«Mauritanie
Perspectives» est un think thank qui regroupe des cadres, hauts fonctionnaires,
des chercheurs, des hommes d’affaires, représentant le kaléidoscope mauritanien.
Après s’être enfermée dans une logique de cercle de réflexion autour de la
stratégie de lutte contre la pauvreté, l’association tente de s’ouvrir aux sujets
d’information qui pourraient intéresser le grand public et pas seulement un
cercle de bien-pensants «semi-officiels». Elle a donc lancé «les mercredis de
Mauritanie Perspectives». Le dernier mercredi du mois, l’association invite un
public intéressé (et intéressant) et le met en face de chercheurs pour parler d’un
sujet donné, d’artistes créateurs, d’acteurs sociaux pour exposer leurs visions
du monde. Un espace d’échange…
Ce
mercredi (29/8), les intervenants invités étaient : Jérôme Pigné,
doctorant travaillant sur la problématique de la coopération internationale et
particulièrement européenne (UE) en matière de lutte contre le terrorisme, et
Ferdous Bouhlel, doctorante aussi travaillant sur les communautés du Nord du
Mali et l’Islam réformé. Il est en début de mission. Elle est en fin de mission
parce qu’elle se met à la rédaction d’une thèse qui lui a demandé trois ans de
présence sur le terrain. L’intérêt était de confronter l’avis d’un chercheur
qui débute et qui travaille sur le terrorisme islamique en zone sahélienne dans
une perspective européenne, à celui d’un chercheur qui finit son travail de
terrain.
Jérôme
Pigné prépare sa thèse sous la direction de notre compatriote Dr Mouhamed
Mahmoud Ould Mohamedou, ancien ministre des affaires étrangères, directeur du
Programme sur le Moyen-Orient et Afrique du Nord au Centre pour la politique
sécuritaire de Genève et Professeur à l’Institut universitaire des hautes
études internationales à Genève.
Son
travail consiste à travailler sur la coopération face au phénomène AQMI, entre
les pays de l’Union européenne (UE) et les pays du champ, et entre les
institutions de l’UE en tant qu’acteur global (sic) dans la confrontation qui
se déroule au Sahel. L’européanisation de la lutte anti-terroriste est-elle
possible ? comment l’UE va-t-elle équilibrer l’approche sécuritaire avec
celle du développement des régions concernées ? en quoi ce qui se passe au
Sahel menace-t-il l’espace européen ? comment ressent-on cette menace ?
est-ce que la problématique de l’intégration de l’Islam dans les aires
européennes n’est pas une donnée qu’il faut prendre en compte ? comment l’UE
va-t-elle faire ? et par qui va-t-elle le faire ? quelles sont les
limites de la coopération en la matière ?
Autant
de questions auxquelles le travail de thèse tentera de répondre. Toujours est-il
que le développement de cette criminalité aux portes de l’Europe inquiète et ne
peut laisser indifférent.
Ferdous
Bouhlel quant à elle, a présenté quelques éléments du résultat de son travail
sur le terrain. Le phénomène AQMI occulte les vraies questions qui doivent être
débattues. En fait, toute cette évolution est le fruit, non pas de greffes
extérieures, mais d’une gestion endogène des affaires du Nord malien et de l’islamisation
progressive des communautés. La radicalisation des groupes salafistes est le
fruit d’une islamisation de la contestation historique et d’une reprise en
charge par les groupes islamistes locaux des revendications qui n’ont jamais
été satisfaites malgré quelques guerres, quelques rébellions et quelques
accords. La gestation de la crise a commencé bien avant, avec la
décolonisation, pour connaitre des moments de pointe et aboutir enfin à cette
rébellion qui a fini par mettre à genoux l’Etat malien.
La
conjugaison de facteurs intérieurs (mauvaise gouvernance de la question du
Nord) et extérieurs (l’influence du théâtre algérien et celle de la guerre en
Libye), a poussé vers le pire. Dans le cadre de ses travaux, Ferdous Bouhlel
avait dirigé une enquête (été 2011) sur la perception qu’avaient les
populations du Nord de l’Etat.
Cette
enquête a conclu au profond désarroi de ces populations. Frustrations,
délaissement, corruption des institutions de l’Etat, enlèvements, départs des
partenaires au développement, fractures communautaires exacerbées par l’Etat
central qui a favorisé la création de milices communautaires… Des milices qui vont
finir par couvrir et même organiser le trafic de drogue, d’armes et de
cigarettes. L’importance de ce trafic et des ressources qu’il générait
permettait d’acheter l’Etat et ses représentants. C’est ainsi que ces milices
se sont appropriées les structures de l’Etat et avec elles, la gestion de cette
partie du pays. Et si l’on parle de «Club ATT», c’est pour dire que le sommet
de l’Etat profitait largement des prébendes liées au trafic mais aussi à la
pression exercée sur les populations.
Les
unités spéciales créées dans le cadre des derniers accords entre la rébellion
et l’Etat malien, ces unités ont vite abandonné leur mission qui était celle de
pacifier le Nord et de protéger les populations pour être une source d’inquiétude
et une ponction de plus sur le peu de ressources qui existent. Appuyée par l’UE
et les partenaires au développement, la remilitarisation du Nord a été un échec
parce qu’elle n’a finalement signifié que la création de ces milices légales
communautaires : la milice touarègue, principalement composée par les
Imghad, a sévi à Kidal contre les Ifoghas ; celle arabe des Amhar a fait
de même avec les Kounta un peu plus au sud. Les deux milices ont vite pris le
contrôle du trafic de drogue et, fortes de leurs moyens, ont essayé de vider
des contentieux historiques liées à la vassalité vis-à-vis des anciens groupes
dominants, ajoutant au désarroi des populations locales.
Si
la rébellion des années 60 et 90 et même 2000 revendiquait la reconnaissance de
la spécificité culturelle d’un espace (tumast, culture touarègue), elle a
abouti au radicalisme de 2011-12 qui veut désormais un Etat indépendant qui
correspond à l’Azawad. Comme pour dire «nous avons vu l’Etat et nous n’en
voulons plus».
Comme
quoi le processus de désintégration du Mali est le fruit d’une évolution
intérieure et d’une incapacité de l’Etat malien, particulièrement durant l’exercice
du Président Amadou Toumani Touré (ATT) de prendre en charge les revendications
des populations d’une zone abandonnée à son sort par le pouvoir central.
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