En juillet 1991, quelques jours après la promulgation
de la loi sur la liberté de presse, l’équipe de Mauritanie Demain à la quelle j’appartenais,
recevait son premier acte administratif de répression : la notification de
la saisie de son numéro qui ouvrait la page des années noires (90-91) en
donnant la parole aux rescapés encore meurtris mais francs dans leurs relations
des événements (aucune emprise politique ne s’exerçant encore sur eux). Un dossier
au titre évocateur : «La fin d’un mariage de raison ?» s’agissant
des relations entre les communautés. La saisie nous avait été signifiée d’abord
sur une feuille de papier quelconque et avec comme justificatif le fameux
article 11 qui ouvrait la voie à tous les abus de l’administration. De ce
numéro plus de dix mille exemplaires furent distribués sous forme de
photocopies grâce notamment à l’activisme des éléments du Mouvement des
démocrates indépendants (MDI) et certaines figures du Mouvement national
démocratique (MND). Nous sommes dans la phase de la création du Frond
démocratique uni pour le changement (FDUC) qui va se transformer en Union des
forces démocratiques (UFD) après la libéralisation de l’espace politique qui
interviendra les semaines suivantes.
Mars 1994, la Mauritanie reçoit le roi d’Espagne. Un texte
le décrivant en légère tenue sur les plages d’un pays sous perfusion et
complètement en crise, ce texte est le prétexte pour le ministère de l’intérieur
pour saisir et même interdire pendant trois mois l’hebdomadaire Le Calame. «Le
ministère de l’intérieur peut, par arrêté, interdire la circulation, la
distribution ou la vente de journaux {…} qui portent atteinte aux principes de
l’Islam ou à la crédibilité de l’Etat, causent un préjudice à l’intérêt général
ou troublent l’ordre et la sécurité publics». La décision du ministère est
sans appel et n’est jamais justifiée.
En fait derrière cette interdiction, se trouve un
dossier sur les événements de 1989 et sur les implications dans ces événements de
quelques hauts responsables qui venaient d’être nommés. La description
détaillée et appuyée par les chiffres, les noms de victimes, de dates était
suffisante pour créer le malaise général. Cette interdiction est le point de
départ d’une approche visant la mise au pas de la presse indépendante. Deux journaux
en sont victimes immédiatement : Akhbar el Ousbou et Mauritanie Nouvelles.
On cherche à asphyxier les autres lentement et inexorablement.
Cette politique de mise au pas sera soutenue par une
forte volonté de noyer le plus utile, le plus crédible afin de banaliser le
phénomène de la presse. Des journaux furent créés et soutenus à coups de
millions pour diffamer, insulter, divulguer de fausses informations et
finalement créer un sentiment hostile à la liberté d’expression en général.
Septembre 2005, dans le sillage des journées de
concertations, le Premier ministre de l’époque, Sidi Mohamed Ould Boubacar dirige
lui-même les concertations autour de la question des réformes à apporter dans
le domaine de la communication. A ces concertations participent finalement tous
ceux qui prétendent, à tort ou à raison, être du champ. On en sort avec la fin du
régime de l’autorisation (récépissé du ministère de l’intérieur) vers celui de
la régulation (dépôt légal auprès du Parquet et création d’une Haute Autorité
de la presse et de l’audiovisuel). L’ère de la censure est définitivement
derrière nous.
L’avènement du régime civil en mars 2007, surtout
l’arrivée plus tard en son sein de certains partis de l’ancienne opposition, va
signifier quelques reculs significatifs : fermeture de la «Radio
citoyenne» qui était le seul véritable espace de liberté et d’ouverture du
pays, arrêt de toutes les émissions de débats sur TVM et Radio Mauritanie, gel
de la loi sur la libéralisation de l’audiovisuel… Puis vint la crise politique
qui allait occulter pour un bon moment tout ce qui concerne la presse et la
liberté d’expression. A partir de 2009, le processus de libéralisation devait
reprendre. Avec toutes ces lois sur la libéralisation de l’audiovisuel, la
presse électronique, l’aide publique à la presse… et dont la plus importante
reste la dépénalisation du délit de presse.
Pendant ces années, la fête du 3 mai était célébrée
dans l’enceinte d’une ambassade étrangère. Il faut attendre l’arrivée de Me
Hamdi Ould Mahjoub au département de la communication pour que la partie
mauritanienne se l’approprie définitivement. L’année passée, cette fête a été
célébrée sous forme de communion de l’ensemble des acteurs de la profession :
le ministre Mohamed Yahya Ould Horma avait tenu à impliquer tout le monde en l’étendant
sur une semaine et non un jour. Aujourd’hui, le ministère semble avoir irrité
une bonne partie des acteurs de l’information par la nouvelle approche
visiblement considérée comme un recul.
Devant la prolifération des moyens de communication,
la volonté politique de n’opérer aucun acte remettant en cause la liberté d’expression,
l’impossibilité matérielle d’ailleurs de la limiter aujourd’hui, il faut
trouver une situation d’équilibre qui, tout en garantissant l’exercice de la
profession dans les normes modernes, oblige au respect de la déontologie et de
l’éthique. Un seul moyen : appliquer la législation en cours pour réprimer
toutes les dérives que nous constatons quotidiennement et dont nous sommes tous
victimes. Le pays en premier…