L’information
étant ce qu’elle est chez nous, on peut mettre du temps à croire ce qu’on
rapporte des propos que l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique aurait tenus
devant quelques chefs de partis venus le rencontrer. Est-ce parce que ces
leaders appartenaient à une seule communauté que l’Ambassadeur a longuement
parlé des frictions ethniques et des risques de guerre civile en Mauritanie ?
est-ce pour sa méconnaissance de ce pays qu’il vient de découvrir avec une
mentalité, non pas de diplomate chevronné, mais de Volontaire du Peace
Corps ? Probablement, les deux à la fois…
Au
moment où dans son pays, le premier Président de couleur Barak H. Obama essaye
de ranimer la flamme de la bataille des droits civiques pour faire oublier la
résurgence du fait raciste, voilà que l’Ambassadeur US nous sort une
comparaison entre la situation actuelle en Mauritanie et celle qui a caractérisé
les Etats-Unis des années 70. L’Ambassadeur Larry André se trompe encore
une fois et, visiblement, continuera à se tromper. Dans ses appréciations des
réalités mauritaniennes, dans ses choix et dans l’expression de ces choix.
En
conclusion d’un article qu’il vient de signer et qui porte sur l’esclavage et
la lutte engagée par son pays contre le phénomène, l’Ambassadeur Larry André
nous dit : «Quant à moi, je
me préoccupe moins sur le terme approprié à utiliser pour ces pratiques
criminelles que ce que je fais au sujet de mettre fin à ces pratiques... Arrêter cette exploitation humaine aux États-Unis exige que le gouvernement américain,
la société civile, les médias, les chefs religieux, les dirigeants politiques
et tous les Américains de bonne volonté travaillent ensemble pour identifier et
libérer les victimes de la traite des êtres humains, de tenir les trafiquants
d'êtres humains et ceux qui profitent de leurs crimes responsables de leurs
actes, et de réformer les attitudes, les institutions et les politiques
sociétales qui empêchent les victimes de la traite, et de nombreux descendants
d'esclaves américains, de jouir pleinement de leurs droits et des chances en
tant que membres égaux de notre société.
Nous exhortons tous les pays à se joindre à nous pour assurer que chaque être humain- homme, femme et enfant dans le monde vive dans la liberté et la dignité».
Nous exhortons tous les pays à se joindre à nous pour assurer que chaque être humain- homme, femme et enfant dans le monde vive dans la liberté et la dignité».
Belle profession de foi, juste position que
celle-là. Mais qui doit valoir pour tous les pays, toutes les sociétés. Si son
Excellence estime qu’il s’agit d’un combat qui reste à mener dans la société
américaine, il faut bien qu’il estime à leur juste valeur les efforts fournis
par les sociétés africaines. Si au Sénégal voisin, on entend encore des hommes
publics comme le Président Abdoulaye Wade évoquer sous forme d’insulte les
origines «esclaves» de son successeur, si l’on pardonne une sortie comme
celle du Président Alpha Condé de Guinée qui rappelait à Dionkounda Traoré,
président de la transition malienne, «l’origine esclave des Traoré dont les
maîtres ne sont autres que les Condé», de telles réflexions ne peuvent être
publiquement exprimées en Mauritanie. C’est que l’évolution des sociétés n’est
pas la même partout dans le Sahel.
Dans un pays comme le nôtre, l’évolution est
nette. Même si par ailleurs, un grand chemin reste à faire dans le domaine de l’égalité,
de la lutte contre l’esclavage et contre toutes les tares sociales que nous
trainons depuis des millénaires et qui sont en contradiction avec les principes
d’un Etat moderne.
Que son Excellence pardonne à la Mauritanie les
manquements et les insuffisances réelles en matière de cohésion sociale, d’égalité
et de répartition juste des richesses. Mais qu’il accepte que les événements de
Fergusson ne peuvent se passer ici. Des émeutes du ghetto de Watts (1965) à
celles de Fergusson ces jours-ci, l’Amérique impériale ne semble pas avoir fait
un grand chemin. Même si l’on peut se féliciter – tous se féliciter – de l’élection
d’un Président de couleur par deux fois à la tête de la première puissance
mondiale.
On ne peut non plus occulter, quand on veut
donner des leçons à une société comme la nôtre, le rôle, ô combien malheureux,
dans la destruction de nations et de cultures entières (Irak, Afghanistan,
Syrie, Libye… pour ne citer que les pays de notre espace musulman). Le chaos
qui règne actuellement dans le Levant est d’abord un fait américain : Da’esh
est un produit US, comme Al Qaeda l’a été, comme les assassinats politiques,
les coups d’Etat en Amérique Latine, les guerres civiles en Afrique… les
Etats-Unis d’Amérique sont le parrain d’Israël… que de crimes commis
ouvertement soutenus par l’administration américaine !!!
Pour rappeler enfin que l’Amérique de l’Ambassadeur
Larry André nous doit des explications. Il y a peu, notre compatriote Mohamedou
Ould Sellahi publiait ses mémoires. Nous y apprenons qu’il a été transféré à
bord d’un avion de la CIA le 28 novembre 2001 vers Amman (le jour de l’anniversaire
de l’indépendance de son pays) où il devait subir des interrogatoires musclés
pendant quelques mois. Puis, en juillet 2002, la CIA l’amènera à Bagram pour
continuer sa salle besogne. Avant d’être emprisonné à Guantanamo, une résidence
de non-droit où la première puissance maintient encore en détention de pauvres
hères qui ne représentent aucune menace pour elle ou pour le Monde.
C’est à Guantanamo que Ould Sellahi subit les
pires tortures sur ordre et après autorisation du ministre américain de la
défense, le fameux Donald Rumsfeld, incarnation de ce qu’il y a de pire dans la
logique impériale des Etats-Unis. On sait de quoi se compose le «plan
d’interrogatoire spécial» de traitements inhumains
comprenant le viol de l’intimité des prisonniers, l’obligation pour eux de
pratiquer le sexe, ce qui est une façon de les amener à transgresser les
interdits religieux… humiliations, tortures physiques et morales.
En
mars 2005, Ould Sellahi rédige sa demande d’ordonnance d’habeas corpus
pour se mettre sous la protection de la justice américaine. En juin 2008, la
Cour Suprême des Etats-Unis reconnait ce droit. En mars 2010, le Juge Robertson
ordonne la libération de Mohamedou Ould Sellahi. Mais le gouvernement
américain trouve judicieux de faire appel avant de laisser trainer le recours… Mohamedou
Ould Sellahi est toujours en prison à Guantanamo… L’instrumentalisation de la
Justice n’est pas l’apanage des petits pays dirigés par des tyrans. Elle est
aussi le fait de puissances démocratiques comme les Etats-Unis d’Amérique,
le pays que représente Larry André.
Entre
la naïveté d’un Volontaire du Corps de la Paix qui se croit investi d’une
mission civilisatrice et celle d’un Ambassadeur d’une grande puissance, il y a
toute une mutation à opérer pour donner l’image la meilleure de soi.
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