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samedi 15 février 2014

L’odieux ne fait plus frémir

Quand j’ai lu sur un site que le Shaykh Mohamed el Hacen Ould Dedew a été agressé publiquement, j’ai d’abord cru à une «mauvaise» (au sens de fausse) nouvelle de plus. C’est qu’il est difficile de croire qu’un tel homme puisse être victime d’un acte délibéré de violence. Pour son statut d’érudit, mais aussi pour ses qualités intrinsèques d’homme affable, ouvert, toujours le sourire aux lèvres, pour son aura, pour ce qu’il est…
Rien ne justifie la violence. Rien, absolument rien ne peut justifier qu’on s’en prenne physiquement à un homme ou une femme quelconque, à plus forte raison du gabarit de ce Shaykh qui dispense son savoir sans faire attention à lui-même. Qu’on l’accuse ou non d’être l’idéologue d’une mouvance donnée, Shaykh Ould Dedew est une valeur nationale qui doit être protégée. Un acte d’agression envers lui est plus grave à mes yeux que la destruction de la Bibliothèque nationale, que l’incinération de billets de banque, que l’acte de déchirer le drapeau national, que toutes les offenses faites à tous les symboles de l’Etat… parce qu’il en fait partie.
Il faut penser l’acte comme une dérive supplémentaire de notre temps. Le prendre comme lui-même l’a pris : avec philosophie et abnégation. Mais il faut cependant nous dire que cet acte est l’aboutissement d’un processus de désacralisation de tous les symboles. A commencer par le viol de l’intégrité des personnes qui qu’elles soient.
Quand on a laissé passer les insultes publiques contre les symboles de l’Etat, contre les icones de la société, quand on a laissé passer les menaces contre les avocats et les journalistes, quand on a regardé avec indifférence se développer parmi nous l’extravagance dans les réactions publiques et qu’on a excusé ou ignoré les premières dérives qui ont consisté à détruire le respect et la solidarité qui nous liaient…, à ce moment-là, un acte aussi odieux que celui-là peut être ressenti comme une banalité.
Les crimes se banalisent quand les délits ne sont plus sanctionnés et qu’ils entrent dans le registre de l’anodin, voire du normal. L’état de déconfiture morale commence toujours par le silence sur l’insoutenable. Il a commencé dans les années 80 pour notre société qui a été incapable de stopper les dérives autoritaristes d’un régime autocratique et sanguinaire.
Après le silence sur les crimes, on a eu l’impunité qui a caractérisé toute une époque et qui continue à exister. C’est bien l’impunité qui travestit le plus la Morale sociale et qui détruit l’éthique individuelle.
«Les enfants connaissent si c’est à tort ou avec raison qu’on les châtie, et ne se gâtent pas moins par des peines mal ordonnées que par l’impunité» (La Bruyère, Les caractères)
Chez nous l’interférence des tribus et des organisations sociales parallèles (à l’Etat) a participé à la déliquescence générale. Nous avons alors perdu toutes ces valeurs communes qui nous obligeaient à respecter l’autre, à le comprendre, à aller vers lui, à rester digne et mesuré quoi qu’il en coûte… Nous n’avons plus dénoncé les dérives et dérapages… ceux parmi nous qui l’ont voulu, ont fait ce qu’ils ont voulu, sans se soucier du regard des autres, sans prendre en compte le jugement de l’Histoire… On ne finit plus de faire, de dire comme si on n’était pas comptable de ce que nous faisons, de ce que nous disons…

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