C’est
par hasard que mon attention a été captée par un entretien diffusé sur les
ondes d’une radio privée locale. La voix de l’interviewé m’était très
familière. Il parlait d’un livre-mémoire qu’il venait de publier. J’ai d’abord
pensé qu’il pourrait s’agir de Mohamd el Mokhtar Ould Bah, ce destin digne de
faire l’objet d’un récit. Au bout de dix minutes d’échanges avec le journaliste
qui s’abstenait de relancer son invité, je compris qu’il s’agissait de
quelqu’un d’autre, ne serait-ce que parce qu’il a fini par évoquer Ould Bah.
Son
Français était de grande qualité, ses idées clairement exprimées, ses paroles
d’une sincérité évidente… De quoi capter vraiment l’attention de l’auditeur que
j’étais. Je saurai à la fin de l’émission, au bout d’une quarantaine de minutes
d’échanges qu’il s’agissait là de Yahya Ould Menkouss, ancien ministre, ancien
administrateur. Mais c’est seulement un mois après que je tombe sur le livre
écrit sous forme de mémoires.
«Un
parcours mouvementé : Vie et carrière d’un administrateur civil
mauritanien» raconte au bout d’environ 110 pages, le parcours de cet homme
souvent perçu sous le seul angle de la chefferie Jlalva alors qu’il s’agit bien
d’un acteur immédiat et d’un témoin privilégié des premières heures de la
construction nationale. Le témoignage de cet homme mérite amplement d’être lu.
Pour
sa sincérité. On sent, et c’est rare chez les gens de cette génération-là,
qu’il n’y aucune velléité de se donner un rôle qui n’a pas été le sien. Il est
évident aussi - et c’est rare pour être souligné – que l’objectif de l’écrit
n’est absolument pas de régler un compte avec les contemporains avec lesquels
les relations n’ont souvent pas été évidentes.
Pour
sa qualité. L’écrit est limpide, sans recherche de style compliqué, sans
recours à la rhétorique qui permet de combler les déficits en matière de
relation des faits. Ce qui s’énonce bien, s’exprime clairement et les mots
pour le dire arrivent aisément, une vieille sentence qui en dit long sur la
simplicité des propos.
Ce
qui étonne aussi chez ce vieux chef guerrier, c’est sa capacité à l’abnégation.
Plusieurs fois victime de mauvaises appréciations de son action, il
refuse de mettre cela sur le compte d’une inimité personnelle que lui vouerait
le Président Mokhtar Ould Daddah pour lequel il a gardé un respect indélébile
malgré toutes les incompréhensions. Quelqu’un d’autre aurait facilement invoqué
les appartenances régionales, les conflits d’intérêt pour expliquer l’adversité
du décideur. Yahya Ould Menkouss préfère expliquer ses mises à l’écart
impromptues et souvent inexplicables, par les combines de l’entourage de la
Présidence de l’époque. On en sort avec la certitude que cette valeur traditionnelle
qu’est «al inçaav» - mélange d’équité, de tolérance, de justice et
d’abnégation – est le fil conducteur de l’action de l’homme.
Nous
avons tendance à négliger ces acteurs, à leur dénier le souci de l’intérêt
général, de croire qu’ils sont la négation de l’Etat pour ce qu’ils sont
socialement… Ceux parmi nous qui ne les connaissent pas – et ils sont
malheureusement l’écrasante majorité de l’élite aujourd’hui – ne peuvent les
apprécier. Alors que les générations qui les ont suivis ont essayé de leur
coller l’image d’une classe rétrograde incarnation de tous les conservatismes.
C’est
dommage parce que les gens comme Yahya Ould Menkouss ont beaucoup de choses à
nous dire. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. Surtout quand, comme lui, ils
évitent de remanier l’Histoire, de ruminer de vieilles rancœurs, cherchant à
assouvir une vengeance qui décrédibilise ce qu’ils ont à dire et embrouille le
message par une rhétorique qui ajoute à l’artifice d’une mémoire largement
affectée.
Merci
à Yahya Ould Menkouss qui m’a permis de lire avec plaisir un parcours
mouvementé pour redécouvrir ce qu’il fut réellement et, à travers lui, ce
que furent les hommes de son époque.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire