J’apprends
ce soir la mort de Mohamed Ould Cheikh Ould Ahmed Mahmoud. Une légende parmi
ceux qui ont participé aux balbutiements de la Mauritanie moderne.
Dans
mon enfance, j’ai beaucoup entendu parler de l’homme. D’abord quand il était
ministre de la défense et que, dans mon environnement social, on l’accusait d’être
derrière «l’acharnement» qu’on prêtait au pouvoir de l’époque contre l’Emir
Ould Oumeir et ses compagnons qui étaient rentrés du Maroc en 1964.
Ensuite
quand il a été accusé d’avoir fomenté une sorte de «putsch» avant l’heure.
Ce qui lui avait valu d’être écarté du pouvoir.
Je
comprendrai plus tard que tout ce que j’entendais sur l’homme relevait d’une
propagande malveillante. J’apprendrai qu’il est le véritable auteur d’un
ouvrage qui racontait la Mauritanie du labeur, celle du prolétariat. «Hamid
al Muratani», son nom d’emprunt, a essayé de faire une lecture du rapport
de classes dans la société mauritanienne traditionnelle. Une vision moderne de
l’Histoire et de sa dynamique même si la grille marxiste donne une lecture
tronquée. Un essai qui galvanisera la gauche de l’époque et qui sera le
livre-référence de toute une époque.
En
1992, alors que je travaillais à Al Bayane, quelqu’un est venu me dire qu’un
certain Mohamed Ould Cheikh voulait me voir et qu’il était prêt à se déplacer. L’âge,
le rang social et le respect qui est dû à cette famille d’érudits – une famille
qui a donné Abdel Wedoud, Docteur Cheikh, Abdallahi… maa cha a Allah -, la
classe de l’homme m’obligeait plutôt à aller moi-même le voir.
L’occasion
de m’entretenir avec lui des heures durant. Il était venu à Nouakchott,
acceptant de rompre momentanément un exil volontaire dans le village de Ayn
Essalama près de Boutilimitt. Ce voyage, le premier du genre avait été causé
par un arbitraire subi par son fils. Parce qu’il a été l’un des premiers
enseignants du Président Maawiya Ould Taya, il voulait le faire intervenir pour
lever cette injustice. Mais le faire intervenir sans que cela l’oblige à se
rabaisser à solliciter ce concours. Pour lui, une injustice est obligatoirement
réparée par le premier responsable du pays…
Quand
je venais le voir, on parlait plus de notions comme «l’espace public» que
du problème qui le tracassait. Il m’expliquait que «tout commence par là :
la reconnaissance d’un domaine public». Il était excédé par la gazra et
trouvait qu’elle était la manifestation de la faillite de l’Etat. Il me disait
que la gazra ouvrait la voie à toutes les dérives, y compris l’inféodation de l’Appareil
judiciaire aux mafias politico-financières qui avaient fait main basse sur l’Etat.
Il prédisait un destin sombre pour le pays si l’on ne revenait pas au respect
du domaine public.
Je
comprenais alors que j’avais là un homme qui avait fait ses choix qu’il
défendait en les adoptant dans ses comportements de tous les jours. Un homme de
principe comme on en voyait de moins en moins. Un homme de conviction et d’engagement.
En somme, un romantique réfractaire aux diktats de la société et à tous les
prêt-à-porter de la pensée. En somme un authentique rebelle…
C’est
cet homme qui nous quitte aujourd’hui. Sans fracas. Portons son deuil qui est
aussi celui d’un certain sens de l’engagement, une certaine philosophie et une
pratique de l’humanisme universel.
C’est
aux Mauritaniens, dans leur ensemble, qu’il faut présenter ses condoléances à
la suite de la mort de Mohamed Ould Cheikh. L’anti-esclavagiste, le moderniste,
le militant de la citoyenneté, de l’égalité, de la justice… le patriote
incompris de ses compagnons qui l’ont écarté trop tôt.
Inna
liLlahi wa inna ilayhi raji’oune.
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