être une expérience nouvelle dans l’ouverture des médias à toutes les opinions. Pour en faire un espace de débats publics. C’est sans doute une bonne chose, surtout que tout a été dit par les participants au débat ce soir-là. Reste à canaliser, à recadrer, à réapprendre la prise de parole, à savoir apporter la contradiction, à la provoquer et à la contenir dans ses limites socialement et culturellement acceptables.
En attendant la libéralisation effective de l’audiovisuel, Radio Mauritanie et TVM doivent devenir de véritables services publics. D’abord donner l’information supposée intéresser le public.
On voit par exemple que ni l’un ni l’autre des organes officiels, n’a jusqu’à présent informé le public sur les discussions que le Premier ministre a engagées avec certains acteurs politiques. On ne sait rien de ce qui arrive aux cheptels de R’Kiz. Rien non plus des candidatures aux sénatoriales et de leurs enjeux. Il est vrai qu’on a vu couvrir quelques manifestations politiques, mais tout n’est pas politique. Il y a aussi le social qui fonde un dynamisme historique indéniable.
Ensuite consolider et élargir les espaces de débats. Les expériences nous ont enseignés que les Mauritaniens savent s’exprimer en toute responsabilité. L’expérience la plus notoire fut celle de la Radio citoyenne qui a couvert une grande partie de la transition et qui a été interrompue sous le régime civil. Jamais il n’y a eu de débordements sur les ondes de cette radio.
Chaque fois que nous sentons que nos problèmes – nous en aurons toujours – sont pris en charge, soit dans leur dénonciation soit dans leur résolution, par quelque structure que ce soit, les sentiments d’injustice s’estompent. En réalité, l’arbitraire ne disparaît pas avec sa dénonciation, mais il est atténué.
Le peuple mauritanien n’a jamais été très exigent vis-à-vis de ses dirigeants ou de son encadrement national général. Il demande qu’on le laisse exprimer en paix ses états d’âme, pratiquer ses croyances et lui assurer la sécurité pour entreprendre. Ce n’est pas grand-chose. C’est assez pour ne pas être rejeté. Et pour assurer un minimum de tranquillité aux habitants de cette terre de Mauritanie.
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Editorial N° 543 (publié le 29 mars 2011)

«La révolution impossible», c’est ainsi que l’on pourrait titrer les gestations «révolutionnaires» en cours dans le Monde Arabe.
La révolution passe par un ensemble de ruptures d’avec ce qui a fait les pesanteurs du passé, les consciences du passé, les vérités du passé. C’est encore plus vrai pour la Mauritanie.
Rupture «épistémologique», comme disait mon professeur de philosophie de terminale. D’avec notre mentalité, nos croyances, nos a priori… D’avec notre perception du temps qui reste réactionnaire dans la mesure où elle compromet toute vision progressiste et ne reconnait pas les accumulations du passé. 
Comprenons que si l’on lit un discours de feu (Président) Moktar Ould Daddah de 1957, on est obligatoirement frappé de voir que les mêmes problèmes pour lesquels on cherchait solutions à l’époque, sont encore posés. Plus récemment encore, si l’on fait attention aux attitudes des politiques, on est frappé par la volonté de chacun de toujours donner l’impression que jamais rien n’a été fait auparavant, que tout est à faire. Ici, on commence toujours alors qu’on ne fait que REcommencer. On «rumine» dirait Abdel Wedoud Ould Cheikh, éminent sociologue que le pays n’a pas pu – ou n’a pas su – retenir. L’entrée dans la Modernité (al hadatha) passe nécessairement par là.
Elle passe aussi par la libération de l’imaginaire et de la créativité d’une jeunesse qui pèse, il est vrai, par son poids démographique, mais pas par le degré de son instruction, ni de son engagement.
Cette jeunesse qui constitue plus de 70% de la population mauritanienne doit d’abord opérer une rupture générationnelle forte avec son aînée. La génération qui a dirigé ce pays, exploité ses ressources, conçu ses programmes de développement, son système éducatif, ses politiques agricoles, industrielles… Tout ce qui a échoué dans le pays. Tout ce qui a fait l’échec du pays et de ses gouvernements.
Cette génération responsable de tous nos déboires devrait payer. Toute. Et la jeunesse d’aujourd’hui devrait se prononcer là-dessus. Et recadrer son discours en conséquence pour frapper fort et juste.
Cette jeunesse doit adopter et faire siennes les valeurs modernes : égalité, équité, justice, citoyenneté, civisme… Cela commence par le respect des normes citadines : les feux de circulation, l’ordre, la file humaine, la préséance… ça peut paraître anodin, mais comment faire confiance à une jeunesse qui ne respecte pas les règles élémentaires de l’organisation sociale basée sur la citoyenneté.
Cette jeunesse doit être à l’avant-garde de la lutte contre l’esclavage, contre les inégalités sociales, contre la mal gouvernance… et pour une Mauritanie nouvelle construite autour d’un projet viable et porteur. Avec de nouvelles attitudes face à la vie, de rapports neufs à la politique, à l’exercice public de la responsabilité, aux valeurs et aux échelles sociales éculées…
Cette jeunesse doit entrer dans notre intimité, dans celle de leurs parents, de leurs aînés pour déranger, remettre en cause et surtout proposer.
Nous avons besoin de fortes secousses pour nous rendre compte que le Monde avance sans nous, que le temps passe malgré nous, que le changement s’impose à nous. 
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 Editorial N° 542 (publié le 22 mars 2011)

Par deux fois le Président Mohamed Ould Abdel Aziz se retrouve dans le rôle du «missionnaire» de l’impossible sur des conflits en Afrique. Pour sa position de président du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine.
Par deux fois, notre pays accueille donc des réunions de panel de chefs d’Etats (quatre à chaque fois). De tous les points de vue, l’organisation, l’accueil et le séjour parmi nous furent des réussites. De l’avis même de nos hôtes.
La première fois, la Mauritanie a accueilli par deux fois le groupe de haut niveau chargé de la Côte d’Ivoire : Afrique du Sud, Zambie, Burkina Faso et Tchad. Sous la présidence du nôtre, ils se sont rendus une première fois à Abidjan, et une deuxième fois à Addis-Abeba. Chaque fois pour entendre les belligérants dans le conflit postélectoral ivoirien.
La deuxième fois, c’est celle qui vient de se terminer à Nouakchott et qui se rapportait à la Libye. Là, le panel se composait des chefs d’Etats du Mali, du Congo Brazzaville, de l’Ouganda et de l’Afrique du Sud. Les deux derniers ont préféré envoyer leurs ministres des affaires étrangères.
Pour les deux fois, la Mauritanie s’est retrouvé propulsée au devant de la scène africaine. Ce qui ne lui est pas arrivé depuis une trentaine d’année, sinon plus. Et c’est ce qui m’intéresse ici. Parce que cela doit avoir des retombées positives sur les orientations de la diplomatie mauritanienne… 
Je sais – nous savons tous – que parler de «diplomatie mauritanienne» est (presque) un abus de langage. Tellement nous avons navigué à vue ces dernières décennies. Le résultat fut pour nous la perte des vocations premières dont la plus essentielle pour nous est celle qui voulait faire de nous un point de convergence entre l’Afrique noire et le Maghreb. Ce que les bâtisseurs avaient exprimé par l’expression «trait d’union», et que la malveillance des uns avaient traduit en Arabe par «hamzatou el waçl» qui n’a pas d’incidence sur le langage. Alors une idéologie a dirigé notre action diplomatique : pour affirmer notre identité arabe, il fallait nécessairement couper avec notre enracinement africain. Vision contre-nature.
Fatalement nous nous sommes retrouvés dans cette position du «ni, ni» : ni africains ni arabes. Nous ne pouvions véritablement «être nous-mêmes» dans un Maghreb très en avance par rapport à nous, ni dans une Afrique noire pour laquelle nous affichions un dédain injustifié. Les évènements avec le Sénégal aidant, la Mauritanie s’est retrouvée orpheline de son environnement géopolitique naturel, dépossédée de sa vocation naturelle d’être l’interface pour l’un et l’autre des mondes arabe et africain.
Arrivera l’ère de l’extravagance dans les positions qui atteint son paroxysme avec les conflits ouverts avec les voisins du nord et du sud, puis la sortie de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avec  l’établissement de relations avec Israël. L’incongruité et l’inconstance caractériseront alors notre diplomatie. 
Affirmer la personnalité mauritanienne, c’est sans doute réhabiliter la vocation de «trait d’union», de point de convergence, d’interface, appelez-le comme vous voudrez.
Nous avons aujourd’hui la chance de pouvoir le faire, cela passe par l’exploitation efficiente des opportunités qui nous sont offertes. D’abord celle du retour sur la scène africaine. En parler pour mettre en exergue le rôle qui est le nôtre, qui doit être le nôtre et qui peut être le nôtre : nous ne sommes rien pour le Monde arabe si on ne lui apporte pas notre ancrage africain. Et vice-versa.
Cela devra se concrétiser par l’ouverture d’un débat sur le retour dans les organisations sous-régionales comme la CEDEAO. Pourquoi d’ailleurs ne pas le décider sans attendre ? Tout le monde dit aujourd’hui que nos ressortissants souffrent de cette sortie qui a été catastrophique pour eux dans le pays qui les accueillent.
En tout cas, avec la chute du régime libyen et la partition du Soudan, toutes les portes sont ouvertes devant la diplomatie mauritanienne pour reprendre ce rôle moteur qui a été les siens en des moments où le pays ne pesait point. A nous de jouer.
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 Editorial N° 541 (publié le 14 mars 2011)

Il était Docteur, Professeur, Maître… Il était un des Génies de ces temps qui ont vu le reflux de l’intelligence et qui ont fini par ne plus reconnaître ceux de son espèce. Des gens faits d’une étoffe qui n’est plus fabriquée, nourrie d’une source qui semble tarie depuis que nous avons négligé son entretien…
Yahya Ould Hamidoune aurait dû se suffire d’être le fils de Mokhtar Ould Hamidoune, l’Ibn Khaldoune de l’espace mauritanien, l’inspirateur de l’Histoire moderne de notre pays, précurseur d’une sociologie «locale» qui a ouvert la voie aux études du pays et de ses populations.
Yahya Ould Hamidoune est un Génie des Mathématiques – comment dit-on cela ? Il en savait tellement, tellement il était intelligent qu’il avait été recruté parmi les chercheurs du CNRS français. Comme tout génie, «ses ailes de géant l’empêchaient de marcher», du moins comme l’homme du commun aurait voulu le voir marcher… C’est ce Génie que l’irresponsabilité et la négligence viennent de tuer.
Notre culture nous enseigne la résignation qui prend ici une dimension autrement plus noble pour ce qu’elle porte d’attitude stoïque – au sens philosophique – et de grandeur d’esprit. Nous nous en remettrons à Dieu qui ne fait de nous que ce qui est juste et convenable pour nous. Reste cependant qu’il nous est permis de dire les faits, de les dénoncer…
Yahya Ould Hamidoune a été malade ici. Un médecin lui a prescrit un antibiotique qu’il a acheté dans une pharmacie de Nouakchott. Il en est mort. Là-bas, en France où il a été évacué d’urgence, on a dit que le médicament l’avait «empoisonné». Il est le premier «grand» mort de la «mal médicamentation». Des dizaines de gens simples en meurent tous les mois. On en a parlé. Et c’est ce qui a amené les autorités à imaginer une loi pour imposer à nos marchands de médicaments – cela sonne désormais comme «marchands d’armes» - des règles strictes d’achat et d’exercice. Trois années pour élaborer la loi et enfin la présenter devant le Parlement. Le lobbying à l’intérieur des deux Chambres permettra à ces marchands dont certains y siègent, de vider la loi de son contenu et de la tailler sur mesure pour leurs pratiques frauduleuses et finalement dangereuses.
Les autorités essayent depuis plus d’un an de trouver la parade. Le gouvernement a imaginé qu’il pouvait élaborer un Arrêté ministériel qui ferait de l’importation des antibiotiques une exclusivité de la CAMEC qui est la centrale officielle d’achat de médicaments. Le tout-puissant lobby des importateurs et vendeurs de médicaments – on ne peut les appeler «pharmaciens» parce que ce serait une insulte à une noble profession exercée ici aussi par des gens formés pour cela -, ce lobby puissant fait obstacle au gouvernement qui tente de faire signer par le ministre de la santé cet Arrêté…
Oui, l’Etat plie devant ces marchands de la mort… il ne faut pas hésiter à les qualifier de la sorte, même s’ils présentent pour la plupart un look surfait d’hommes de grande piété et, pour certains, de nobles engagements. 
Si l’Etat est incapable d’imposer sa volonté, il ne nous reste plus que demander à nos Imams de s’adjoindre à nous dans une campagne nationale contre ce commerce dangereux pour tous. Tous ne peuvent pas, mais cela ne nous empêche pas de les interpeller. Eux qui sont prompts à tirer sur tout ce qui ne leur convient pas, eux doivent comprendre qu’ils font partie des victimes probables. Comme nous tous d’ailleurs.
Que les partis politiques s’en mêlent, surtout ceux dont les représentants dans les Chambres ont participé à l’assèchement des dispositions de la loi dont l’objectif était de réprimer les trafics et les mauvaises pratiques autour du commerce du médicament.
Ceux qui nous tuent en mettant sur le marché de faux ou de mauvais médicaments, et/ou en confiant la gestion des médicaments à des profanes, ceux-là sont des assassins. Au même titre que les terroristes qui font exploser leurs engins parmi nous. Alors combattons-les. De toutes nos forces.
Que Dieu nous pardonne notre duplicité. Qu’Il accueille nos morts en Son Saint Paradis. Qu’Il allège pour nous le fardeau de leur perte.
A Aïchetou, Toutou, Ahmed et Hamidoune, aux petits-enfants de «Tah», aux amis et compagnons de Yahya, nous présentons ici l’expression de nos condoléances les plus attristées. Inna liLlahi wa inna ilayhi raji’oune.
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Editorial N° 540 (publié le 7 mars 2011)

Le Monde a changé. Le Monde change. Comment faire pour l’accompagner ? C’est la question que tous les Mauritaniens doivent se poser. Chacun peut avoir sa réponse, chacun doit avoir sa réponse.
Il faut d’abord savoir ce qu’on veut. Question banale, non ? Allez, répondons. Créer un Etat moderne ? une démocratie ? une fédération des tribus ? une gestion assainie ? un chef tout-puissant ? un laisser-aller ?
N’est-ce pas déconcertant de voir que les mêmes qui appellent au changement, sont prompts à perpétuer les comportements qui ont produit le passé. Pour des raisons de convenances personnelles, de liens de sang, d’alliances, d’intérêts personnels… Finalement nous avons l’impression que ceux qui contestent le présent, c’est soit pour restaurer un passé qui leur a appartenu, soit pour conquérir des privilèges qu’ils ont toujours voulus. Dans ma jeunesse, les antirévolutionnaires nous opposaient que les révolutions permettent juste de changer les injustices de place…
Quels moyens avons-nous d’arriver à nos desseins ? Le système éducatif et la corruption des mœurs ont fait que depuis le milieu des années 80, la Mauritanie a formé des générations sans repères. C’est arrivé au moment où le pays vivait une décadence forte. Nous avons aujourd’hui trois générations de Mauritaniens qui aspirent, du moins officiellement, à l’exercice du pouvoir.
La plus «vieille» est celle qui prétend à l’expérience de l’administration et de l’exercice des affaires publiques. C’est cette génération, aspirant toujours à regagner les allées du pouvoir, qui a accompagné les différents régimes militaires jusqu’à Ould Haidalla et Ould Taya. Apprivoisant ceux-ci, elle a réussi à imposer les schémas qui étaient les siens. Les Structures d’éducation de masses (SEM) puis le Parti républicain démocratique et social (PRDS), ce sont ces gens-là.
La génération qui devait être celle de la relève – et qui a été bien formée pour avoir profité des dernières années d’un système éducatif sérieux -, cette génération a été gagnée par la gangrène, perfectionnant le système de prédation et de corruption politique. Inversant valeurs et détruisant institution. Tribalisation excessive et culture du particularisme. Déni de moralité à tout rapport avec la politique… Cette génération-là est la grande perdante du changement d’août 2005.
Arrive la génération, faite essentiellement des enfants des premiers. Les moins de trente ans, mal formés techniquement et moralement. En 2000, pour dire tout le bien que je pensais du bras de fer engagé par Conscience et Résistance contre le régime de l’époque, j’avais écrit un papier que j’avais intitulé «Génération Maawiya». Il s’agissait de ces jeunes issus des écoles mauritaniennes que nous avons embrigadés, avant leur maturité, dans nos batailles politiques. Qui se rappelle encore de ces enfants portant carte d’identité et régulièrement inscrits sur les listes électorales ? Personne. Parce que les auteurs de ces forfaitures sont passés de l’autre côté. Ce sont eux qui font la conscience – et l’objection de conscience – en ces jours d’espoir et de doute.
Chez nous, la résistance au changement vient de toute part. Parce que les fauteurs ont investi tous les espaces publics, tentant – et réussissant dans la mesure où ils sont aujourd’hui dans la position de donneurs de leçons – l’opération de blanchiment la plus importante de l’Histoire du pays. L’alliance objective entre certains pans du pouvoir actuel et leurs compagnons d’hier est de plus en plus évidente. Chacun, de sa position, essaye de restaurer le passé.
Dans ce contexte, l’anticipation est la meilleure arme du pouvoir. Mais aussi la promotion de la compétence et du mérite. Nous avons besoin de croire que nous ne naviguons pas à vue, qu’il y a une vision qui guide nos pas, qu’il y a un personnel pour porter cette vision… De la lisibilité, de la visibilité, de l’engagement pour ce faire.
Avec ses 55 ans, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz peut répondre aux aspirations de changement qui ont du reste justifié tous les changements qu’il a provoqués. Elu sans avoir eu recours à des partis ou des intermédiaires traditionnels (chefs tribaux ou autres), proposant un renouvellement de la classe et des pratiques politiques, prétendant incarner la négation de ce qui l’a précédé…, il a encore les possibilités de provoquer les renversements espérés.
Il ne faut pas que les faux calmes nous trompent. Les réformes doivent être pour maintenant. Pas sous la pression. 
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Editorial N° 539 (publié le 28 février 2011)

L’un des héritages catastrophiques des décennies passées sous la coupe de pouvoirs aussi incapables les uns que les autres, est certainement cette propension à disqualifier la vérité par rapport à l’approximation et même au mensonge. A telle enseigne que nous en sommes parfois à nous demander si le changement espéré ne commence pas par la réhabilitation de la vérité.
Combien de fois nous nous trouvons emballés par une information qui n’a aucun fondement, par une analyse erronée parce que basée sur du faux ? Jamais vous ne pouvez avoir, dans notre pays, la même information chez les témoins d’une même scène. Chacun vous donnera l’information avec un contenu souvent différent de l’autre. Je ne parle pas ici de la manière de lire, de commenter, mais des faits. C’est encore plus grave pour les chiffres. Comment trouver le chiffre exact en Mauritanie ? L’autre jour, en Côte d’Ivoire, chacun des membres de la mission diplomatique, des officiels et des représentants de la communauté nous donnait «son» chiffre. Du coup le nombre des mauritaniens vivant dans ce pays en guerre variait entre 30.000 et 200.000 personnes. Et pour ajouter à la confusion, on n’hésite pas à souligner : «Il faut ajouter ceux qui ont des papiers maliens ou qui ne sont pas enregistrés».
Tout cela est le fruit de l’instrumentalisation et de la politisation de tous les aspects de la vie. Au lieu de se dire que la réalité est déjà assez scandaleuse, on ajoute de l’incongru. Il ne se passe pas un moment sans que l’on soit faussement scandalisé par un fait ou un autre.
L’autre jour, quelqu’un est venu raconter très doctement dans notre rédaction que l’espace des anciens blocs a été vendu dans des conditions «occultes» et à des opérateurs «douteux». Naturellement, il est facile pour celui qui parle de compter seulement quelques-uns des acquéreurs, ceux qui ont une parenté avec le Président de la République. Le but ici n’est pas seulement de mettre en doute l’opportunité de l’opération, mais d’insinuer que les procédés qui ont coulé le pays par le passé, sont toujours en cours. Ce sont seulement les bénéficiaires qui ont changé.
Dit comme ça, et dans la conjoncture actuelle faite de doute et de manque de visibilité, le premier réflexe d’un commentateur est naturellement de s’associer à la colère et au rejet. Mais si l’on prend la peine, on découvre autre chose. C’est un papier paru chez notre confrère Le Quotidien de Nouakchott qui m’a le plus éclairé sur cela.
Près de six milliards devraient être versés au trésor public dans moins de trois mois. Les acquéreurs sont assez diversifiés et n’ont soumis de propositions que ceux qui sont réellement intéressés. D’ailleurs, chacun avait obligation de faire un dépôt de 15 millions qu’il perdait automatiquement s’il se désistait. C’est le cas de l’un d’eux, MACOBA qui a acheté un lot au prix fort de 600.000 UM le mètre carré. Maintenant c’est au suivant de donner le même prix pour avoir le terrain concerné.
Sinon tous les autres ont un cahier de charges bien définies : construction d’un immeuble de cinq à six étages dans trois ans au plus avec obligation de commencer les travaux au début de l’année à venir. L’Etat doit, à tout manquement aux exigences du cahier de charges, résilier la vente. L’acquéreur perdra alors ce qu’il a déjà versé.
L’opération elle-même s’est déroulée avec une transparence maximale sous la houlette d’un conseiller du Premier ministre qui est reconnu pour sa rigueur morale et professionnelle (Hassen Ould Zein, conseiller aux finances). Personne d’ailleurs ne conteste le bon déroulement, même si les sous-entendus fusent d’un peu partout.
Jamais des parcelles n’ont coûté aussi cher à leurs acquéreurs. On sait quand même comment et à quel prix ont été acquis les domaines appartenant aux grands opérateurs. C’est quand même un pactole de près de six milliards qui sera versé au trésor.
C’est aussi un signe que donnent les opérateurs, signe à deux niveaux. Au premier niveau, ils démontrent qu’ils veulent bien investir et qu’ils ont prêts à regarder loin. Dans un pays où la perception du temps est faussée par le manque de perspective, c’est là une attitude à louer. Au second niveau, c’est une expression de la confiance qu’ils ont dans le pays, sa stabilité et son développement notamment. Le privé mauritanien a toujours été utilisé comme le bouc-émissaire du mal développement. Il est temps que cela s’arrête.
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Editorial 538 (publié le 22 février 2011)


Oublions un moment ceux de nos politiques qui ont manifesté dans les rues de Nouakchott pour apporter leur soutien au président libyen Moammar Kadhafi. Espérons que leur parade n’ait pas de répercussion sur notre communauté installée dans ce pays. Parce que là-bas l’opposition au régime accuse déjà les étrangers – surtout africains – de participer à la répression engagée par les autorités.

Oublions un moment les morts de Sanaa, de Manama, de Benghazi… Les troubles que connaissent les pays arabes présentement et qui paraissent être des tentatives de reproduction de la révolution égyptienne.
Oublions ceux qui n’ont rien compris à la marche du monde, au déroulement de l’Histoire sous leurs yeux. A commencer par l’administration américaine qui en est encore à opposer son véto à une condamnation de la politique de colonisation (de colonies) en terre palestinienne. A finir par les dirigeants encore au pouvoir depuis 10, 20, 30 et même 40 ans, sans arriver à comprendre que la voix des peuples sera toujours la plus forte, qu’elle sera celle qui dominera la cacophonie ambiante.
Oublions un peu le Monde et ses actualités, tristes et moins tristes, prometteuses ou désespérantes…
Savez-vous que les députés de l’Assemblée nationale ont, d’un commun accord, rejeté la loi qui se rapporte aux fraudes en électricité ? Une bataille livrée par nos honorables députés et pour laquelle ils ont dépensé de grandes énergies. En pressions, en lobbying, en conciliabules… C’est anodin me direz-vous. Peut-être… si l’on oublie ce que cela coûte à la communauté de supporter le manque à gagner pour la société nationale d’électricité qui est volée d’abord par les plus riches dont nos honorables élus. Les plus grands déficit sont occasionnés par les mics-macs des privilégiés et non les arrangements de la population. Ce sont les moins nantis qui payent pour les mieux pourvus. Mais nos députés n’étaient inspirés que par de bonnes intentions en bloquant la loi…
Rappelons cependant que ce sont ces mêmes députés qui ont refusé – d’un commun accord – d’adopter la loi sur la transparence de la gestion publique dans sa mouture originelle. Ils ont tenu, bataillé pour que les élus – du moins députés et sénateurs – ne soient pas concernés par la déclaration des biens, base même de la philosophie de la transparence.
Rappelons toute l’énergie dépensée, au tout début de la législature, pour améliorer les traitements des élus. Les arguments invoqués, les prétextes utilisés…
Rappelons le lobbying opéré pour vider la loi sur les pharmacies de sa substance. Pourtant tous savaient ce que coûtait au peuple mauritanien l’exercice de cette activité par des commerçants obnubilés par le seul souci du gain. Combien de morts, de mutilés causés par la mauvaise médicamentation ? Les marchands de la mort – au même titre que ceux qui vendent les armes ou la drogue – ont bénéficié d’une connivence inespérée de la part du législateur quand l’autorité publique a voulu limiter les dégâts. La collision des intérêts entre la double casquette de représentant du peuple et de commerçant a fait son effet. En effet nous savons que nos députés profitent financièrement – et largement – de leurs statuts d’élus du peuple. Certains plus que les autres. Certains plus évidemment et donc plus vulgairement que les autres. En termes de marchés douteux, de passe-droits, de privilèges indus…
Heureusement qu’on arrive à la fin de la législature. Mais qu’est-ce qui peut permettre d’avoir à l’Assemblée des hommes et des femmes moins portés sur les profits personnels ? Comment pourrait-on choisir pour nous des gens de qualité qui n’auront pas à défendre le truand au détriment de leur peuple ? qui n’auront pas à bloquer des lois destinées à réprimer la fraude ?
Mais oublions d’ailleurs le Parlement dont le mandat se termine en 2011. Oublions-le comme tout ce qui peut déranger notre fausse quiétude.
Sous nos latitudes, les gens détestent tout ce qui peut les amener à réfléchir. Ils n’aiment pas ce qui exige d’eux rigueur et responsabilité. Et c’est pourquoi, tout en étant exigent vis-à-vis de l’autre, ils se plaisent dans la complaisance pour eux-mêmes. Du coup, nous n’aimons pas nous remettre en cause parce que cela peut nous amener à nous déjuger.
Il est naturellement plus convenable de se mettre dans la position de celui qui critique sans faire de proposition alternative. C’est plus facile. Cela correspond mieux à notre tendance – presque naturelle – à la paresse. Physique et intellectuelle.
Ne soyons pas surpris de nous voir faire le procès d’un responsable ou d’une entreprise pour 20% d’échec, alors que nous affichons une indifférence totale à 100% d’échec. C’est que le dernier nous réconforte dans notre refus de nous améliorer, alors que le premier nous interpelle en nous donnant la preuve que la réussite est possible.
Oui, la réussite est même probable quand on y croit. Elle devient certaine quand on la veut et quand on la veut, on la cherche en mettant à profit tous les atouts existants. Et parmi eux celui de la compétence. En réhabilitant la compétence, on pourra oublier tout ce qui inquiète.
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Editorial N° 537 (publié le 14 février 2011)


En Tunisie, cela a commencé par le geste désespéré d’un jeune diplômé devant lequel toutes les portes de l’espoir étaient fermées. Il a voulu protester en se donnant la mort de la manière la plus choquante et la plus spectaculaire : en s’immolant. Mohamed Bouazizi, le jeune de Sidi Bouzid, libérait ainsi des milliers de ses compatriotes de la peur d’un joug qui pesait depuis plus de deux décennies.

En Egypte, c’est un appel presque anodin d’une inconnue. On suppose qu’il s’agit d’une jeune fille de la génération Internet qui a demandé à ses compatriotes de venir l’assister le 25 janvier sur la place Tahrir. Elle donnait ainsi rendez-vous à l’Histoire. Sans le savoir, bien sûr. La suite on la connait.
Trois enseignements à trois niveaux. Au niveau de l’Occident qui a soutenu les dictatures – toutes les dictatures arabes et africaines -, la leçon à retenir est celle-là : la préservation de leurs intérêts passe par la stabilisation des régimes par l’instauration de démocraties pluralistes et citoyennes. La jeunesse qui a mis à bas les régimes de Ben Ali et Moubarak, a fait la démonstration que le monde arabe a fait sa révolution mentale.
En vrai, c’est la bataille pour la Modernité qui a ainsi été engagée. L’image la plus forte restera celle où les sbires du régime égyptien ont envahi la place Tahrir à dos de chameaux et d’ânes, rappelant les méthodes des pouvoirs moyenâgeux. Cette image-là exprimait à elle seule tous les enjeux de cette révolution.
A ce niveau de lecture, il y a lieu de rappeler ici que l’Occident s’est ligué contre le pouvoir de Saddam Hussein en lui collant tout sur le dos. Le régime baathiste irakien a été mis à terre. Au nom de la restauration d’un ordre démocratique qui a finalement été ce qu’il est aujourd’hui : anarchie, corruption, mauvaise gestion, guerre civile, destructions, remise en cause des fondements de l’Etat et de son unité… Une chose est sûre, ni les Américains, ni leurs complices arabes ou européens n’ont pu accuser le pouvoir de Saddam Hussein d’avoir détourné les biens du pays à des fins personnelles. Nulle part question de comptes en banque à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Irak. Ce n’est pas le cas des dictateurs soutenus par l’Occident. Rien qu’à voir les fortunes de Ben Ali et de Moubarak. Ça se compte en milliards de dollars, presque l’équivalent des montants des endettements de ces pays. A méditer.
Au niveau du monde arabe, l’Egypte, perdue ces trente dernières années, revient en force comme pôle principal de ce monde. Et on en avait besoin. Tiraillé entre un Iran conquérant et une Turquie islamique et européenne, déchiré par les convulsions modernes, humilié par les dominations et par l’arrogance d’Israël…, le monde arabe se perdait un peu dans le tumulte d’une Modernité jusque-là mal assimilée. Le message de la place Tahrir est celui de l’universalité des valeurs défendues par les nouvelles générations et qui sont celles de la liberté, de l’Etat de droit, de l’égalité, de la justice, du pluralisme… ce pour lequel nous nous battons tous. Cela ne s’arrêtera pas à la seule Egypte…
Au niveau de notre environnement, la leçon égyptienne vaut pour ce qu’elle porte de messages. A notre encadrement national. Ceux qui sont au pouvoir, ceux qui aspirent à prendre le pouvoir, tout comme ceux qui ne sont mus que par le souci du progrès et de l’enracinement de la démocratie et des valeurs qui la fondent.
Où en est la Mauritanie ? Nombreux parmi nos intellectuels et politiques opposants prient pour un schéma à l’égyptienne en Mauritanie. Sans rien faire pour cela, sans non plus mesurer la portée et les conséquences des souhaits publiquement exprimés. En oubliant aussi que les situations de blocage vécues dans notre pays ont toujours donné des coups d’Etat et non des révolutions. A cause principalement des mauvaises lectures des politiques, de l’immaturité des situations et des mauvais calculs.
Même si rien de comparable ne peut arriver ici présentement, le pouvoir a tout intérêt à poursuivre le virage amorcé depuis septembre dernier. Quand le contact a été renoué avec les protagonistes politiques. Quand l’ouverture sur la société civile a été plus nette. Quand la communication du Président de la République a été plus efficace.
Devant les menaces sécuritaires, la consolidation du front intérieur reste un impératif. Et avec elle l’amélioration des performances dans l’action du gouvernement. La visibilité de cette action. Et sa lisibilité.
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Editorial N° 536 (publié le 06 février 2011)

Tout était fait pour faire le maximum de victimes. De désordres aussi. Au total trois tonnes d’explosifs. En plus d’armes individuelles destructrices. Chaque voiture pouvait faire des dégâts à plus d’un kilomètre à la ronde. Imaginons le désastre évité… un peu par chance.
Trois voitures sont passées par la frontière du sud-est alors qu’elles étaient repérées dès leur point de départ. Deux d’entre elles – au moins – ont traversé  huit régions du pays : les deux Hodhs, l’Assaba, le Guidimakha, le Gorgol, le Brakna et le Trarza avant d’arriver sur le territoire du district de Nouakchott. La troisième voiture est repartie (visiblement) vers sa base. Deux des éléments armés ont fait cinq jours de cavale dans une zone très peuplée (Trarza). Il y a lieu de se poser des questions. De chercher des réponses à ces questions. D’en tirer les conclusions.
Ce n’est pas la peine d’aller plus loin. L’urgence étant de tirer la sonnette d’alarme, de comprendre qu’il s’agit là d’un avertissement. Que nous payons à moindre prix la guerre qui nous est menée par AQMI, surtout par ceux de nos fils qui ont choisi de rejoindre les camps du nord du Mali.
La Mauritanie a, jusqu’à récemment, été le maillon faible de la chaîne des pays concernés par l’activité du crime organisé. Il faut rappeler ici la situation de 2005, quand, à Lemghayti, le Groupe salafiste de combat et de prédication, le GSPC devenu AQMI, massacrait impunément les nôtres. Ghallawiya, Tourine, Aleg, Nouakchott… AQMI a porté ses efforts sur le pays qui semblait être le plus fragile, le plus vulnérable.
Mais depuis les attaques sanglantes, la Mauritanie a fait d’énormes efforts. L’Armée s’est dotée de moyens pour faire face. D’abord contrôler le territoire national. Ce qui a été fait. Ensuite mettre en place des unités mobiles et bien équipées. Ce qui a été fait. Engager les pays voisins dans l’effort global de lutte contre une activité criminelle transfrontalière. Ce qui a été fait, du moins partiellement avec l’engagement du Mali aux côtés des Mauritaniens.
Depuis les campagnes de juillet et de septembre 2010, les armées maliennes et mauritaniennes pratiquent une tactique de «containment» des éléments terroristes dans le désert du nord. Cela a servi, au moins, à faire changer la peur de camp. Depuis, ce sont les terroristes qui se terrent. Et quand ils sortent, c’est pour se faire arrêter ou se faire tuer. Il suffit de voir combien d’entre eux ont été neutralisés en Algérie, au Mali, en Mauritanie depuis l’été dernier.
Les Emirs des katibas semblent avoir décidé de faire payer la Mauritanie. L’effet de l’opération, si elle avait réussi, aurait été dévastateur pour le pouvoir en place certes, mais aussi pour le pays tout entier. Ils ont échoué. Heureusement pour nous. Que vont-ils faire maintenant ?
Il ne faut pas croire qu’ils vont baisser les bras. Une soixantaine de mauritaniens sont toujours de l’autre côté, prêts à se laisser utilisés par leurs commanditaires. La prochaine étape sera celle, non pas des voitures piégées, mais des actions ciblées. Avec notamment des kamikazes lâchés cette fois-ci dans les marchés, les regroupements. Ce sera peut-être des meurtres commandités de personnalités symboliques. Tout peut arriver.
Si la bataille militaire est remportée – même momentanément – par la Mauritanie, celle des renseignements reste à mener. Les pouvoirs publics doivent mettre à profit la présence mauritanienne au nord du Mali. Un nord malien qui reste un prolongement social de notre pays. Des actions ciblées doivent profiter à ces populations fragilisées par l’absence d’activités économiques, y compris le trafic que combattent les Etats malien et mauritanien. Il faut créer une activité génératrice de revenus à la place et ne pas laisser de vide qui puisse profiter à la propagande des terroristes. Passer des pactes avec les populations vivant au bord des frontières, de l’un et l’autre des côtés. Les sensibiliser, les armer éventuellement, les retourner contre les terroristes qui ont empesté leur environnement.
Il faut aussi penser à réactualiser la cartographie de la Mauritanie. Redynamiser les forces de sécurité. Il faut surtout enlever tous ces postes de contrôle sur les routes de Mauritanie. Ils ne servent à rien, sinon à encourager la corruption et à baisser la garde.
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Editorial N° 535 (publié le 31 janvier 2011)

J’appartiens à l’une des générations de ce pays qui a grandi dans le rêve, dans la forte aspiration à un monde plus libre, plus juste, plus mesuré dans sa boulimie… Ces générations qui ont aussi vécu défaites après défaites, brimades sur brimades, frustrations plus frustrations… Si bien qu’elles avaient fini par croire que les régimes totalitaires procèdent de la nature des systèmes. Tout comme l’affaissement des peuples et leur acceptation des ordres iniques.

Au niveau de cette Nation arabe, les révolutions en cours en Tunisie et en Egypte sont venues rappeler qu’aucun système ne peut continuellement tenir en laisse un peuple, aucune force ne peut indéfiniment contenir la soif de liberté et de bien-être des peuples. Même si l’on ne sait pas encore comment tout cela va finir, les systèmes cherchant à se régénérer à moindre prix, la jeunesse tunisienne puis celle égyptienne nous permettent de relever la tête. Le temps pour nous de ne plus sentir le fardeau des carcans policiers, de nous tenir une nouvelle fois debout. Et quand nous reprenons l’usage de cette station, il n’est pas facile de nous la faire reprendre.
Il y a effectivement ce côté «catharsis collective» de ces déchaînements. Comme si on nous libérait pour nous redonner espoir en nous. Le monde Arabe ne sera plus jamais comme avant.
Rappelons-nous ce qui s’est passé chez nous en 2005. Le pays était dans une impasse totale.
La répression des opposants avait tué toute velléité. Cette répression avait abouti à l’exclusion des protagonistes. Et, chose beaucoup plus grave, elle avait obligé les élites à ne plus croire à la volonté et à l’aspiration du changement. Du coup, cette élite a cherché à composer avec le système en place, se rendant coupable de complicité passive pour certains, active pour la plupart.
Le pillage des ressources, la gestion patrimoniale de l’Etat, l’absence de visions d’avenir… ont détruit le tissu économique qui commençait à prendre forme au début des années 80. Comme ils ont corrompu la confiance entre la Mauritanie et ses partenaires.
Au niveau social, l’exclusion, l’enrichissement d’une minorité chaque jour plus identifiable et l’appauvrissement grandissant de la masse, la répression des syndicats, le refus de reconnaitre et de faire face aux maux d’une société profondément inégalitaire, la tribalisation excessive des rapports sociaux pour des besoins politiques, tout cela avait participé à l’atomisation de la société, à la perte de valeurs et de repères.
Au petit matin du 3 août 2005, le pays allait droit au mur.
Nous n’avons pas les atouts de la Tunisie et de l’Egypte. Ni le niveau d’éducation, ni la vigueur de la classe moyenne, ni le niveau de développement, encore moins l’enracinement dans l’idéal national. S’en rappeler juste pour imaginer ce qui pouvait arriver à ce pays si l’Armée n’avait pas pris le pouvoir ce jour-là. Et si elle n’avait pas engagé un processus ouvert et consensuel.
C’est malheureux à dire, mais ce ne sont pas les politiques qui se sont empressés de soutenir le coup d’Etat, ce ne sont pas ceux-là qui vont dire le contraire.
Comme actuellement en Tunisie et en Egypte, notre «révolution» à nous est restée «ouverte». Elle a dû souffrir la capacité de nuisance des forces centrifuges, celles qui combattent le changement et qui entendent restaurer le système qui leur a permis de piller et de voler en toute impunité. Comme on le voit aujourd’hui en Tunisie et en Egypte, en Mauritanie le système de l’avant-3 août 2005 continue de livrer bataille. Et parce que nous avons manqué de vigilance, il y a toujours des risques de le voir restauré. Le challenge ici et là-bas, c’est de ne pas laisser faire.
En Tunisie et en Egypte, la révolution a été prise en charge par une jeunesse libérée et moderne, rassurée par la position de deux armées qui ne semblent pas avoir de velléité quant à la prise de pouvoir directe. Même s’il y a de plus en plus de voix qui appellent à la prise du pouvoir de l’armée dans ces deux pays.
En Mauritanie, le changement – appelons-le comme ça – a été combattu, d’abord par ceux qui devaient le promouvoir. La soif du pouvoir, l’absence de vision et d’initiative ont réduit le jeu politique à une opération de racolages occasionnels.
Demain, les autorités appelleront à un dialogue autour du nouveau Code électoral. Les partis d’opposition accepteront-ils d’y participer ? Les prétextes de l’absence dans la préparation, de l’absence de référence à Dakar ou encore de l’exigence de passer par la Coordination de l’opposition démocratie (COD) au lieu de l’Institution, ces prétextes pourraient certainement être invoqués. Demain aussi seront lancées les concertations sur l’éducation dans le cadre des Etats généraux prévus en avril.
L’un et l’autre des évènements pourraient pourtant constituer l’occasion de convergences salutaires. Qui ne veut pas une école sérieuse pour la Mauritanie ? Qui ne veut pas d’un système électoral fiable et équitable ? Qui ne veut pas de l’engagement contre la gabegie ? le renouvellement de la classe politique ? la reprise de parole par les plus faibles ?
Toujours les mêmes. Ceux qui l’ont refusé des décennies durant et qui sont aujourd’hui très influents chez tous les protagonistes.
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Editorial N°534 (publié le 24 janvier 2011)

Dans une société comme la nôtre, le suicide est classé dans la catégorie des «grands péchés». Rien ne doit ni ne peut justifier aux yeux du commun des Mauritaniens la décision d’un homme – ou d’une femme – de se donner la mort. L’utilisation du feu ajoute à l’horreur de l’acte. C’est dire tout le choc causé par le geste du jeune Yacoub Ould Dahoud qui s’est immolé devant le siège du Sénat lundi dernier.
Au-delà des instrumentalisations politiciennes tentées ici et là – et qui ont quelques aspects d’indécence -, cet acte sonne comme une objection de conscience à tout l’encadrement national, politique et intellectuel. Il révèle de nombreux messages que nous nous devons de ne pas ignorer.
Il y a comme un Rubicon qui a été franchi, une ligne rouge qui a été franchie, un interdit violé. Ce n’est pas là pourtant le premier acte d’immolation en Mauritanie, encore moins le premier suicide.
Déjà à la fin des années 60, un jeune militant de gauche avait tenté de le faire. Il avait survécu. Dans ces années-là, une jeune fille d’un milieu maraboutique très considéré, s’était jetée dans un puits. Elle était aussi militante et entendait dénoncer le joug social qui lui pesait dans son petit campement. Puis au début des années 70, un autre militant de la gauche de l’époque, s’était immolé en plein jour non loin de la grande Mosquée de Nouakchott. On avait dit à l’époque que l’homme dénonçait la répression qui s’était abattue sur le mouvement auquel il appartenait. On avait dit aussi qu’il était «déséquilibré par des problèmes personnels». Exactement comme on dit aujourd’hui.
Nul n’accepte que l’un de nous peut en arriver là. Plus parce que nous voulons croire que notre société ne peut produire des êtres prêts à donner ou à se donner la mort. Qu’elle ne peut produire les conditions pouvant amener quelqu’un à désespérer de la vie au point de voir dilapider «le bien que Dieu lui a réservé».
N’oublions pas toute notre incrédulité quand on nous disait que quelques-uns de nos enfants se sont fait exploser en Algérie, en Tunisie ou même chez nous, entraînant dans leur mort quelques innocentes vies. N’oublions pas non plus quand on nous disait que quelques-uns de nos fils ont dirigé leurs armes contre leurs frères pour… rien. Rien d’autre que le calcul mesquin d’un pouvoir qui avait décidé de fonder sa légitimité sur la culture de la haine intercommunautaire.
Trente ans de corruption des mœurs, de culture du mensonge, de règne de l’antivaleur, de sac moral de la société… ont créé l’homme mauritanien d’aujourd’hui chez lequel «on peut s’attendre à tout» (maa yusankar‘liih shi). Faut-il ici signaler cette photo du brûlé, largement publiée par la presse mauritanienne qui viole ainsi le deuil d’une famille éplorée et manque de respect à cette société déjà très meurtrie ? et ces photos prises lors des cérémonies funéraires ? Quand est-ce que nos journalistes comprendront que la mort n’est pas un spectacle, que le malheur des uns ne peut servir dans nos querelles.
…Alors qu’on attendait un chômeur usé par la recherche effrénée d’un travail, un militant frustré par la marginalisation de son groupe, un pauvre désespéré d’avoir tapé à toutes les portes pour recouvrer un droit, un rebelle jugeant insupportable le joug social, les inégalités et les conditions…, voilà que c’est un jeune – 42 ans quand même - homme d’affaires, de la haute sphère de l’aristocratie maraboutique (en plus), c’est cet homme, bcbg selon les critères consacrés, c’est lui qui se donne la mort de la sorte. Cela ajoute à la force de l’interpellation, à la violence de l’avertissement.
En Tunisie, on a dit – et c’était vrai – que le geste de Mohamed Bouazizi exprimait la détresse de tout un peuple privé de tout, même du droit à la parole. C’est pourquoi il a été la flamme qui a embrasé le pays donnant cette révolution qui ne finit pas de commencer. Avouons quand même que ce n’est pas le cas en Algérie ou au Maroc où des oppositions existent, où la liberté d’expression existe. C’est encore moins le cas de la Mauritanie qui est, quoi qu’en disent les détracteurs du régime, largement en avance sur ce plan.
Si l’acte de Ould Dahoud est une expression personnelle de désespoir, elle concerne tout le monde. Pas seulement ceux qui sont au pouvoir. Mais aussi ceux qui y étaient, pour les passifs qu’ils ont accumulés, la gestion malheureuse qui nous a menés là où nous sommes. Ceux de nos politiques qui ont été aux affaires sont largement responsables du piteux état où se trouve la Nation présentement. Ceux de nos politiques qui se battaient pour le pouvoir et qui ont été obnubilés par ce désir sont aussi responsables que les autres. Par leurs manquements, leurs approximations, leurs égoïsmes parfois désastreux, leurs complaisances malvenues, leurs incuries, leurs faiblesses, leurs incohérences… cela nous a coûté très cher. Cela a coûté cher au pays.
La tragédie qui s’est jouée devant nous devrait nous pousser à nous regarder en face. A nous dire nos vérités. Ce que nous n’avons jamais fait – ou peu fait. Je crois que la révolution que nous avons espérée devrait être celle de la vérité et de la modernité. Nous avons été responsables – tous ? peut-être, en tout cas à peu près – de la détérioration morale et physique de notre société, de la perte de foi chez notre jeunesse. La question aujourd’hui est de savoir comment lui redonner espoir dans la vie. Et non pas comment lui glorifier la mort.
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Editorial N°533 (publié le 16 janvier 2011)


Il faut rendre hommage aux Tunisiens, à la jeunesse tunisienne qui a mis à bas la dictature la plus féroce. N’oublions jamais ce que nous devons à la Tunisie : le premier pays arabe à avoir reconnu notre indépendance à un moment où il fallait de l’intelligence et du courage pour le faire. Zine el Abidine Ben Ali était le modèle de Ould Taya. Heureusement pour le dernier que la fin n’a pas été la même. 
La révolution du peuple tunisien est la première du genre dans le Monde Arabe. La première fois qu’un peuple arabe chasse son gouvernant et met fin à une dictature féroce. 23 ans que ce peuple – le plus éduqué de la région – vit sous une chape de plomb. On avait fini par croire que la domestication des peuples était une fatalité dans le Monde Arabe. Quelles leçons pour nous ?
D’abord que l’ère des enfermements est finie. Si le régime de Ben Ali avait mis au pas la presse, les partis politiques et les associations civiles, il n’a pas pu empêcher la jeunesse tunisienne de coordonner son action et de faire parler de sa révolution. Cette révolution est d’abord celle des nouvelles technologies et de ce qu’elles permettent comme ouvertures sur l’autre. D’Al Jazeera, des réseaux sociaux sur Internet, en passant par le téléphone mobile et les SMS, les Tunisiens ont su profiter pour contourner les interdits.
Il faut dire ensuite que plus un régime est dur avec son opposition, plus il risque une fin violente. Nous le savons, nous qui avons vécu des coups d’Etat toujours sous prétexte de blocages. Mais c’est encore plus vrai pour des régimes comme celui qui vient de tomber en Tunisie et qui se trouve être une variante des régimes qui sévissent encore un peu partout dans le Monde Arabe. L’existence d’une opposition forte et libre est une garantie en plus de la stabilité.
Il en va de même pour l’existence d’une presse libre et forte. En fait, plus un peuple possède des cadres d’expression, plus ses problèmes peuvent être pris en charge par les contre-pouvoirs existants, moins il est porté sur les désordres et sur les révoltes.
Mais il n’y a pas que la soif de liberté qui a fait bouger la rue tunisienne. Il y a aussi la question de la gestion ou plutôt de la mauvaise gestion. N’oublions pas que le début du mouvement en Tunisie a aussi touché l’Algérie. Dans l’un comme dans l’autre des pays, la corruption de l’élite gouvernante et la mauvaise gestion des ressources est dénoncée.
Qu’est-ce qui manque à l’Algérie ? Des ressources ? Mais non ! elle a plus de 150 milliards dollars de réserves. La ressource humaine ? Mais non ! l’Algérie est l’un des pays les plus pourvus en cadres formés et bien formés. Si en Tunisie le poids de la dictature était très lourd, ce n’est pas le cas en Algérie où il y a une liberté de presse et d’association. Mais pour la mal-gouvernance, c’est sensiblement la même chose.
Nous devons avoir peur, nous qui n’avons pas les moyens de l’Algérie, ni la richesse humaine de la Tunisie. Avoir peur des effets de la mauvaise gestion et de l’incompétence.des équipes dirigeantes.
Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz avait promis une révolution sur les mœurs politiques et sur les (mauvaises) pratiques de gestion. Il a emprisonné, relevé parmi ses soutiens. Il a limité les «pompages» en raréfiant les ressources sur lesquelles les uns et les autres s’enrichissaient. Mais ce n’est pas suffisant. Loin de là.
Après les révélations sur la gestion des dossiers de la santé, du suivi de la table-ronde de Bruxelles, des mics-macs avec les investisseurs étrangers, au niveau des mines, de l’énergie, des finances, de la Commission centrale des marchés… partout, la presse, les partis et les députés ont dénoncé, mis à nu la mauvaise gestion des ressources du pays.
Les marchés gré à gré, symbole de la gabegie d’antan, reviennent avec force. La corruption des responsables de certains départements est évidente. Tout comme leur incompétence. D’ailleurs c’est cette incompétence qui fait que les ministres, les secrétaires généraux, les DAF etc… ne peuvent cacher ce qu’ils font.
Bien sût que la baisse des prix est une bonne chose. Mais elle ne peut suffire à juguler les dérapages. Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz a nécessairement besoin de s’entourer de compétences, de faire appel à des gens qui peuvent incarner, porter son message, de confier la responsabilité de gestion à des compétences avérées. C’est urgent. Le temps passe…
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Editorial N°532 (publié le 08 janvier 2011)

Oui l’Assemblée nationale est le théâtre d’un débat national qui manque sur la scène publique. Mais l’importance de ce débat et des critiques formulées çà et là à l’encontre des politiques et des projets proposés par le gouvernement, est occultée par le niveau – très bas la plupart du temps – des échanges verbaux entre députés, entre députés et ministres. Cela atteint des proportions inacceptables pour les valeurs qui fondent le comportement social et les engagements politiques.
Hier encore un député répliquait au Premier ministre qu’il ne s’agit pas de «défendre l’oncle de ses enfants», faisant allusion aux liens familiaux entre lui et le ministre de la santé. Cela manque de maturité pour ne pas dire de subtilité. Aux normes sociales qui sont les nôtres, cela relève du dérapage verbal qui mérite réprimandes.
Les attaques personnelles, la vie privée, les aptitudes intellectuelles et même physiques… quelques-uns y vont de leurs petites phrases qu’ils espèrent assassines et qui se retournent contre eux souvent. On croit avoir trouvé la formule qui sied et on tombe dans la vulgarité.
Il y a certes ce côté «charmant» de l’anticonformisme qui veut que ces violentes sorties soient un refus de continuer dans la culture de la convenance (thaqavat il moujamala) qui est un sport national. Mais non, ceux qui pratiquent cette violence ne sont pas outillés intellectuellement pour prétendre faire une révolution des mœurs. Leurs propos ne dépassent donc pas le niveau des «dérapages incontrôlés». Une sorte d’abus de langage qui n’a aucun aspect positif. Au contraire, elle décrédibilise tout le reste…
Quelqu’un a demandé aux autorités de mettre fin à la «fuite des documents officiels», oubliant qu’il prêchait là pour la réhabilitation de la culture du secret qui a fait le bonheur de l’élite corrompue, responsable du sac moral et matériel du pays. Quelqu’un d’autre a carrément demandé d’empêcher la presse de «sévir», c’est-à-dire de dénoncer et de publier ce qui se passe dans les coulisses de la scène publique. C’est encore une manière de combattre la transparence.
Il faut rappeler ici le combat mené par nos honorables députés pendant les premières sessions parlementaires en vue d’augmenter considérablement leurs émoluments. Il ne faut pas oublier leur refus catégorique d’accepter d’inclure les élus du peuple dans la liste des personnalités devant faire des déclarations de fortune devant la commission de transparence instituée à cet effet. Il ne faut pas oublier l’empressement de certains d’entre eux dans la mise en place d’une commission d’enquête autour du PSI (le fameux programme spécial d’intervention de 2008) quand cela servait les autorités. Leurs silences à cette époque-là sur tout le reste, tout ce qui pouvait déranger le pouvoir naissant.
Malgré cela et bien d’autres choses, il ne faut retenir de cette session qui vient d’être close que ce qui peut nous ouvrir quelques routes heureuses.
Cette session a confirmé le statut d’un Messaoud Ould Boulkheir capable d’imposer sa voix, sa personnalité, son rythme et sa discipline les rares fois où il a dirigé des séances. Par son comportement, ses rappels à l’ordre fermes mais convenables, ses pics d’humour, Ould Boulkheir a incarné ce qu’il y a de bien chez l’élite traditionnelle de notre société (et que l’élite moderne a perdu) : le sens de la mesure, le sens de l’équité (au sens de «al inçaav»), la vérité de l’engagement… Son discours de clôture résume à lui seul tout cela (cf. pages suivantes).
Cette session a permis d’ouvrir un espace de débats dans un pays qui en manque cruellement. Ici au moins, les protagonistes politiques sont obligés de se parler, de se critiquer. Même si cela a occasionné les «dérapages» malheureux, les députés, contrairement à leurs partis, ont accepté de s’adonner à l’exercice démocratique par excellence : le dialogue. A l’occasion, quelques-uns – moins de dix – ont brillé par la préparation de leurs interventions, leur maîtrise du sujet sur lequel ils intervenaient, leur facilité dans l’expression.
Pour notre profession, cette session a permis de faire passer la loi sur l’aide publique à la presse privée. Un financement rendu obligatoire par la loi de 2006, mais jamais présenté par les gouvernements depuis. Avec le texte de la libéralisation de l’espace audiovisuel dont le cahier de charges est presque prêt, la loi sur la presse électronique, on peut parler de réelles avancées, au moins sur le plan du cadre juridique et réglementaire. Reste la nécessaire ouverture des médias publics sur la Mauritanie et les Mauritaniens. Si le pouvoir «pousse» les limites actuelles, cela vaudra au pays de faire un bond en avant dans le classement mondial des libertés d’expression. C’est déjà ça de gagné.