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jeudi 18 juillet 2013

Mort d’un authentique rebelle

J’apprends ce soir la mort de Mohamed Ould Cheikh Ould Ahmed Mahmoud. Une légende parmi ceux qui ont participé aux balbutiements de la Mauritanie moderne.
Dans mon enfance, j’ai beaucoup entendu parler de l’homme. D’abord quand il était ministre de la défense et que, dans mon environnement social, on l’accusait d’être derrière «l’acharnement» qu’on prêtait au pouvoir de l’époque contre l’Emir Ould Oumeir et ses compagnons qui étaient rentrés du Maroc en 1964.
Ensuite quand il a été accusé d’avoir fomenté une sorte de «putsch» avant l’heure. Ce qui lui avait valu d’être écarté du pouvoir.
Je comprendrai plus tard que tout ce que j’entendais sur l’homme relevait d’une propagande malveillante. J’apprendrai qu’il est le véritable auteur d’un ouvrage qui racontait la Mauritanie du labeur, celle du prolétariat. «Hamid al Muratani», son nom d’emprunt, a essayé de faire une lecture du rapport de classes dans la société mauritanienne traditionnelle. Une vision moderne de l’Histoire et de sa dynamique même si la grille marxiste donne une lecture tronquée. Un essai qui galvanisera la gauche de l’époque et qui sera le livre-référence de toute une époque.
En 1992, alors que je travaillais à Al Bayane, quelqu’un est venu me dire qu’un certain Mohamed Ould Cheikh voulait me voir et qu’il était prêt à se déplacer. L’âge, le rang social et le respect qui est dû à cette famille d’érudits – une famille qui a donné Abdel Wedoud, Docteur Cheikh, Abdallahi… maa cha a Allah -, la classe de l’homme m’obligeait plutôt à aller moi-même le voir.
L’occasion de m’entretenir avec lui des heures durant. Il était venu à Nouakchott, acceptant de rompre momentanément un exil volontaire dans le village de Ayn Essalama près de Boutilimitt. Ce voyage, le premier du genre avait été causé par un arbitraire subi par son fils. Parce qu’il a été l’un des premiers enseignants du Président Maawiya Ould Taya, il voulait le faire intervenir pour lever cette injustice. Mais le faire intervenir sans que cela l’oblige à se rabaisser à solliciter ce concours. Pour lui, une injustice est obligatoirement réparée par le premier responsable du pays…
Quand je venais le voir, on parlait plus de notions comme «l’espace public» que du problème qui le tracassait. Il m’expliquait que «tout commence par là : la reconnaissance d’un domaine public». Il était excédé par la gazra et trouvait qu’elle était la manifestation de la faillite de l’Etat. Il me disait que la gazra ouvrait la voie à toutes les dérives, y compris l’inféodation de l’Appareil judiciaire aux mafias politico-financières qui avaient fait main basse sur l’Etat. Il prédisait un destin sombre pour le pays si l’on ne revenait pas au respect du domaine public.
Je comprenais alors que j’avais là un homme qui avait fait ses choix qu’il défendait en les adoptant dans ses comportements de tous les jours. Un homme de principe comme on en voyait de moins en moins. Un homme de conviction et d’engagement. En somme, un romantique réfractaire aux diktats de la société et à tous les prêt-à-porter de la pensée. En somme un authentique rebelle…
C’est cet homme qui nous quitte aujourd’hui. Sans fracas. Portons son deuil qui est aussi celui d’un certain sens de l’engagement, une certaine philosophie et une pratique de l’humanisme universel.
C’est aux Mauritaniens, dans leur ensemble, qu’il faut présenter ses condoléances à la suite de la mort de Mohamed Ould Cheikh. L’anti-esclavagiste, le moderniste, le militant de la citoyenneté, de l’égalité, de la justice… le patriote incompris de ses compagnons qui l’ont écarté trop tôt.

Inna liLlahi wa inna ilayhi raji’oune. 

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