C’est par la loi 60/189 du 25 novembre 1960 que les forces armées
nationales ont été créées. Si cet anniversaire avait été toujours fêté durant
les premières années de l’indépendance, il a vite été éclipsé par le 10 juillet,
date commémorant la prise de pouvoir en 1978 par cette armée. Jusqu’au
changement du 3 août 2005, on oublia peu à peu la date fondatrice. On oublia
même que l’Etat mauritanien, malgré ses vocations premières de terre de paix et
de neutralité, avait contracté le virus de l’ambition guerrière avec la guerre
au Sahara qui lui a finalement coûté très cher. Ne serait-ce que parce qu’elle fut
la cause directe du coup d’Etat du 10 juillet 1978.
Mal préparée à mener campagne, l’Armée a été incapable de tenir
devant les assauts continus et de plus en plus violents de l’ennemi qui
bénéficiait d’un très fort soutien de l’Algérie qui entendait faire payer à la
Mauritanie ce qu’elle considérait une volte-face en faveur du Maroc.
Cette guerre a fait exploser les effectifs qui ont doublé, puis
triplé rapidement. L’Armée nationale qui a eu son premier commandant en chef
mauritanien seulement le 24 janvier 1964 (M’Barek Ould Bouna Mokhtar) refuse
alors de continuer une guerre qui ne semblait mener nulle part. Le coup d’Etat
de juillet 1978 est un acte de «rébellion» qui va projeter cette Armée
dans l’espace politique. Elle n’en sortira plus…
D’abord à cause de son infiltration par les groupuscules politiques
qui entendent l’utiliser pour conquérir et/ou conserver une portion du pouvoir,
sinon tout le pouvoir. Ce pouvoir est alors un instrument utile quand il s’agit
de neutraliser les adversaires, de provoquer les changements de gouvernement,
de servir quelques desseins égoïstes… Cela prend les contours d’une guerre plus
ou moins ouverte entre ceux qui servent les intérêts extérieurs (pro-algériens,
pro-marocains, pro-polisario, pro-sénégalais, pro-libyens, pro-irakiens…). C’est
bien ce clivage qui rythme la vie politique jusqu’en décembre 1984.
Quand Moawiya Ould Taya arrive au pouvoir le 12
décembre 1984, il sait pertinemment que le seul pilier du pouvoir sur lequel il
peut asseoir son pouvoir, c’est l’Armée. Une ou deux tentatives dont sont
accusés les groupuscules nationalistes (négro-africains et arabes) suffiront
pour le convaincre que le mieux pour lui serait de saper justement l’Armée pour
détruire toute velléité de renversement du pouvoir.
La démocratisation de la vie politique en 1991-92 accélère
le processus de déconfiture de l’institution. L’Armée est réduite à un système
clientéliste et affairiste qui contribue à clochardiser ses éléments et surtout
à diminuer ses capacités. Les bataillons dédiés à la sécurité du chef sont les
seuls à être «normalement» pourvus en équipements (voitures, armes et
munitions). Aux autres, il manque toujours quelque chose. Ce n’est pas par
hasard si la première tentative «sérieuse» de renversement du pouvoir
vient du Bataillon des Blindés (BB), force de frappe de la Sécurité
présidentielle (8 juin 2003). Pas par hasard aussi si le coup d’Etat réussi du
3 août 2005 arrive directement du Bataillon de la sécurité présidentielle
(BASEP). Mais c’est la déconfiture voulue de l’Armée qui sera à la source de
cette prise de pouvoir.
Quand le GSPC (groupe salafiste de prédication et de
combat) attaque Lemghayti le 4 juin 2005, notre Armée nationale est incapable
d’organiser la contre-offensive. Il lui faut le concours des hommes d’affaires
qui fournissent logistique et équipements. L’expédition punitive envisagée sert
à mettre à nu les défaillances en matière de sécurité, et à cristalliser toutes
les rancœurs et les frustrations.
La transition (août 2005-avril 2007) puis le régime
civil (avril 2007-août 2008) n’inscriront pas la réorganisation des forces
armées dans leurs calendriers. Il faudra attendre le coup d’Etat du 6 août 2008
et l’arrivée au pouvoir de Ould Abdel Aziz, devenu général depuis quelques
mois, pour voir les pouvoirs publics s’intéresser à nouveau à l’institution.
C’est l’attaque de Tourine (septembre 2008) qui les oblige à faire vite et à
taper fort.
Le général Mohamed Ould Cheikh Mohamed Ahmed Ould
Cheikh Al Ghazwani, nommé chef d’Etat Major par Sidi Ould Cheikh Abdallahi,
peut entreprendre la réforme des forces armées. Ayant fait un passage marqué à
la direction générale de la sûreté, passage qui a été l’époque du démantèlement
des cellules (dormantes et éveillées) de AQMI en Mauritanie, le général Ould Cheikh
Al Ghazwani fait naturellement de la lutte contre le terrorisme l’objectif
autour duquel la réorganisation et la réforme des forces armées doit se faire.
Formation des hommes et mise en confiance, équipements
ultramodernes, déploiement de moyens financiers, mise en place d’unités dédiées
entièrement à la lutte contre le terrorisme et les trafics… tout y est pour
permettre à l’Armée nationale de reprendre le contrôle de l’ensemble du
territoire national, d’installer des points de passage obligatoire et de créer
des zones militaires exclusives.
Le 12 juillet 2010, l’Armée mauritanienne décime une
unité AQMI qui marchait sur la Mauritanie. S’en suivirent les épisodes de
Wagadu, les attaques repoussées à Bassiknou, à Nouakchott et ailleurs. Mais
surtout les coups portés à AQMI dans ses fiefs du Nord malien. Ce regain
d’activité et de combativité permettait dans un premier temps de faire changer
la peur de camp : désormais, ce sont ces groupes qui craignent l’Armée
mauritanienne et non le contraire. Cela permettait aussi de sécuriser le pays.
Si bien que quand arrive la crise malienne, la
Mauritanie est tranquille parce qu’elle peut assurer le respect de ses frontières
et la sécurité de ses citoyens. AQMI évitant de donner le prétexte à l’Armée
mauritanienne d’intervenir dans une guerre, certes déterminante pour la région,
mais sans menace directe pour la stabilité du pays tant que les limites qu’elle
a fixées à l’ennemi sont respectées.
Après cette refondation, la réforme a abouti à la
création d’un Etat Major national des Armées et de trois Etats Majors
annexes : Armée de terre, de l’air et Marine.
Aujourd’hui, nous sommes heureusement loin du temps
où le concours des privés était sollicité pour mobiliser les hommes, du temps
où le territoire national était un point de passage pour le crime organisé, où
la Mauritanie était sous-estimée en tant que pays souverain, loin du temps où
les promotions au sein de l’Armée se faisaient suivant les accointances, du
temps où le contrôle des consciences était de rigueur (les résultats des
bureaux de l’Armée indiquent une totale liberté de choix), loin du temps où
l’on croisait des officiers démunis, mal dans leurs tenues, réservés de peur de
subir l’arbitraire qui pouvait s’abattre à n’importe quel moment et pour
n’importe quoi…
A 54 ans, c’est une Armée majeure qui «a d’autre
chose à faire» (dixit le Président de la République dans l’une de ses
interviews sur la question) que la politique. Notamment sa mission qui est
celle de défendre le pays, de préserver son intégrité et son unité.
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