Nous
sommes le 12 décembre. Le représentant de l’Union européenne (UE) au Sahel,
Michel Reveyrant Dementhon, est en Mauritanie où il est reçu par les premiers
responsables du pays. Au sujet de l’arrestation de Biram Ould Dah Ould Abeid,
l’émissaire européenne déclare à la presse : «En tant qu’Européens,
nous trouvons un peu bizarre qu’un homme politique puisse être incarcéré
quelque soit ce qui s’est passé. Mais on peut aussi comprendre le type de
raisonnement des autorités mauritaniennes qui disent que la société
mauritanienne est complexe, il y a des tensions ouvertes et qu’il ne faut pas
jouer avec le feu». Avant de préciser que l’intéressé «est un homme
politique mauritanien d’abord qui défend un certain nombre d’idées et prend position
sur certains sujets et il a sa stratégie logique que nous respectons. Mais lorsque
la société civile devient des acteurs politiques (sic), c’est
toujours un sujet délicat pour la Communauté internationale, parce qu’on a
envie de continuer de travailler avec elle vu qu’elle remplit des fonctions
sociales tout à fait importantes notamment dans les pays du Sahel dont fait
partie la Mauritanie». Pour finir en insistant : «La priorité
aujourd’hui, c’est que le cours de la Justice soit respecté, que les choses
avancent comme il se doit dans un cadre légal».
Cette
attitude «compréhensive» est vite éclipsée quelques jours plus tard avec
d’abord le déroulement d’un round du dialogue politique entre l’UE représentée
par les Ambassadeurs des pays présents à Nouakchott et le Gouvernement
mauritanien dirigé par son Premier ministre Yahya Ould Hademine.
La
séance est certes l’occasion de faire le tour des questions de coopération, les
ministres concernées par les secteurs d’intervention de l’UE sont présents.
Mais le point d’orgue des discussions va tourner autour de l’Accord de pêche en
fin de validité. La position mauritanienne est réitérée : le Protocole
signé le 31 juillet 2012 pour deux ans aurait pu être reconduit tel quel ou en
y ajoutant les quelques amendements acceptés entretemps par les deux parties,
parce que sa non dénonciation par l’une ou l’autre des parties est l’expression
de la satisfaction de chacune d’elle. On rappellera que le dernier round des
négociations avait fait avancer les choses, ne laissant comme point
d’achoppement que le niveau de la compensation : 47 millions euros pour
les Européens, 67 pour les Mauritaniens.
Au
cours de cette réunion, il fut aussi question des Droits humains et surtout de
l’arrestation du président et des militants de l’IRA à Rosso. Pour la partie
mauritanienne, il s’agit simplement d’une affaire pendante devant la justice
pour troubles à l’ordre public… Mais les Européens ne l’entendaient pas
de cette oreille. Pour eux il s’agit bien d’une atteinte aux Droits
qu’il faut corriger au plus vite.
La
réunion se passait en même temps que se préparait à Strasbourg la motion votée
par le Parlement et demandant la libération immédiate de Biram Ould Dah Ould
Abeid et de ses compagnons.
Naturellement,
toutes ces démarches sont ressenties en Mauritanie comme une tentative de faire
plier le pays devant le négociateur européen. Surtout que la balle étant dans
le camp des Européens, ils tardent à réagir. Comme si on faisait un remake de
l’interminable aller-retour qui a accompagné l’adoption de l’Accord arrivant à
terme (2012-2013). Le travail des lobbies d’armateurs des deux parties
prenantes avait retardé sa ratification par le Parlement européenne.
Aujourd’hui,
la partie européenne espère pouvoir fléchir la position mauritanienne sur le
dossier de la pêche en instrumentalisant ce qu’elle estime être une défaillance
du pouvoir dans l’exigence du respect de la liberté d’expression et de
manifestation. Oubliant que la Mauritanie a une marge de manœuvre considérable
qui lui permet d’atténuer les effets négatifs de l’absence d’accord.
D’ailleurs, on ne trouve nulle trace de l’argent provenant de la pêche dans la
loi de finances en cours de validation. Comme en 2012, les autorités se sont
abstenues d’inscrire ce pactole et de compter là-dessus en termes de ressources
budgétaires. Un atout pour les Mauritaniens qui ont aussi fermé la porte aux
interférences politiques qui pesaient par le passé. L’Accord est un «objet
technique» qui doit répondre à un souci gagnant-gagnant, donc qui doit être
confié exclusivement à des techniciens capables d’en discuter les termes.
Que
ceux dont les intérêts sont touchés, en Mauritanie ou ailleurs, payent des
campagnes de presse pour dénaturer les enjeux réels, pour vilipender ou
déstabiliser les négociateurs mauritaniens, ne pèsera pas dans les décisions
européennes. Ces gens savent comment se passaient les négociations, qui en
profitait et quels usages politiques on en faisait.
Le
socle de valeurs qui fait l’essence du camp progressiste aujourd’hui – en Europe,
en Amérique, en Asie mais aussi en Afrique – est celui qui milite pour une
gestion équilibrée des ressources et pour un commerce équitable. Deux soucis
auxquels répond le dernier Protocole d’accord de pêche entre la Mauritanie et
l’Union Européenne. Deux fondements qu’il faut défendre.
Dans
quelques jours, se tiendront les assises de la première revue de la coopération
entre l’UE et notre pays. Comme cela se fait avec la Banque Mondiale et
d’autres partenaires techniques et financiers, il s’agira d’évaluer le volume,
la qualité, l’efficacité et les résultats de l’apport considérable de l’UE dans
l’effort de développement de la Mauritanie. L’occasion probablement aussi de
redéfinir la philosophie d’ensemble qui soutient cette coopération. Celle qui
fait du respect mutuel la base du traitement d’égal à égal.
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