Il y a quelques années, sous l’impulsion d’une amoureuse des
Lettres, Mick Gewinner, un groupe de poètes et de destinataires plus ou moins
avertis, s’est constitué pour échanger sur les possibilités de traduire d’une
langue à une autre les plus beaux textes récités ou composés par les présents.
Dans mes vieux documents dont quelques
dissertations de mon passage en terminale, j’ai retrouvé cette citation de Paul
Valéry : «Le travail de traduire,
mené avec le souci d'une certaine approximation de la forme, nous fait en quelque
manière chercher à mettre nos pas sur les vestiges de l'auteur ; et non
point façonner un texte à partir d'un autre ; mais de celui-ci, remonter à
l'époque virtuelle de sa formation, à la phase où l'état de l'esprit est celui
d'un orchestre dont les instruments s'éveillent, s'appellent les uns les
autres, et se demandent leur accord avant de former leur concert. C'est de ce
vivant état imaginaire qu'il faudrait redescendre, vers sa résolution en œuvre
de langage autre que l'originel.» (Bucoliques)
J’ai aussi lu quelques textes sur le
sujet. J’ai voulu partager avec vous la problématique de la traduction en se
posant les questions qui suivent : Quand on va traduire, doit-on respecter
l’unité du vers ou la faire éclater ? faut-il chercher la concision,
l’explication ou la traduction de l’émotion originelle ? doit-on changer
ou conserver le rythme ? quand on dit «traduire
c’est trahir», est-ce vrai pour la poésie ? doit-on chercher, comme
dit Umberto Eco, à dire «presque
la même chose en d’autres mots» ? finalement, le traducteur
doit-il être un poète, ou va-t-il nécessairement être un poète ?
Dans un posting d’août 2012, je donnais
l’exemple du poème de feu Baba Ould Hadar :
«msha
yaamis maa ‘adhamnaah
e’la
Llaah el hamdu liLlaah
wulyuum uura
yaamis shifnaah
wuddahr
ellaa dhakiivu taam
ilyuum içub’h ella
vigvaah
subhaanak
yalhay el gessaam
dhaak issub’h ishviih
u shuraah
wajnaabu
dhuuk ishviihum laam
had il yuum u
haadha mahtuum
viddahr ilaa rad ittikhmaam
eddahr ella yaamis wu lyuum
wuçub’h eddahr ethlet eyaam»
Premier
temps de la traduction :
(hier est
parti sans en exagérer/
devant Dieu
son départ, Dieu merci/
aujourd’hui
après hier on le voit/
et le Temps
est comme cela/
aujourd’hui,
demain le suit/
et demain
est là-bas, qu’y a-t-il et quoi après/
que
réserve-t-il dans ses entrailles/
si
quelqu’un, et c’est fatal/
médite le
Temps aujourd’hui/
le Temps,
c’est hier, aujourd’hui/
et demain,
le Temps c’est juste trois jours)
Deuxième
temps :
(Hier est
parti.
Sans en
exagérer devant Dieu le départ,
Dieu merci
aujourd’hui après hier se fait voir ;
et le Temps
est comme cela et demain est là-bas ;
quoi en cet
endroit, et quoi après, quoi dans ses entrailles,
si quelqu’un
- et c’est fatal - médite le Temps, aujourd’hui/
le Temps
c’est juste hier aujourd’hui
et
demain ;
le Temps
c’est trois jours).
Poursuivons avec quelques autres essais
que vous êtes, chers lecteurs invités à parfaire.
1.
Poème
de Sidi Mohamed Ould Gaçri du Tagant :
«Kel hamd
illi ya waad
lemrayvig
wakten raad
’liik
Allah ib’aad
dahrak
dhaak ilghallaak
u
khissrit haalit lablaad
u
‘idt inta lilli jaak
maah
inta dhaak u ‘aad
dha
maahu dahr ighlaak
’idt
aana maani zaad
Sidi Mohamed dhaak»
(heureusement
ô Wad Lemrayvig/
qu’à
présent qu’Allah a de toi éloigné/
le
temps qui t’a fait aimé/
et
que le pays a perdu de son éclat/
et
que pour celui qui viens à toi, désormais/
tu
n’es plus celui qui fut/
et
que le temps qui t’a fait aimer n’est plus celui-là,/
je
ne suis plus non plus
ce
Sidi Mohamed-là)
2. Poème de Garraye Ould Ahmed Youra du
Trarza :
«dahr issighr u dahr istatfiil
vaat u vaat ezmaan etnahwiil
wakhbaar ellahwu dhiik il hiil
vaatit ulgivaane evlashwaar
ya lattiif illutf il
jamiil
villi ‘agib dha min lakhbaar
seyr iddahr igallab lahwaal
layla layla u nhaar nhaar
lestiqbaal
alla lestiqbaal
u
lestidbaar alla lestidbaar»
(le
temps de la jeunesse et de l’ambiance/
est
passé, tout comme le temps de l’amour de la musique/
et
les choses qui meublaient le temps/
sont
passés les poèmes/
ô
Miséricordieux, belle miséricorde/
dans
tout ce qui suivra cet état/
la
marche du temps change les états/
nuit
après nuit, jour après jour/
le
devenir n’est rien d’autre que le devenir/
la
déchéance n’est rien d’autre que la déchéance)
3.
Poème
de Erebâne du Gorgol :
«kelhamd illi manzal la’laab
dahru
vaat u gafaat shaab
likhriiv
u taavi ‘aad ish haab
il
harr u varqet yaajoura
u
vraq baass ilkhayl illarkaab
ilmin
ha kaanit ma’dhuura
u
khlat bard ellayl u lemdhal
waryaah
issehwa mahruura
u
khlat zaad igiliiw u dhal
ilkhayma hiya waamura»
traduction
revue par Mick Gewinner :
Les
grandes dunes ne sont plus occupées,
ce
temps-là est passé, bonheur !
le
temps des pluies hivernales s’éloigne,
les
fortes chaleurs/ont baissé, bonheur !
comme
le souffle de l’harmattan
qui
empêchait de monter les chevaux,
-prétexte
pour les mauvais cavaliers, ha !
et
se sont accordées la fraîcheur de nuit et la fraîcheur de jour,/
le
vent du nord ouest a soufflé,
s’est fondu dans l’air encore humide des
marigots asséchés,
dans
l’ombre des tentes et celle des acacias)
4.
Poème
de Cheikh Mohamed Lemine du Hodh :
«hadha eddahr vshi kaan/
imn etrab lazawaan/
wutlahiig ishuban/
laahi viih eski biih/
u hadha akhiru ezzaman/
laahi ‘idt innawiih/
inra’iviih iban/
shmaadha yatra viih/
min teqlaab ivlayam/
u dhaak ilyaana tembiih/
’lannu billi gaam/
maahu lahi tam biih»
(Par ce temps qui a commencé par l’harmonie, la musique et l’insouciante
jeunesse, à la fin est en train de faire faux bond, les jours changent pour me
rappeler qu’il ne restera pas comme il a commencé).
traduction
revue par Mick Gewinner :
(Dans les
commencements de ce temps-là
Etaient l’harmonie
et la musique
Ce temps qui
commença
Par l’insouciante
jeunesse
A la fin fait faux
bond.
Les jours
changent
Et me
rappellent
Que le temps
De ces
commencements-là
Ne restera pas
Comme il a
commencé)
5.
Poème
de Ahmed Salem Ould Mohamd Lehbib du Trarza :
«meçaab eddinya tenthna
billiili na’raf fiiha
min tarbi uttam essna
viblad’ha layn injiiha»
traduction
revue par Mick Gewinner :
(Puisse
le Temps s’enrouler sur lui-même
Et
revenir sur tout ce qu’en ce temps
J’ai connu de plaisirs
Et
puisse cette année rester
Tout
comme elle fut
Juste le temps de revenir vers elle)
Juste le temps de revenir vers elle)
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