Il
y a ceux qui n’aiment pas le pays parce qu’à leurs yeux, «il est le produit de la volonté du colon français». Ceux-là veulent
bien changer son nom, son hymne et probablement son drapeau. Sûrement son
Histoire.
Il
y a ceux qui ont honte de «ce pays qui
n’arrive pas à décoller», qui est «toujours
dépendant» pour tout de l’extérieur.
Il
y a ceux qui participent activement à détériorer l’image de ce pays en le
présentant comme la Géhenne sur terre. Avec ses marchés d’esclaves, ses
habitants escrocs et incultes, ses élites corrompues, ses institutions
inégalitaires, ses pratiques arbitraires, ses camps d’entrainement pour
terroristes…
Il
y a ceux qui croient encore qu’il n’est pas viable et qui expriment une
nostalgie évidente pour la période coloniale ou militent plus ou moins
franchement pour son annexion par l’un des ensembles voisins.
Il
y a ceux qui aiment sincèrement ce pays et qui sont heureusement les plus
nombreux. Ceux-là croient qu’il est en chantier depuis 1960, que sa
construction mérite (et demande) des efforts énormes, des sacrifices énormes.
Ils sont parfois inquiets pour les résurgences de discours sectaires, voire
franchement racistes. Ils sont inquiets pour la chute du prix du fer et celle
de l’or, pour les convulsions politiques de l’environnement général, des crises
universelles, des fractures sociales et de leurs effets…
Ceux-là
ont l’avantage de croire en la Mauritanie. Ils peuvent et doivent soutenir que
le «Cendrillon de l’Afrique Occidentale»
a bien évolué, et plutôt positivement.
1.
La Mauritanie de
1960 est une Mauritanie profondément traditionnaliste et inégalitaire.
L’esclavage y est une pratique largement généralisée. Les disparités sociales y
sont évidentes et importantes. Le poids des tribus et des appartenances y est
très pesant. L’enseignement ne concerne qu’une élite. Les richesses sont
détenues par une élite…
Cinquante-quatre
ans après, il y a certainement mille fois plus de Mauritaniens libres de toute
emprise, beaucoup plus d’instruits qu’il y a 54 ans. La richesse n’est plus
l’apanage de milieux donnés.
Cela
ne veut pas dire que les disparités sociales ne restent pas énormes. Que
l’esclave ne persiste pas sous toutes ses formes. Que l’ignorance ne lèse pas
près de 50% de la population. Que l’influence des plus riches, des «bien-nés»,
des plus forts… n’est pas encore déterminante dans la vie de la plupart de nos
concitoyens.
Cela
veut dire quand même qu’un grand chemin a été parcouru sur la voie de
l’édification de la citoyenneté comme valeur première. Que les insuffisances
sont désormais prises en charge soit par des partis politiques dument reconnus,
soit par des ONG spécialisées dans la promotion des Droits de l’Homme soit par
une presse totalement libérée des contraintes légales. C’est le lieu ici de
saluer les efforts de certaines d’entre elles, notamment SOS-Esclaves de
Boubacar Ould Messaoud. Mais aussi de valoriser tout ce plaidoyer qui a permis
d’imposer un quota pour les femmes au niveau des postes électifs.
Cela
ne veut pas dire que le système éducatif mauritanien est performant. Loin s’en
faut ! Il reste à réformer pour le rendre plus efficient, plus
démocratique, plus adapté aux besoins du pays en matière d’emplois. Pour
permettre de réhabiliter l’école mauritanienne pour en faire un creuset
d’intégration et de formation de la personnalité mauritanienne.
2. En 1960, l’activité économique privée était entre
les mains des étrangers. Entre les expatriés venus de France,
du Liban, d’Espagne et d’ailleurs, et la main d’œuvre importée du Sénégal et
des colonies du sud, l’économie nationale ne reposait sur aucune expertise
locale.
La création de l’Ouguiya en 1973 a dynamisé le
capital privé national. Aussi le pouvoir a-t-il opté pour une politique
volontariste en vue de l’encourager. On se souvient encore des rapports que le
Président Moktar Ould Daddah entretenait avec les premiers hommes d’affaires
qu’il avait choisis dans des milieux sociaux modestes.
Le
résultat pour le pays est qu’il y a eu, très tôt, des entreprises de bâtiment,
de travaux publics, des concessionnaires, quelques industriels et enfin des
banquiers dès la libéralisation du secteur.
Il
est vrai que la libéralisation des activités économiques s’est faite dans des
conditions qui desservent la communauté. Les sociétés publiques ont été
bradées. Le capital privé a fini par «acheter le pays», selon
l’expression d’un diplomate étranger. Mais cela a participé de la mauvaise
gestion qui a caractérisé cette époque et la corruption du personnel politique
et administratif.
Quoi
qu’on dise du secteur privé mauritanien, il a été – et reste – un facteur de
développement. Encore faut-il le libérer du poids de la bureaucratie, assainir
ses rapports avec les fonctionnaires et l’encourager à adopter une conduite
citoyenne.
3. En 1960, c’est quoi la Mauritanie, quelle idée ont
les Mauritaniens de leur pays ? Trois grandes
tendances : celle qui ne croit pas à la viabilité du pays et qui a cherché
à le faire annexer tantôt par le Maroc, tantôt par le Soudan français (Mali),
tantôt par le Sénégal ; celle qui a cherché le maintien de la colonisation
française, toujours pour la non viabilité du projet ; et celle qui y a cru
et qui a travaillé pour l’imposer, d’abord à l’intérieur puis à l’extérieur.
Aujourd’hui,
la Mauritanie existe. Dans l’esprit des Mauritaniens et sur l’échiquier
régional et international. Les Mauritaniens sont «assez grands» et assez
matures pour croire à leur pays.
A
quelque chose malheur est bon. Les événements de 1989 ont eu un effet
psychologique évident : la conscience de l’autre. Le côté «je m’oppose
donc je suis» a libéré les consciences du «complexe de l’AOF» que
nous développions vis-à-vis des frères et voisins sénégalais. Brusquement, «on»
s’est rendu compte qu’on était deux pays différents. Plus tard le règlement des
conséquences malheureuses de ces événements permettra d’intérioriser – plus ou
moins – la conscience de la responsabilité communautaire.
Les
relations avec Israël, ressenties comme une honte, ont fini par permettre aux Mauritaniens
d’opérer une catharsis collective tout en rappelant aux «frères Arabes»
leur existence. La mise en scène de la rupture y est pour quelque chose.
Les
effets négatifs de la sortie de la CEDEAO et l’impossibilité pour les frères
maghrébins d’avancer sur la voie de la communauté, nous enseignent que notre
place est là où on était : au milieu d’une communauté ouest-africaine qui
a sensiblement le même niveau de développement que nous. Et qui est plus
pragmatique que nos frères du nord. Nous percevons mieux aujourd’hui cette
vocation première de la Mauritanie, celle d’être une terre de convergence, de
rencontre et d’échanges entre les mondes Arabe et Africain. Les errements et
extravagances diplomatiques des décennies 80-2000, ont troqué cette vocation
pour une situation de «ni, ni», une Mauritanie ni Arabe ni Africaine.
4. La qualité de vie s’est considérablement améliorée.
L’électrification, l’eau courante, les routes, le transport, la santé,
l’enrichissement d’une plus grande partie de la population, l’essor urbain avec
notamment la construction de grandes et belles maisons, les équipements
mobiliers et immobiliers, le téléphone, la télévision, tout ce qui découle de
la révolution technologique venue d’ailleurs… tout cela participe dans
l’amélioration de la qualité de vie du Mauritanien d’aujourd’hui.
Comment
expliquez à nos enfants que nous marchions à pieds des kilomètres pour aller à
l’école ? que nous utilisions, pour les plus nantis d’entre nous, les
lampes à pétrole pour réviser nos leçons le soir venu ? comment leur faire
croire que nous habitions sous la tente, que nous mangions, pour les plus
nantis, du riz et du couscous avec un peu de viande, rien que ça et tous les
jours ? que nous mettions des semaines, des mois, parfois des années à
prendre contact les uns avec les autres ? que nous n’avions que quelques
tissus pour nous couvrir (pour les nantis) ? … Essayez de leur faire
croire que tout ça est récent…
Parallèlement,
ne les laissons pas oublier que tout près d’eux, où qu’ils soient, subsistent
les misères, les inégalités, les injustices… oui, décidément beaucoup reste à
faire.
…C’est
peu. Très peu. Il y a certainement plus de raisons d’être sceptique quand on
évalue le chemin parcouru par notre pays ou quand on envisage ses chances de
s’en sortir. Par où commencer ? serait-on tenté de dire. Le legs est lourd
parce qu’il a détruit la foi de l’Homme, ses valeurs, atrophié son
intelligence… Des années durant nous avons cultivé la paresse, l’argent facile,
le non Etat, la gazra, le thieb-thiib, la fraude qui va avec, le système de
contrevaleurs qui nous conditionne à présent…
Quand
les bâtisseurs de 1960 lançaient ce projet, ils n’avaient rien pour les
encourager à persévérer, rien que la foi. Aujourd’hui, nous avons les
compétences, l’expérience, la reconnaissance, le capital, donc la possibilité
d’être ce que nous avons rêvé d’être depuis le début : un pays égalitaire,
juste et solidaire, habité par des citoyens dignes, humbles et travailleurs.
Ranimons la foi en nous à l’occasion !
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