Le lieu : l’«Ambassador» restaurant-traiteur qui dispose d’un
espace où il peut déployer un dispositif de réception grandiose (tentes,
tables, chaises, couverts, tapis et même une scène où les artistes vont se
produire).
Ils sont venus là pour assister à ce qui semble être une première en Mauritanie : le lancement du nouvel album de Maalouma Mint El Meydah, un album au titre évocateur, Knou. Du nom de ce rythme que la musique Bidhâne (azawâne) a consacré à l’expression corporelle féminine. Dans un environnement plutôt conservateur, en tout cas peu exubérant en matière de corps, la danse Knou a très tôt exigé de celles qui la pratiquent de répondre aux canons de beauté dans le monde bédouin et une grande retenue. Le mélange de cette beauté publiquement mise en valeur et le souci de la modération de l’expression corporelle, ce mélange a donné la grâce qui caractérise cette danse et celles qui la pratiquent.
Ce showr, Knou, est si apprécié par les professionnels de la musique Bidhâne que les plus entreprenants parmi eux l’ont joué dans plusieurs modes sans toucher la rythmique originelle qui fait son charme et sa spécificité. Si certains le jouent dans le Vaghu de la Jamba el Kahla (Voie noire) et d’autres dans le K’hal de la Jamba el Baydha (Voie blanche), l’inégalable Cheikh Sid’Ahmed el Bekaye Ould Awa a joué le Knou el Vayez dans le Seyni Karr de la Voie blanche. Le fait d’attribuer cette danse exclusivement aux femmes – et aux belles femmes – est, à mes yeux, un ornement de plus pour rendre la perfection à un rythme unanimement apprécié.
Ce soir Maalouma a choisi de faire danser une professionnelle de la danse traditionnelle, Mint Chighali Mint Amar Iguiw qui a su rendre la grâce caractéristique de ce moment. Elle s’est fait accompagner par la tidinitt de Mohamed Ould Hembara qui a su mettre l’ambiance et rendre la mélancolie du rythme. Une mélancolie qui n’a rien de triste parce qu’elle impose aux auditeurs dignité et grandeur.
Certains vous diront que Knou décrit la démarche des gens qui descendent d’un piton qui porte ce nom. En le descendant, les gens se déhanchent et déambulent gracieusement. C’est ce que la plupart des «explicateurs» nous disent. Mais à regarder la danse, on est plus proche des chancèlements d’un oiseau blessé, aux déhanchements d’une belle et grasse autruche sur le point de tomber entre les mains du chasseur qui l’a juste blessée sans la tuer… le temps pour elle de faire quelques pas de plus… au rythme d’un effort immense qui est rendu par la mélancolie de la musique qui instruit aussi sur le destin tragique et inévitable de l’oiseau… tout est dit dans le rythme. Les mots chantés traditionnellement – repris ce soir par Ould Hembara et Maalouma – peuvent dire quelque chose, comme ils peuvent ne rien dire…
Le style «singulier» - pour ce qu’il a d’originalité – de Maalouma a introduit trois nouveautés essentielles dans le déroulement d’un concert : la station debout qui impose une réelle présence à l’artiste et une plus grande association de l’auditoire, la composition du rythme pour trouver ensuite le texte qui va avec et l’unicité du thème célébré (ou traité) par les mots. Trois éléments qui donnent une oughniya à la Mauritanienne, un concert limité dans le temps et à la portée de tous. On est loin des longues veillées, véritables moments sociaux il est vrai, mais répondant à une hiérarchisation de la société en un temps qui n’est plus et qui n’a plus sa raison d’être. Ce style, dénoncé au début, est devenu le modèle plus ou moins rendu par les artistes-griots d’aujourd’hui. En cela Maalouma a été effectivement une pionnière.
Ce soir Maalouma va ouvrir avec Gwoyredh, ce showr «piqué» dans le répertoire de son père Mokhtar Ould Meidah, l’un des plus grands maîtres de l’art traditionnel. L’un des mérites de Maalouma ce soir, c’est qu’elle nous évitera le playback grâce à l’accompagnement d’artistes confirmés venus spécialement de France rejoindre Arafatt (pianiste, compositeur, distributeur, poète, artiste complet ayant accompagné sa sœur tout au long de sa carrière), Ali Ndaw et tous ceux qui ont su et pu traduire les idées de Maalouma.
L’ârdine nous transperce les sens avant de nous installer dans une atmosphère faite de sentiments mitigés : mélancolie amoureuse, gaité innocente, espoirs et souvenirs… Puis la voix de Maalouma arrive pour nous baigner dans l’univers du plus romantique des poètes amoureux de l’espace Bidhâne, M’Hammad Wul Ahmed Youra, le génie de tous les temps de cet espace…
maa vit aana wunta lathnayn/viddaar bkayna wu shkayna
wutmathnayna viddaar ilayn/min haq ddaar itnajayna»
M’Hammad Ould Ahmed Youra savait se parler du temps qui passe, oubliant
ceux qui l’ont vécu, les laissant se débattre dans les souvenirs de moments à
jamais perdus. Il savait «gronder» cette âme qui ne sait même pas
pleurer aujourd’hui le bonheur ici vécu, qui ne peut même pas rendre ces bribes
de bonheur… une tentative de faire de ce temps perdu un moment d’éternité en le
confondant avec le lieu témoin inaltérable de ce temps-là qui a vu les amoureux
vivre intensément leur plénitude.
Il y a quelques temps, j’écrivais que le nouvel album de Maalouma fera date parce qu’il va signer l’arrivée à maturité d’un style, celui de Maalouma. Un style devenu école malgré les hostilités des premières heures. Parce que quand l’école initiée par Maalouma mûrit, elle revient fatalement aux premières sources de ses inspirations : son père Mokhtar, sa tante Nîla Mint el Boubâne, ses premiers amours musicaux occidentaux et arabes… En somme, un ancrage dans la Tradition résolument ouvert à la Modernité.
Ce soir, Maalouma a permis aux Nouakchottois de renouer avec les atmosphères festives, celles qui bannissent les frontières des âges et celles des appartenances, celles qui peuvent vaincre les fractures pour aller au-delà des pesanteurs pour aboutir à une communion salvatrice pour ce qu’elle offre en terme de catharsis collective.
Le moment : la soirée de dimanche (5/9) comme pour prolonger la
journée de l’Aïd Al Adh’ha et profiter de l’élan festif général.
Le public : un rassemblement hétéroclite de jeunes et de moins jeunes,
de vieux et de moins vieux, de hauts responsables et de simples citoyens,
d’intellectuels, de diplomates…, des hommes et des femmes que seul l’art de
Maalouma peut faire converger dans le même lieu. Ils sont venus là pour assister à ce qui semble être une première en Mauritanie : le lancement du nouvel album de Maalouma Mint El Meydah, un album au titre évocateur, Knou. Du nom de ce rythme que la musique Bidhâne (azawâne) a consacré à l’expression corporelle féminine. Dans un environnement plutôt conservateur, en tout cas peu exubérant en matière de corps, la danse Knou a très tôt exigé de celles qui la pratiquent de répondre aux canons de beauté dans le monde bédouin et une grande retenue. Le mélange de cette beauté publiquement mise en valeur et le souci de la modération de l’expression corporelle, ce mélange a donné la grâce qui caractérise cette danse et celles qui la pratiquent.
Ce showr, Knou, est si apprécié par les professionnels de la musique Bidhâne que les plus entreprenants parmi eux l’ont joué dans plusieurs modes sans toucher la rythmique originelle qui fait son charme et sa spécificité. Si certains le jouent dans le Vaghu de la Jamba el Kahla (Voie noire) et d’autres dans le K’hal de la Jamba el Baydha (Voie blanche), l’inégalable Cheikh Sid’Ahmed el Bekaye Ould Awa a joué le Knou el Vayez dans le Seyni Karr de la Voie blanche. Le fait d’attribuer cette danse exclusivement aux femmes – et aux belles femmes – est, à mes yeux, un ornement de plus pour rendre la perfection à un rythme unanimement apprécié.
Ce soir Maalouma a choisi de faire danser une professionnelle de la danse traditionnelle, Mint Chighali Mint Amar Iguiw qui a su rendre la grâce caractéristique de ce moment. Elle s’est fait accompagner par la tidinitt de Mohamed Ould Hembara qui a su mettre l’ambiance et rendre la mélancolie du rythme. Une mélancolie qui n’a rien de triste parce qu’elle impose aux auditeurs dignité et grandeur.
Certains vous diront que Knou décrit la démarche des gens qui descendent d’un piton qui porte ce nom. En le descendant, les gens se déhanchent et déambulent gracieusement. C’est ce que la plupart des «explicateurs» nous disent. Mais à regarder la danse, on est plus proche des chancèlements d’un oiseau blessé, aux déhanchements d’une belle et grasse autruche sur le point de tomber entre les mains du chasseur qui l’a juste blessée sans la tuer… le temps pour elle de faire quelques pas de plus… au rythme d’un effort immense qui est rendu par la mélancolie de la musique qui instruit aussi sur le destin tragique et inévitable de l’oiseau… tout est dit dans le rythme. Les mots chantés traditionnellement – repris ce soir par Ould Hembara et Maalouma – peuvent dire quelque chose, comme ils peuvent ne rien dire…
Yebghouk ethnayn/aana waana
thaaleth lathnayn/dhaak ellaana (tu es aimé par deux : moi et
moi//le troisième s’il y en a, est bien moi)
Allah akbar/andak yaana
mab’ad Likçar min Dagana (Allah est grand/pauvre de moi//que
Likçar est loin de Dagana)
laa tam ezmaan/hawn ehdhaana
Yengaal Vlaan/ja li Vlaana (Si ce campement/reste non loin de
nous//on dira qu’Untel/est venu à Unetelle)
Mais aussi : Laa ja likhriiv/n’udaana//nizegnen kiiv/bouzenaana
(quand vient l’hivernage, je tournerai en rond comme tourne le scarabée)
C’est ici qu’il faut chercher – pour la trouver – l’une des premières
révolutions apportées par Maalouma : elle a su changer les mots du rythme
pour raconter la vie d’un homme qui fut mille et une choses, à travers des
bribes suivant une métrique particulière… cet homme que vous voyez là a été le
Don Juan de son temps, le poète de son temps, le héros de son temps, le
richissime de son temps, le Sage de son temps, la référence de son temps… nta
vem ? (es-tu là ?)… une question pour s’assurer de l’attention de
l’auditeur et qui remplace la réplique consacrée yamyaana, yom yom...
Avec Knou, Maalouma continue son expérience qui consiste essentiellement à
récupérer ce qu’il y a de mieux dans le patrimoine musical pour le rendre dans
la meilleure des formes que permettent les instruments modernes.
Quand, au milieu des années 80, Maalouma Mint El Meydah avait commencé son
expérience, elle fut l’objet d’incompréhensions qui prirent parfois des
tournants dramatiques. Celle qui bouleversait un ordre séculaire en voulant
vaincre la force d’inertie qui se légitimait par la volonté de «préserver la
tradition», fut accusée de folie au tout début de sa carrière. La société
acceptait difficilement l’émancipation de la «griotte» vers le statut
d’«artiste» à part entière. On a toujours su que «quand les rythmes
de la musique changent, les murs de la ville tremblent». On a toujours
craint cela.Le style «singulier» - pour ce qu’il a d’originalité – de Maalouma a introduit trois nouveautés essentielles dans le déroulement d’un concert : la station debout qui impose une réelle présence à l’artiste et une plus grande association de l’auditoire, la composition du rythme pour trouver ensuite le texte qui va avec et l’unicité du thème célébré (ou traité) par les mots. Trois éléments qui donnent une oughniya à la Mauritanienne, un concert limité dans le temps et à la portée de tous. On est loin des longues veillées, véritables moments sociaux il est vrai, mais répondant à une hiérarchisation de la société en un temps qui n’est plus et qui n’a plus sa raison d’être. Ce style, dénoncé au début, est devenu le modèle plus ou moins rendu par les artistes-griots d’aujourd’hui. En cela Maalouma a été effectivement une pionnière.
Ce soir Maalouma va ouvrir avec Gwoyredh, ce showr «piqué» dans le répertoire de son père Mokhtar Ould Meidah, l’un des plus grands maîtres de l’art traditionnel. L’un des mérites de Maalouma ce soir, c’est qu’elle nous évitera le playback grâce à l’accompagnement d’artistes confirmés venus spécialement de France rejoindre Arafatt (pianiste, compositeur, distributeur, poète, artiste complet ayant accompagné sa sœur tout au long de sa carrière), Ali Ndaw et tous ceux qui ont su et pu traduire les idées de Maalouma.
L’ârdine nous transperce les sens avant de nous installer dans une atmosphère faite de sentiments mitigés : mélancolie amoureuse, gaité innocente, espoirs et souvenirs… Puis la voix de Maalouma arrive pour nous baigner dans l’univers du plus romantique des poètes amoureux de l’espace Bidhâne, M’Hammad Wul Ahmed Youra, le génie de tous les temps de cet espace…
«shmeshâna wu shga’adna/âana wunta hawn uhadna
yal ‘agl vdaar ‘la medna/giblit sâhil wâd Hnayna
dhihka kaan g’adna
‘idna/kaan mshayna ‘anha shaynayal ‘agl vdaar ‘la medna/giblit sâhil wâd Hnayna
maa vit aana wunta lathnayn/viddaar bkayna wu shkayna
wutmathnayna viddaar ilayn/min haq ddaar itnajayna»
Un souci partagé par les grands poètes de tous les temps. On a encore dans
la tête cette interpellation de Lamartine :
«Eternité,
néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?» (Le Lac)
Ce soir, nous manqueront pourtant les répliques des
rappeurs qui, dans le CD, complètent le cycle qui va de la voix de Mokhtar Ould
Meydah sortie d’outre-tombe pour nous baigner dans ce qu’il y a de plus envoutant
dans la tradition musicale des nôtres, à Maalouma qui célèbre le poète M’Hammad
Ould Ahmed Youra en passant par Bonkofa qui a pu malicieusement s’intégrer à
l’ensemble, le tout composant une harmonie qui donne un sens nouveau, une
dimension nouvelle à tout l’art de Maalouma.Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?» (Le Lac)
Il y a quelques temps, j’écrivais que le nouvel album de Maalouma fera date parce qu’il va signer l’arrivée à maturité d’un style, celui de Maalouma. Un style devenu école malgré les hostilités des premières heures. Parce que quand l’école initiée par Maalouma mûrit, elle revient fatalement aux premières sources de ses inspirations : son père Mokhtar, sa tante Nîla Mint el Boubâne, ses premiers amours musicaux occidentaux et arabes… En somme, un ancrage dans la Tradition résolument ouvert à la Modernité.
Ce soir, Maalouma a permis aux Nouakchottois de renouer avec les atmosphères festives, celles qui bannissent les frontières des âges et celles des appartenances, celles qui peuvent vaincre les fractures pour aller au-delà des pesanteurs pour aboutir à une communion salvatrice pour ce qu’elle offre en terme de catharsis collective.