samedi 29 novembre 2014

MP, fora sur l’unité

L’association Mauritanie-Perspectives a organisé une cérémonie de lancement de son forum sur l’unité nationale. Une cérémonie qui a rassemblé de nombreuses personnalités intéressées, actives plus ou moins, chercheurs ou penseurs et/ou simples citoyens. L’occasion de présenter la méthodologie préconisée par l’association pour le traitement de la question.
C’est bien dans le souci de répondre aux questionnements soulevés par les débats actuels sur «la cohabitation entre les différentes communautés du pays, (le) partage des pouvoirs et des privilèges de la Nation». Dans ces débats la question de mesures discriminatoires revient souvent. «MP estime qu’une réflexion sérieuse et un échange apaisé restent nécessaires pour aborder cette question essentielle. Elle souhaite ainsi offrir aux acteurs en présence un cadre opportun pour une expression responsable, des analyses et réflexions de qualité qui puissent aboutir à des recommandations pertinentes et à des contributions positives pour la consolidation de l’unité nationale».
L’association considère qu’il est opportun «d’entreprendre une réflexion solidaire sur la question et d’en débattre d’une façon consciente  et responsable». Et de définir une stratégie qui se déploie sur trois étapes dont la première est cette cérémonie de lancement. «Les échanges se dérouleront, dans une seconde étape, autour des thématiques retenues à travers un forum en ligne et à travers les médias, notamment pour permettre la participation de la diaspora. Pour chaque thématique, il sera désigné un modérateur qui se chargera de faire la synthèse des contributions correspondantes».
La dernière étape sera organisée sous la forme d’«un atelier de restitution, au cours duquel sera présenté le rapport final des échanges et des contributions. Ce rapport fera ressortir les mesures et recommandations susceptibles de renforcer l’unité nationale».
Durant trois mois les modérateurs collecteront les participations autour de thème aussi divers que : Education, enseignement public et privé formation, langues, internat, bourses… Etat de droit, Institutions, justice, prévention des conflits, citoyenneté… Administration centrale, territoriale, fonction publique, contrôle citoyen de l'action publique… Emploi, recrutement, salaire, sécurité sociale, lutte contre le chômage… Religion, mentalités, croyances, traditions, pratiques… Jeunesse, sports et loisirs, espaces d'intégration, service civique ou militaire… Communication, Information et espaces d’échanges, nouvelles technologies …

vendredi 28 novembre 2014

L’indépendance, à quoi ça sert ?

Il y a ceux qui n’aiment pas le pays parce qu’à leurs yeux, «il est le produit de la volonté du colon français». Ceux-là veulent bien changer son nom, son hymne et probablement son drapeau. Sûrement son Histoire.
Il y a ceux qui ont honte de «ce pays qui n’arrive pas à décoller», qui est «toujours dépendant» pour tout de l’extérieur.
Il y a ceux qui participent activement à détériorer l’image de ce pays en le présentant comme la Géhenne sur terre. Avec ses marchés d’esclaves, ses habitants escrocs et incultes, ses élites corrompues, ses institutions inégalitaires, ses pratiques arbitraires, ses camps d’entrainement pour terroristes…
Il y a ceux qui croient encore qu’il n’est pas viable et qui expriment une nostalgie évidente pour la période coloniale ou militent plus ou moins franchement pour son annexion par l’un des ensembles voisins.
Il y a ceux qui aiment sincèrement ce pays et qui sont heureusement les plus nombreux. Ceux-là croient qu’il est en chantier depuis 1960, que sa construction mérite (et demande) des efforts énormes, des sacrifices énormes. Ils sont parfois inquiets pour les résurgences de discours sectaires, voire franchement racistes. Ils sont inquiets pour la chute du prix du fer et celle de l’or, pour les convulsions politiques de l’environnement général, des crises universelles, des fractures sociales et de leurs effets…
Ceux-là ont l’avantage de croire en la Mauritanie. Ils peuvent et doivent soutenir que le «Cendrillon de l’Afrique Occidentale» a bien évolué, et plutôt positivement.

1.      La Mauritanie de 1960 est une Mauritanie profondément traditionnaliste et inégalitaire. L’esclavage y est une pratique largement généralisée. Les disparités sociales y sont évidentes et importantes. Le poids des tribus et des appartenances y est très pesant. L’enseignement ne concerne qu’une élite. Les richesses sont détenues par une élite…
Cinquante-quatre ans après, il y a certainement mille fois plus de Mauritaniens libres de toute emprise, beaucoup plus d’instruits qu’il y a 54 ans. La richesse n’est plus l’apanage de milieux donnés.
Cela ne veut pas dire que les disparités sociales ne restent pas énormes. Que l’esclave ne persiste pas sous toutes ses formes. Que l’ignorance ne lèse pas près de 50% de la population. Que l’influence des plus riches, des «bien-nés», des plus forts… n’est pas encore déterminante dans la vie de la plupart de nos concitoyens.
Cela veut dire quand même qu’un grand chemin a été parcouru sur la voie de l’édification de la citoyenneté comme valeur première. Que les insuffisances sont désormais prises en charge soit par des partis politiques dument reconnus, soit par des ONG spécialisées dans la promotion des Droits de l’Homme soit par une presse totalement libérée des contraintes légales. C’est le lieu ici de saluer les efforts de certaines d’entre elles, notamment SOS-Esclaves de Boubacar Ould Messaoud. Mais aussi de valoriser tout ce plaidoyer qui a permis d’imposer un quota pour les femmes au niveau des postes électifs.
Cela ne veut pas dire que le système éducatif mauritanien est performant. Loin s’en faut ! Il reste à réformer pour le rendre plus efficient, plus démocratique, plus adapté aux besoins du pays en matière d’emplois. Pour permettre de réhabiliter l’école mauritanienne pour en faire un creuset d’intégration et de formation de la personnalité mauritanienne.

2.      En 1960, l’activité économique privée était entre les mains des étrangers. Entre les expatriés venus de France, du Liban, d’Espagne et d’ailleurs, et la main d’œuvre importée du Sénégal et des colonies du sud, l’économie nationale ne reposait sur aucune expertise locale.
 La création de l’Ouguiya en 1973 a dynamisé le capital privé national. Aussi le pouvoir a-t-il opté pour une politique volontariste en vue de l’encourager. On se souvient encore des rapports que le Président Moktar Ould Daddah entretenait avec les premiers hommes d’affaires qu’il avait choisis dans des milieux sociaux modestes.
Le résultat pour le pays est qu’il y a eu, très tôt, des entreprises de bâtiment, de travaux publics, des concessionnaires, quelques industriels et enfin des banquiers dès la libéralisation du secteur.
Il est vrai que la libéralisation des activités économiques s’est faite dans des conditions qui desservent la communauté. Les sociétés publiques ont été bradées. Le capital privé a fini par «acheter le pays», selon l’expression d’un diplomate étranger. Mais cela a participé de la mauvaise gestion qui a caractérisé cette époque et la corruption du personnel politique et administratif.
Quoi qu’on dise du secteur privé mauritanien, il a été – et reste – un facteur de développement. Encore faut-il le libérer du poids de la bureaucratie, assainir ses rapports avec les fonctionnaires et l’encourager à adopter une conduite citoyenne.

3.      En 1960, c’est quoi la Mauritanie, quelle idée ont les Mauritaniens de leur pays ? Trois grandes tendances : celle qui ne croit pas à la viabilité du pays et qui a cherché à le faire annexer tantôt par le Maroc, tantôt par le Soudan français (Mali), tantôt par le Sénégal ; celle qui a cherché le maintien de la colonisation française, toujours pour la non viabilité du projet ; et celle qui y a cru et qui a travaillé pour l’imposer, d’abord à l’intérieur puis à l’extérieur.
Aujourd’hui, la Mauritanie existe. Dans l’esprit des Mauritaniens et sur l’échiquier régional et international. Les Mauritaniens sont «assez grands» et assez matures pour croire à leur pays.
A quelque chose malheur est bon. Les événements de 1989 ont eu un effet psychologique évident : la conscience de l’autre. Le côté «je m’oppose donc je suis» a libéré les consciences du «complexe de l’AOF» que nous développions vis-à-vis des frères et voisins sénégalais. Brusquement, «on» s’est rendu compte qu’on était deux pays différents. Plus tard le règlement des conséquences malheureuses de ces événements permettra d’intérioriser – plus ou moins – la conscience de la responsabilité communautaire.
Les relations avec Israël, ressenties comme une honte, ont fini par permettre aux Mauritaniens d’opérer une catharsis collective tout en rappelant aux «frères Arabes» leur existence. La mise en scène de la rupture y est pour quelque chose.
Les effets négatifs de la sortie de la CEDEAO et l’impossibilité pour les frères maghrébins d’avancer sur la voie de la communauté, nous enseignent que notre place est là où on était : au milieu d’une communauté ouest-africaine qui a sensiblement le même niveau de développement que nous. Et qui est plus pragmatique que nos frères du nord. Nous percevons mieux aujourd’hui cette vocation première de la Mauritanie, celle d’être une terre de convergence, de rencontre et d’échanges entre les mondes Arabe et Africain. Les errements et extravagances diplomatiques des décennies 80-2000, ont troqué cette vocation pour une situation de «ni, ni», une Mauritanie ni Arabe ni Africaine.

4.      La qualité de vie s’est considérablement améliorée. L’électrification, l’eau courante, les routes, le transport, la santé, l’enrichissement d’une plus grande partie de la population, l’essor urbain avec notamment la construction de grandes et belles maisons, les équipements mobiliers et immobiliers, le téléphone, la télévision, tout ce qui découle de la révolution technologique venue d’ailleurs… tout cela participe dans l’amélioration de la qualité de vie du Mauritanien d’aujourd’hui.
Comment expliquez à nos enfants que nous marchions à pieds des kilomètres pour aller à l’école ? que nous utilisions, pour les plus nantis d’entre nous, les lampes à pétrole pour réviser nos leçons le soir venu ? comment leur faire croire que nous habitions sous la tente, que nous mangions, pour les plus nantis, du riz et du couscous avec un peu de viande, rien que ça et tous les jours ? que nous mettions des semaines, des mois, parfois des années à prendre contact les uns avec les autres ? que nous n’avions que quelques tissus pour nous couvrir (pour les nantis) ? … Essayez de leur faire croire que tout ça est récent…
Parallèlement, ne les laissons pas oublier que tout près d’eux, où qu’ils soient, subsistent les misères, les inégalités, les injustices… oui, décidément beaucoup reste à faire.

…C’est peu. Très peu. Il y a certainement plus de raisons d’être sceptique quand on évalue le chemin parcouru par notre pays ou quand on envisage ses chances de s’en sortir. Par où commencer ? serait-on tenté de dire. Le legs est lourd parce qu’il a détruit la foi de l’Homme, ses valeurs, atrophié son intelligence… Des années durant nous avons cultivé la paresse, l’argent facile, le non Etat, la gazra, le thieb-thiib, la fraude qui va avec, le système de contrevaleurs qui nous conditionne à présent…

Quand les bâtisseurs de 1960 lançaient ce projet, ils n’avaient rien pour les encourager à persévérer, rien que la foi. Aujourd’hui, nous avons les compétences, l’expérience, la reconnaissance, le capital, donc la possibilité d’être ce que nous avons rêvé d’être depuis le début : un pays égalitaire, juste et solidaire, habité par des citoyens dignes, humbles et travailleurs. Ranimons la foi en nous à l’occasion !

jeudi 27 novembre 2014

L’hymne sacré

De temps en temps, se pose, avec plus ou moins d’acuité, la question de l’hymne national du pays. Quelques voix s’élèvent à chaque fois pour critiquer l’hymne en expliquant que «son thème est éculé et qu’il ne répond pas à la ferveur nécessaire à pareille occasion». En fait, pour certains – une minorité agissante parce que turbulente -, le poème de Shaykh Baba Ould Shaykh Sidiya est un hymne contre les déviances contractées à la suite des interprétations humaines du texte coranique originel. On y voit l’expression d’un salafisme qui fait grincer les courants confrériques, toujours très forts en Mauritanie. D’autres reprochent au texte son manque de chaleur, de force, d’agressivité… C’est qu’au début, la vocation du pays était celle de la paix, de la tranquillité, de la convergence… L’emprunte maraboutique y est pour quelque chose.
Aujourd’hui, on veut bien que l’indépendance ait été le fruit d’un combat, de sacrifices, voire d’une guerre de libération. On cherche à célébrer des martyrs de l’indépendance, à (re)faire l’histoire du processus de la création d’une Mauritanie qui a d’abord (et surtout) été le projet de Xavier Coppolani, le colon honni. Ceux qui tiennent à (re)faire cette histoire, tiennent à ce que l’hymne national reflète cet élan guerrier qui a, en fait, toujours manqué. Soit ! seulement…
En 1968, au début de l’année, Ahmedou Ould Abdel Kader, notre poète national dont les talents se révélaient alors, fut approché par un cousin à lui qui l’amena voir le ministre Ahmed Ould Mohamed Salah chargé à l’époque de réfléchir sur le changement de l’hymne. La rencontre des deux hommes se déroula très bien, le responsable expliquant au poète ce qu’il attendait de lui : un texte qui conviendrait à une célébration et qui respecterait la métrique existante. Reparti à son poste de travail, le poète Ould Abdel Kader n’eut pas le temps de composer dans l’immédiat le poème, lui qui était aussi occupé par ses activités de militant de l’organisation nationaliste arabe et du syndicat affilié. Quelques semaines passèrent et les évènements de Zouérate éclatèrent. Le poète se retrouva en prison et on oublia le projet.
En 1979, on le sollicita ainsi que d’autres poètes et compositeurs de l’époque sur instruction du colonel Moustapha Ould Mohamed Salek, chef de la junte militaire. Alors que la réflexion était engagée, survint le coup de force du 6 avril 1979, par lequel le colonel Ahmed Ould Bouceif et son groupe prenaient en main les destinées du pays. On oublia de nouveau le projet.
En mars 1989, le poète Ahmedou Ould Abdel Kader – qui a la reconnaissance des Mauritaniens – est invité par le colonel Moawiya Ould Taya, président du Comité militaire de salut national au pouvoir, à composer un poème à la gloire du pays autre que celui-là, insignifiant et trop froid. Il revient au début du mois d’avril pour remettre au Président un feuillet où il avait transcrit le poème qu’il proposait. Le Président rangea soigneusement le feuillet dans la poche de sa veste et pris congé, l’air déterminé. Mais quelques jours après survinrent les événements de Diawara, opposant éleveurs peulhs sénégalais à des agriculteurs soninké mauritaniens. Le début d’une confrontation entre les deux Etats qui a failli prendre les contours d’une guerre raciale entre Bidhane et Noirs. Le projet fut oublié dans le tumulte.
Cette chronique de l’hymne – le mot est du poète Ahmedou Ould Abdel Kader – nous dit que l’hymne est quelque part «intouchable». Les adeptes de l’administration de l’invisible – concept forgé par l’éminent Professeur Abdel Wedoud Ould Cheikh – auront compris que le poème de Baba Ould Shaykh Sidiya a quelque baraka qui l’entoure. Le thème qu’il traite est toujours actuel parce qu’il s’érige contre l’extrémisme religieux et les interprétations fallacieuses des textes originels. Il participe à l’adoucissement des mœurs et n’a pas vocation à cultiver la haine et la violence. Qui dit mieux ?
PS : A préciser à ceux qui ne le savent pas que la musique de l’hymne national a été composée par le nommé Tolia Nikiprowetzky et que certaines de ses partitions ont disparu dans ses versions jouées aujourd’hui.

mercredi 26 novembre 2014

Khoudja, la petite chanteuse

Elle ne doit pas avoir quinze ans et déjà elle a une voix forte et belle. Elle s’appelle Khoudja et vient d’enregistrer un clip pour la Mauritanie.
…vawgui raaya khadhra… nal’ab m’a shaabi… maani khaayva… shinhu dha lihasaas… ngaali ‘annu stiqlaal muritani…
Des mots d’enfant pour décrire ce sentiment ineffable de fierté et d’estime de soi. Des mots d’enfant pour nous dire que le patriotisme est d’abord un sentiment, une émotion d’être, un enchantement de soi. Qu’on attribue l’extase à l’existence d’un symbole, celui de l’indépendance du pays…
A l’approche de chaque anniversaire, les artistes – souvent les griots – rivalisent de talents pour produire des chansons dédiés à la circonstance. La chanson de la petite Khoudja est sans aucun doute la plus émouvante, la plus significative, la plus profonde… malgré la simplicité des mots, malgré la jeunesse de la chanteuse.
On me dit que son père est l’un des membres du groupe Awlad Leblad. Tant mieux quand on se rend compte que la petite Khoudja promet d’être autre chose qu’une petite chanteuse de circonstance. Pour ce faire il lui faut un encadrement. Lequel ?
Dans un pays qui a depuis longtemps refusé (ou renoncé) à développer la musique pour lui donner la place qui sied, il n’existe malheureusement pas de cadre institutionnel pour permettre justement l’éclosion des talents.
On nous parle depuis quelques années de l’existence d’un institut de musique, mais l’on est en droit de nous demander à quoi il sert. A-t-il jamais organisé un festival de renom ? a-t-il créé une école pour l’apprentissage de la musique ? qu’a-t-il fait pour recueillir, conserver, voire moderniser le patrimoine musical traditionnel ? On peut chercher partout, interroger les professionnels et les amateurs, regarder longuement la scène, nulle trace de l’emprunte de cet institut. Alors ?

mardi 25 novembre 2014

L’Armée en fête

C’est par la loi 60/189 du 25 novembre 1960 que les forces armées nationales ont été créées. Si cet anniversaire avait été toujours fêté durant les premières années de l’indépendance, il a vite été éclipsé par le 10 juillet, date commémorant la prise de pouvoir en 1978 par cette armée. Jusqu’au changement du 3 août 2005, on oublia peu à peu la date fondatrice. On oublia même que l’Etat mauritanien, malgré ses vocations premières de terre de paix et de neutralité, avait contracté le virus de l’ambition guerrière avec la guerre au Sahara qui lui a finalement coûté très cher. Ne serait-ce que parce qu’elle fut la cause directe du coup d’Etat du 10 juillet 1978.
Mal préparée à mener campagne, l’Armée a été incapable de tenir devant les assauts continus et de plus en plus violents de l’ennemi qui bénéficiait d’un très fort soutien de l’Algérie qui entendait faire payer à la Mauritanie ce qu’elle considérait une volte-face en faveur du Maroc.
Cette guerre a fait exploser les effectifs qui ont doublé, puis triplé rapidement. L’Armée nationale qui a eu son premier commandant en chef mauritanien seulement le 24 janvier 1964 (M’Barek Ould Bouna Mokhtar) refuse alors de continuer une guerre qui ne semblait mener nulle part. Le coup d’Etat de juillet 1978 est un acte de «rébellion» qui va projeter cette Armée dans l’espace politique. Elle n’en sortira plus…
D’abord à cause de son infiltration par les groupuscules politiques qui entendent l’utiliser pour conquérir et/ou conserver une portion du pouvoir, sinon tout le pouvoir. Ce pouvoir est alors un instrument utile quand il s’agit de neutraliser les adversaires, de provoquer les changements de gouvernement, de servir quelques desseins égoïstes… Cela prend les contours d’une guerre plus ou moins ouverte entre ceux qui servent les intérêts extérieurs (pro-algériens, pro-marocains, pro-polisario, pro-sénégalais, pro-libyens, pro-irakiens…). C’est bien ce clivage qui rythme la vie politique jusqu’en décembre 1984.
Quand Moawiya Ould Taya arrive au pouvoir le 12 décembre 1984, il sait pertinemment que le seul pilier du pouvoir sur lequel il peut asseoir son pouvoir, c’est l’Armée. Une ou deux tentatives dont sont accusés les groupuscules nationalistes (négro-africains et arabes) suffiront pour le convaincre que le mieux pour lui serait de saper justement l’Armée pour détruire toute velléité de renversement du pouvoir.
La démocratisation de la vie politique en 1991-92 accélère le processus de déconfiture de l’institution. L’Armée est réduite à un système clientéliste et affairiste qui contribue à clochardiser ses éléments et surtout à diminuer ses capacités. Les bataillons dédiés à la sécurité du chef sont les seuls à être «normalement» pourvus en équipements (voitures, armes et munitions). Aux autres, il manque toujours quelque chose. Ce n’est pas par hasard si la première tentative «sérieuse» de renversement du pouvoir vient du Bataillon des Blindés (BB), force de frappe de la Sécurité présidentielle (8 juin 2003). Pas par hasard aussi si le coup d’Etat réussi du 3 août 2005 arrive directement du Bataillon de la sécurité présidentielle (BASEP). Mais c’est la déconfiture voulue de l’Armée qui sera à la source de cette prise de pouvoir.
Quand le GSPC (groupe salafiste de prédication et de combat) attaque Lemghayti le 4 juin 2005, notre Armée nationale est incapable d’organiser la contre-offensive. Il lui faut le concours des hommes d’affaires qui fournissent logistique et équipements. L’expédition punitive envisagée sert à mettre à nu les défaillances en matière de sécurité, et à cristalliser toutes les rancœurs et les frustrations.
La transition (août 2005-avril 2007) puis le régime civil (avril 2007-août 2008) n’inscriront pas la réorganisation des forces armées dans leurs calendriers. Il faudra attendre le coup d’Etat du 6 août 2008 et l’arrivée au pouvoir de Ould Abdel Aziz, devenu général depuis quelques mois, pour voir les pouvoirs publics s’intéresser à nouveau à l’institution. C’est l’attaque de Tourine (septembre 2008) qui les oblige à faire vite et à taper fort.
Le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed Ould Cheikh Al Ghazwani, nommé chef d’Etat Major par Sidi Ould Cheikh Abdallahi, peut entreprendre la réforme des forces armées. Ayant fait un passage marqué à la direction générale de la sûreté, passage qui a été l’époque du démantèlement des cellules (dormantes et éveillées) de AQMI en Mauritanie, le général Ould Cheikh Al Ghazwani fait naturellement de la lutte contre le terrorisme l’objectif autour duquel la réorganisation et la réforme des forces armées doit se faire.
Formation des hommes et mise en confiance, équipements ultramodernes, déploiement de moyens financiers, mise en place d’unités dédiées entièrement à la lutte contre le terrorisme et les trafics… tout y est pour permettre à l’Armée nationale de reprendre le contrôle de l’ensemble du territoire national, d’installer des points de passage obligatoire et de créer des zones militaires exclusives.
Le 12 juillet 2010, l’Armée mauritanienne décime une unité AQMI qui marchait sur la Mauritanie. S’en suivirent les épisodes de Wagadu, les attaques repoussées à Bassiknou, à Nouakchott et ailleurs. Mais surtout les coups portés à AQMI dans ses fiefs du Nord malien. Ce regain d’activité et de combativité permettait dans un premier temps de faire changer la peur de camp : désormais, ce sont ces groupes qui craignent l’Armée mauritanienne et non le contraire. Cela permettait aussi de sécuriser le pays.
Si bien que quand arrive la crise malienne, la Mauritanie est tranquille parce qu’elle peut assurer le respect de ses frontières et la sécurité de ses citoyens. AQMI évitant de donner le prétexte à l’Armée mauritanienne d’intervenir dans une guerre, certes déterminante pour la région, mais sans menace directe pour la stabilité du pays tant que les limites qu’elle a fixées à l’ennemi sont respectées.
Après cette refondation, la réforme a abouti à la création d’un Etat Major national des Armées et de trois Etats Majors annexes : Armée de terre, de l’air et Marine.
Aujourd’hui, nous sommes heureusement loin du temps où le concours des privés était sollicité pour mobiliser les hommes, du temps où le territoire national était un point de passage pour le crime organisé, où la Mauritanie était sous-estimée en tant que pays souverain, loin du temps où les promotions au sein de l’Armée se faisaient suivant les accointances, du temps où le contrôle des consciences était de rigueur (les résultats des bureaux de l’Armée indiquent une totale liberté de choix), loin du temps où l’on croisait des officiers démunis, mal dans leurs tenues, réservés de peur de subir l’arbitraire qui pouvait s’abattre à n’importe quel moment et pour n’importe quoi…

A 54 ans, c’est une Armée majeure qui «a d’autre chose à faire» (dixit le Président de la République dans l’une de ses interviews sur la question) que la politique. Notamment sa mission qui est celle de défendre le pays, de préserver son intégrité et son unité.

lundi 24 novembre 2014

«Traduire, c’est trahir», n’est-ce pas ?

Il y a quelques années, sous l’impulsion d’une amoureuse des Lettres, Mick Gewinner, un groupe de poètes et de destinataires plus ou moins avertis, s’est constitué pour échanger sur les possibilités de traduire d’une langue à une autre les plus beaux textes récités ou composés par les présents.
Dans mes vieux documents dont quelques dissertations de mon passage en terminale, j’ai retrouvé cette citation de Paul Valéry : «Le travail de traduire, mené avec le souci d'une certaine approximation de la forme, nous fait en quelque manière chercher à mettre nos pas sur les vestiges de l'auteur ; et non point façonner un texte à partir d'un autre ; mais de celui-ci, remonter à l'époque virtuelle de sa formation, à la phase où l'état de l'esprit est celui d'un orchestre dont les instruments s'éveillent, s'appellent les uns les autres, et se demandent leur accord avant de former leur concert. C'est de ce vivant état imaginaire qu'il faudrait redescendre, vers sa résolution en œuvre de langage autre que l'originel(Bucoliques)
J’ai aussi lu quelques textes sur le sujet. J’ai voulu partager avec vous la problématique de la traduction en se posant les questions qui suivent : Quand on va traduire, doit-on respecter l’unité du vers ou la faire éclater ? faut-il chercher la concision, l’explication ou la traduction de l’émotion originelle ? doit-on changer ou conserver le rythme ? quand on dit «traduire c’est trahir», est-ce vrai pour la poésie ? doit-on chercher, comme dit Umberto Eco, à dire «presque  la même chose en d’autres mots» ? finalement, le traducteur doit-il être un poète, ou va-t-il nécessairement être un poète ?
Dans un posting d’août 2012, je donnais l’exemple du poème de feu Baba Ould Hadar :
«msha yaamis maa ‘adhamnaah
e’la Llaah el hamdu liLlaah
wulyuum uura yaamis shifnaah
wuddahr ellaa dhakiivu taam
ilyuum içub’h ella vigvaah
subhaanak yalhay el gessaam
dhaak issub’ishviih u shuraah
wajnaabu dhuuk ishviihum laam
had il yuum u haadha mahtuum
viddahr ilaa rad ittikhmaam
eddahr ella yaamis wu lyuum
wuçub’h eddahr ethlet eyaam»

Premier temps de la traduction :
(hier est parti sans en exagérer/
devant Dieu son départ, Dieu merci/
aujourd’hui après hier on le voit/
et le Temps est comme cela/
aujourd’hui, demain le suit/
et demain est là-bas, qu’y a-t-il et quoi après/
que réserve-t-il dans ses entrailles/
si quelqu’un, et c’est fatal/
médite le Temps aujourd’hui/
le Temps, c’est hier, aujourd’hui/
et demain, le Temps c’est juste trois jours)

Deuxième temps :
(Hier est parti.
Sans en exagérer devant Dieu le départ,
Dieu merci aujourd’hui après hier se fait voir ;
et le Temps est comme cela et demain est là-bas ;
quoi en cet endroit, et quoi après, quoi dans ses entrailles,
si quelqu’un - et c’est fatal - médite le Temps, aujourd’hui/
le Temps c’est juste hier  aujourd’hui
et demain ;
le Temps c’est trois jours).

Poursuivons avec quelques autres essais que vous êtes, chers lecteurs invités à parfaire.

1.      Poème de Sidi Mohamed Ould Gaçri du Tagant :
«Kel hamd illi ya waad
lemrayvig wakten raad
’liik Allah ib’aad
dahrak dhaak ilghallaak
u khissrit haalit lablaad
u ‘idt inta lilli jaak
maah inta dhaak u ‘aad
dha maahu dahr ighlaak
’idt aana maani zaad
Sidi Mohamed dhaak»
(heureusement ô Wad Lemrayvig/
qu’à présent qu’Allah a de toi éloigné/
le temps qui t’a fait aimé/
et que le pays a perdu de son éclat/
et que pour celui qui viens à toi, désormais/
tu n’es plus celui qui fut/
et que le temps qui t’a fait aimer n’est plus celui-là,/
je ne suis plus non plus
ce Sidi Mohamed-là)


   2. Poème de Garraye Ould Ahmed Youra du Trarza :
«dahr issighr u dahr istatfiil
vaat u vaat ezmaan etnahwiil
wakhbaar ellahwu dhiik il hiil
vaatit ulgivaane evlashwaar
ya lattiif illutf il jamiil
villi ‘agib dha min lakhbaar
seyr iddahr igallab lahwaal
layla layla u nhaar nhaar
lestiqbaal alla lestiqbaal
u lestidbaar alla lestidbaar»
(le temps de la jeunesse et de l’ambiance/
est passé, tout comme le temps de l’amour de la musique/
et les choses qui meublaient le temps/
sont passés les poèmes/
ô Miséricordieux, belle miséricorde/
dans tout ce qui suivra cet état/
la marche du temps change les états/
nuit après nuit, jour après jour/
le devenir n’est rien d’autre que le devenir/
la déchéance n’est rien d’autre que la déchéance)

3.      Poème de Erebâne du Gorgol :
«kelhamd illi manzal la’laab
dahru vaat u gafaat shaab
likhriiv u taavi ‘aad ish haab
il harr u varqet yaajoura
u vraq baass ilkhayl illarkaab
ilmin ha kaanit ma’dhuura
u khlat bard ellayl u lemdhal
waryaah issehwa mahruura
u khlat zaad igiliiw u dhal
ilkhayma hiya waamura»
traduction revue par Mick Gewinner :
Les grandes dunes ne sont plus occupées,
ce temps-là est passé, bonheur !
le temps des pluies hivernales s’éloigne,
les fortes chaleurs/ont baissé, bonheur !
comme le souffle de l’harmattan
qui empêchait de monter les chevaux,
-prétexte pour les mauvais cavaliers, ha !
et se sont accordées la fraîcheur de nuit et la fraîcheur de jour,/
le vent du nord ouest a soufflé,
 s’est fondu dans l’air encore humide des marigots asséchés,
dans l’ombre des tentes et celle des acacias)

4.      Poème de Cheikh Mohamed Lemine du Hodh :
«hadha eddahr vshi kaan/
imn etrab lazawaan/
wutlahiig ishuban/
laahi viih eski biih/
u hadha akhiru ezzaman/
laahi ‘idt innawiih/
inra’iviih iban/
shmaadha yatra viih/
min teqlaab ivlayam/
u dhaak ilyaana tembiih/
’lannu billi gaam/
maahu lahi tam biih» (Par ce temps qui a commencé par l’harmonie, la musique et l’insouciante jeunesse, à la fin est en train de faire faux bond, les jours changent pour me rappeler qu’il ne restera pas comme il a commencé).

traduction revue par Mick Gewinner :

(Dans les commencements de ce temps-là
Etaient l’harmonie et la musique
Ce temps qui commença
Par l’insouciante jeunesse
A la fin fait faux bond.
Les jours changent
Et me rappellent
Que le temps
De ces commencements-là
Ne restera pas
Comme il a commencé)


5.      Poème de Ahmed Salem Ould Mohamd Lehbib du Trarza :
«meçaab eddinya tenthna
billiili na’raf fiiha
min tarbi uttam essna
viblad’ha layn injiiha»

traduction revue par Mick Gewinner :
(Puisse le Temps s’enrouler sur lui-même
Et revenir sur tout ce qu’en ce temps
 J’ai connu de plaisirs
Et puisse cette année rester

Tout comme elle fut
Juste le temps de revenir vers elle)

dimanche 23 novembre 2014

A chacun «sa» croisade contre l’esclavage

La loi 048/2007 criminalisant la pratique de l’esclavage a été l’objet d’un séminaire de sensibilisation autour de sa portée et de ses incidences. Organisé par l’ONG SOS-Esclaves dirigée par Boubacar Ould Messaoud, ce séminaire s’est ouvert à Aleg (Brakna) le 21 novembre et se poursuivra dans d’autres régions du pays, notamment le Trarza, cette semaine.
Selon les indications de l’ONG anti-esclavagiste, le séminaire a pour objectif de «renforcer les capacités de ses membres dans la compréhension de la Loi» et, certainement, de pousser vers son application avec rigueur.
Dans son allocution d’ouverture, le président Boubacar Ould Messaoud a rappelé le combat mené par son organisation depuis sa création en 1995. «La société mauritanienne, toutes composantes confondues, étant profondément inégalitaire, il s’impose à tous les courants progressistes de conjuguer leurs efforts car l’unité nationale ne peut se bâtir sans la liberté». Soulignant que l’objectif «n’est pas de confronter les esclaves et les esclavagistes car nous savons que maitres et esclaves sont acculés par le poids de l’héritage social, mais de les sensibiliser sur les moyens d’éradiquer le phénomène».
Le vieux combattant n’a pas manqué de rappeler : «Nous avons été arrêtés et jugés à Rosso en 1980 par un tribunal présidé par un colonel pour avoir osé mettre sur la table cette problématique», suite à quoi, «le régime de l’époque a fait la déclaration du 5 juillet 1980 condamnant l’esclavage». Mais 27 ans ont été nécessaires pour arriver à la criminalisation formelle de la pratique. C’est bien cette lenteur dans les procédures d’application des lois récriminant la pratique qu’il faut trouver la raison première de la radicalisation des discours.
L’adoption par le pouvoir actuel d’une feuille de route pour la lutte contre la pratique et ses séquelles, n’empêche pas le développement de discours hargneux autour de la question. Cette feuille de route n’a pas bénéficié de campagnes médiatiques à même de la faire connaitre.
Elle se déroule en 29 points qui commencent par la nécessité d’amender la loi 048/2007 pour permettre d’y inclure une définition sans ambiguïté de l’esclavage et qui continuent par l’exigence d’une discrimination positive envers les victimes, pour se terminer avec la mise en place d’un comité de suivi et l’élaboration d’évaluation périodique du travail accompli en la matière.
Dernièrement, le conseil des ministres a adopté la création d’un tribunal dédié exclusivement au traitement des questions liées à la pratique. Cette institution tarde à voir le jour sans qu’on sache pourquoi.