Que
c’est dur d’apprendre la mort de quelqu’un, que c’est dur quand on apprend la
mort de quelqu’un qu’on aime… c’est encore plus dur quand on est loin de ceux
qui peuvent partager la douleur de l’instant…
Je
suis seul… non, pas seul parce que je suis dans un métro parisien à une heure
de forte affluence… si, je suis seul parce que personne de ce monde qui est là
ne peut m’être d’un secours quelconque… aucun ici ne peut me soutenir en ce
moment de faiblesse… aucun ne peut m’écouter tenter de résumer l’homme Ahmed
Ould Khoubah dont je viens d’apprendre la mort, le résumer en quelques mots qui
ne peuvent être dits que dans ma langue : «maa ‘alimna ‘alayhi min suu’in».
On
se rend compte combien sont utiles ces rassemblements qui suivent la perte de
quelqu’un et pendant lesquels on rivalise en discours oraisons, comme si l’on
découvrait les qualités de la personne à laquelle on n’a souvent rien reconnu
en son vivant. Quelqu’un me dira que le plus regrettable, c’est qu’on va dire d’Ahmed
ce qu’on dit des autres morts. Non ! ce n’est pas juste.
Ahmed
Ould Khoubah est l’un des premiers professeurs de mathématiques du pays. Jeune
contestataire, il a appartenu à la mouvance des Kadihines, ce mouvement de
gauche qui a marqué les années soixante et soixante-dix. Un avatar du mai 68
français. A l’époque où l’on ne savait pas encore que «le marxisme n’est qu’une
autre façon d’occidentaliser le Tiers-Monde» (selon les termes de Claude Lévi-Strauss).
La mondialisation a connu ici l’une de ses expressions.
Pour
dire que Ahmed Ould Khoubah a marqué l’esprit de deux générations de
Mauritaniens : celle qui est la sienne et celle qui avait fini par les
voir en modèles. Je fais partie de la dernière, celle qui a vu les Kadihines se
compromettre un à un et renier toutes les valeurs pour lesquelles ils avaient
pourtant emballé des pans entiers de la société.
Contrairement
à la plupart – pour ne pas dire tous ceux qui ont été aux affaires -, Ahmed
Ould Khoubah a tenu malgré les coups du temps, malgré les tendances des «camarades»,
malgré les déviances sociétales… Il est resté Ahmed Ould Khoubah, un être rare
pour ne pas dire unique : chaque homme peut être unique, mais rares sont
ceux qui sont …rares.
Mes
larmes ce jour-là pouvaient couler à la porte de la Gare de l’Est… Avec la
perte de Ahmed Ould Khoubah, je perdais une inspiration, pas seulement un
proche. Et comme j’étais loin, je n’avais d’autre consolation que celle-là…
Inna liLlahi wa inna ilayhi raji’oune.
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