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mercredi 11 mars 2015

Le Proconsul US

L’information étant ce qu’elle est chez nous, on peut mettre du temps à croire ce qu’on rapporte des propos que l’Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique aurait tenus devant quelques chefs de partis venus le rencontrer. Est-ce parce que ces leaders appartenaient à une seule communauté que l’Ambassadeur a longuement parlé des frictions ethniques et des risques de guerre civile en Mauritanie ? est-ce pour sa méconnaissance de ce pays qu’il vient de découvrir avec une mentalité, non pas de diplomate chevronné, mais de Volontaire du Peace Corps ? Probablement, les deux à la fois…
Au moment où dans son pays, le premier Président de couleur Barak H. Obama essaye de ranimer la flamme de la bataille des droits civiques pour faire oublier la résurgence du fait raciste, voilà que l’Ambassadeur US nous sort une comparaison entre la situation actuelle en Mauritanie et celle qui a caractérisé les Etats-Unis des années 70. L’Ambassadeur Larry André se trompe encore une fois et, visiblement, continuera à se tromper. Dans ses appréciations des réalités mauritaniennes, dans ses choix et dans l’expression de ces choix.
En conclusion d’un article qu’il vient de signer et qui porte sur l’esclavage et la lutte engagée par son pays contre le phénomène, l’Ambassadeur Larry André nous dit : «Quant à moi, je me préoccupe moins sur le terme approprié à utiliser pour ces pratiques criminelles que ce que je fais au sujet de mettre fin à ces pratiques... Arrêter cette exploitation humaine aux États-Unis exige que le gouvernement américain, la société civile, les médias, les chefs religieux, les dirigeants politiques et tous les Américains de bonne volonté travaillent ensemble pour identifier et libérer les victimes de la traite des êtres humains, de tenir les trafiquants d'êtres humains et ceux qui profitent de leurs crimes responsables de leurs actes, et de réformer les attitudes, les institutions et les politiques sociétales qui empêchent les victimes de la traite, et de nombreux descendants d'esclaves américains, de jouir pleinement de leurs droits et des chances en tant que membres égaux de notre société. 
Nous exhortons tous les pays à se joindre à nous pour assurer que chaque être humain- homme, femme et enfant dans le monde vive dans la liberté et la dignité
».
Belle profession de foi, juste position que celle-là. Mais qui doit valoir pour tous les pays, toutes les sociétés. Si son Excellence estime qu’il s’agit d’un combat qui reste à mener dans la société américaine, il faut bien qu’il estime à leur juste valeur les efforts fournis par les sociétés africaines. Si au Sénégal voisin, on entend encore des hommes publics comme le Président Abdoulaye Wade évoquer sous forme d’insulte les origines «esclaves» de son successeur, si l’on pardonne une sortie comme celle du Président Alpha Condé de Guinée qui rappelait à Dionkounda Traoré, président de la transition malienne, «l’origine esclave des Traoré dont les maîtres ne sont autres que les Condé», de telles réflexions ne peuvent être publiquement exprimées en Mauritanie. C’est que l’évolution des sociétés n’est pas la même partout dans le Sahel.
Dans un pays comme le nôtre, l’évolution est nette. Même si par ailleurs, un grand chemin reste à faire dans le domaine de l’égalité, de la lutte contre l’esclavage et contre toutes les tares sociales que nous trainons depuis des millénaires et qui sont en contradiction avec les principes d’un Etat moderne.
Que son Excellence pardonne à la Mauritanie les manquements et les insuffisances réelles en matière de cohésion sociale, d’égalité et de répartition juste des richesses. Mais qu’il accepte que les événements de Fergusson ne peuvent se passer ici. Des émeutes du ghetto de Watts (1965) à celles de Fergusson ces jours-ci, l’Amérique impériale ne semble pas avoir fait un grand chemin. Même si l’on peut se féliciter – tous se féliciter – de l’élection d’un Président de couleur par deux fois à la tête de la première puissance mondiale.
On ne peut non plus occulter, quand on veut donner des leçons à une société comme la nôtre, le rôle, ô combien malheureux, dans la destruction de nations et de cultures entières (Irak, Afghanistan, Syrie, Libye… pour ne citer que les pays de notre espace musulman). Le chaos qui règne actuellement dans le Levant est d’abord un fait américain : Da’esh est un produit US, comme Al Qaeda l’a été, comme les assassinats politiques, les coups d’Etat en Amérique Latine, les guerres civiles en Afrique… les Etats-Unis d’Amérique sont le parrain d’Israël… que de crimes commis ouvertement soutenus par l’administration américaine !!!
Pour rappeler enfin que l’Amérique de l’Ambassadeur Larry André nous doit des explications. Il y a peu, notre compatriote Mohamedou Ould Sellahi publiait ses mémoires. Nous y apprenons qu’il a été transféré à bord d’un avion de la CIA le 28 novembre 2001 vers Amman (le jour de l’anniversaire de l’indépendance de son pays) où il devait subir des interrogatoires musclés pendant quelques mois. Puis, en juillet 2002, la CIA l’amènera à Bagram pour continuer sa salle besogne. Avant d’être emprisonné à Guantanamo, une résidence de non-droit où la première puissance maintient encore en détention de pauvres hères qui ne représentent aucune menace pour elle ou pour le Monde.
C’est à Guantanamo que Ould Sellahi subit les pires tortures sur ordre et après autorisation du ministre américain de la défense, le fameux Donald Rumsfeld, incarnation de ce qu’il y a de pire dans la logique impériale des Etats-Unis. On sait de quoi se compose le «plan d’interrogatoire spécial» de traitements inhumains comprenant le viol de l’intimité des prisonniers, l’obligation pour eux de pratiquer le sexe, ce qui est une façon de les amener à transgresser les interdits religieux… humiliations, tortures physiques et morales.
En mars 2005, Ould Sellahi rédige sa demande d’ordonnance d’habeas corpus pour se mettre sous la protection de la justice américaine. En juin 2008, la Cour Suprême des Etats-Unis reconnait ce droit. En mars 2010, le Juge Robertson ordonne la libération de Mohamedou Ould Sellahi. Mais le gouvernement américain trouve judicieux de faire appel avant de laisser trainer le recours… Mohamedou Ould Sellahi est toujours en prison à Guantanamo… L’instrumentalisation de la Justice n’est pas l’apanage des petits pays dirigés par des tyrans. Elle est aussi le fait de puissances démocratiques comme les Etats-Unis d’Amérique, le pays que représente Larry André.

Entre la naïveté d’un Volontaire du Corps de la Paix qui se croit investi d’une mission civilisatrice et celle d’un Ambassadeur d’une grande puissance, il y a toute une mutation à opérer pour donner l’image la meilleure de soi.

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