Quand
j’ai lu sur un site que le Shaykh Mohamed el Hacen Ould Dedew a été agressé
publiquement, j’ai d’abord cru à une «mauvaise» (au sens de fausse)
nouvelle de plus. C’est qu’il est difficile de croire qu’un tel homme puisse
être victime d’un acte délibéré de violence. Pour son statut d’érudit, mais
aussi pour ses qualités intrinsèques d’homme affable, ouvert, toujours le
sourire aux lèvres, pour son aura, pour ce qu’il est…
Rien
ne justifie la violence. Rien, absolument rien ne peut justifier qu’on s’en
prenne physiquement à un homme ou une femme quelconque, à plus forte raison du
gabarit de ce Shaykh qui dispense son savoir sans faire attention à lui-même. Qu’on
l’accuse ou non d’être l’idéologue d’une mouvance donnée, Shaykh Ould Dedew est
une valeur nationale qui doit être protégée. Un acte d’agression envers lui est
plus grave à mes yeux que la destruction de la Bibliothèque nationale, que l’incinération
de billets de banque, que l’acte de déchirer le drapeau national, que toutes
les offenses faites à tous les symboles de l’Etat… parce qu’il en fait partie.
Il
faut penser l’acte comme une dérive supplémentaire de notre temps. Le prendre
comme lui-même l’a pris : avec philosophie et abnégation. Mais il faut
cependant nous dire que cet acte est l’aboutissement d’un processus de
désacralisation de tous les symboles. A commencer par le viol de l’intégrité
des personnes qui qu’elles soient.
Quand
on a laissé passer les insultes publiques contre les symboles de l’Etat, contre
les icones de la société, quand on a laissé passer les menaces contre les
avocats et les journalistes, quand on a regardé avec indifférence se développer
parmi nous l’extravagance dans les réactions publiques et qu’on a excusé ou
ignoré les premières dérives qui ont consisté à détruire le respect et la
solidarité qui nous liaient…, à ce moment-là, un acte aussi odieux que celui-là
peut être ressenti comme une banalité.
Les
crimes se banalisent quand les délits ne sont plus sanctionnés et qu’ils
entrent dans le registre de l’anodin, voire du normal. L’état de déconfiture
morale commence toujours par le silence sur l’insoutenable. Il a commencé dans
les années 80 pour notre société qui a été incapable de stopper les dérives
autoritaristes d’un régime autocratique et sanguinaire.
Après
le silence sur les crimes, on a eu l’impunité qui a caractérisé toute une
époque et qui continue à exister. C’est bien l’impunité qui travestit le plus
la Morale sociale et qui détruit l’éthique individuelle.
«Les enfants connaissent si c’est à tort ou
avec raison qu’on les châtie, et ne se gâtent pas moins par des peines mal
ordonnées que par l’impunité» (La
Bruyère, Les caractères)
Chez nous l’interférence des tribus et des
organisations sociales parallèles (à l’Etat) a participé à la déliquescence générale.
Nous avons alors perdu toutes ces valeurs communes qui nous obligeaient à
respecter l’autre, à le comprendre, à aller vers lui, à rester digne et mesuré
quoi qu’il en coûte… Nous n’avons plus dénoncé les dérives et dérapages… ceux
parmi nous qui l’ont voulu, ont fait ce qu’ils ont voulu, sans se soucier du
regard des autres, sans prendre en compte le jugement de l’Histoire… On ne
finit plus de faire, de dire comme si on n’était pas comptable de ce que nous
faisons, de ce que nous disons…
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