Malgré
des relations sociales qui nous prédisposaient à aller l’un vers l’autre, ce
n’est qu’en 1995 que je rencontre le colonel Eli Ould Mohamed Val alors
Directeur général de la Sûreté. Ce qui ne m’a pas empêché de le percevoir comme
l’un des officiers sur lesquels on devait compter dans la réalisation du destin
du pays. Je le dis pour expliquer la relation bienveillante que j’entretenais
avec lui.
Eli
Ould Mohamed Val était perçu par l’aire politique et sociale à laquelle
j’appartenais, comme l’un des officiers politisés du pays, un officier qui
pouvait constituer un recours, le jour venu, dans le sauvetage de la situation
qui était appelée à se détériorer fatalement.
Nous
croyions alors que certains officiers étaient plus aptes, mieux disposés que
d’autres à risquer pour le bien du pays. Eli Ould Mohamed Val comptait bien parmi
ceux-là, ceux que nous qualifions pompeusement de «Modernistes».
Dans
mes recherches sur lui et sur son parcours, une figure historique du Baath en
Mauritanie va m’apprendre que le surnom que la branche militaire du mouvement
lui donnait était … «Wul ‘Umayr», en hommage au prestigieux Emir du
Trarza, l’un des précurseurs du Nationalisme arabe en Mauritanie.
C’est
pourquoi, dans notre récit des évènements, nous allions lui donner un rôle
central dans le changement de décembre 1984. Et c’est pourquoi nous nous
considérions ses obligés quand le régime de Maawiya Ould Taya commença à se
durcir.
En
avril 1995, je revenais de France où j’avais obtenu une interview de feu Moktar
Ould Daddah qui avait rompu le silence depuis peu. J’ai été contacté par un
homme d’affaires auquel pourtant rien ne me liait, pour me dire qu’il me
demandait de rencontrer le colonel Eli Ould Mohamed Val. J’étais surpris par la
démarche, la personne en question n’étant pas le meilleur canal par lequel le
DGSN devait passer pour me solliciter.
Sentant
mes réticences, l’intermédiaire me dit : «Ecoute, j’ai eu l’information
selon laquelle tu es resté quelques jours avec Moktar Ould Daddah. Tu aurais eu
accès aux mémoires en préparation et je l’ai dit au colonel en lui proposant de
te voir…»
L’homme
appelle et me dit que je suis attendu à 18 heures. Ce sera l’unique fois où je
prendrai un thé dans la maison de Ould Mohamed Val. La rencontre me permit de
lui tenir le discours suivant :
«Je
ne sais pas qui vous a dit cette histoire de mémoires mais il n’en est rien. Je
me permets de vous signaler qu’il en va de tout ce qu’on vous rapporte. Je
profite donc de cette rencontre pour vous dire que j’appartiens à un état
d’esprit qui distingue entre ceux qui sont qualifiés de Modernistes et ceux qui
préfèrent l’immobilisme. Ceux-ci travaillent à l’isolement du Président Ould
Taya en lui faisant croire aux complots et en le convainquant que les
expressions légitimes d’un ras-le-bol général sont le fruit de la manipulation
des comploteurs. C’est pourquoi nous les combattons. Nous pouvons nous tromper
sur les autres, sur leur patriotisme, sur leur engagement, sur leur
détermination, sur leurs convictions démocratiques… mais c’est ce qui nous
reste parce que nous ne croyons pas à un changement de l’extérieur du système.
Colonel, nous croyons que vous faites partie de ces gens qu’il est de notre
devoir de soutenir et de défendre, les ennemis essayant de les déstabiliser par
tous les moyens. On n’en attend rien.»
Très
rapidement la discussion a pris un tournant autre, le colonel m’amenant à
parler des derniers écrits ayant attiré mon attention. Je venais de lire des
textes du philosophe français Michel Omfray. De quoi animer le temps d’un thé.
J’en
sortis conforté dans l’idée qu’il s’agissait là d’un homme d’Etat qui méritait
d’être protégé contre les campagnes de protagonistes de plus en plus insidieux
et toujours dangereux. A plusieurs reprises, j’eus l’occasion de lui faire la
preuve de mon soutien contre les protagonistes embusqués.
La
douzaine de jours de jours que je suis resté entre les mains de la police
politique en avril 2002, me confortèrent dans ma conviction : le colonel
Eli Ould Mohamed Val était bien la cible de combines qui visait à le
disqualifier en suggérant qu’il était une menace pour le système Ould Taya.
Le
9 juin 2003, c’est vers le colonel Eli Ould Mohamed Val que je me tourne.
D’abord pour le féliciter. Ensuite pour lui dire que c’est cette situation que
nous craignons : une sédition d’un groupe, bravant la hiérarchie et tirant
dans le tas pour tenter de renverser le pouvoir. Je le quitte avec la
conviction qu’il comptera dans le dispositif d’après Ould Taya.
Ma
conviction était si forte que, le 3 août 2005, quand mes confrères de RFI
m’appellent alors que j’étais à Akjoujt revenant d’Atar, je leur dis sans
hésiter : «Le coup a été préparé et exécuté par deux jeunes
colonels : Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazwani, mais ils
seront obligés de faire appel au colonel Eli Ould Mohamed Val pour diriger le
pouvoir…» Cet entretien a commencé à être diffusé à 7 heures du matin ce 3 août
alors qu’à Nouakchott, la rumeur d’une tentative avortée était encore accréditée.
Mais
dès qu’on m’a dit que ce sont les éléments de la Sécurité présidentielle qui
tiennent la ville, j’étais sûr que le colonel Ould Abdel Aziz avait décidé de
passer le rubicond. Qui dit Ould Abdel Aziz dit nécessairement Ould Ghazwani,
les deux hommes étant liés au point de devenir inséparables. J’en déduisais que
la jeunesse des deux hommes devait les empêcher d’exercer eux-mêmes le pouvoir.
Surtout qu’ils avaient besoin de rassurer et de ne pas bousculer la hiérarchie,
pour mener à bien le changement qu’ils envisageaient. L’unique solution qui
s’offre alors est de se tourner vers le colonel Eli Ould Mohamed Val qui avait
une envergure et une aura lui permettant d’unir et de rassurer.
Quelques
semaines après son arrivée à la présidence, un ami commun m’appela pour me dire
que le Président lui avait dit qu’il me recevait à 11 heures dans son bureau.
La première fois que j’entrais dans les lieux.
Je
lui faisais remarquer que les premières nominations à la Présidence inquiétaient
plutôt pour la suite. Je n’eus pas besoin d’expliquer parce que le Président ne
m’attendait pas sur ce sujet. Il parlait très bas. Je compris cependant qu’il
n’avait rien à me dire de particulier et qu’il attendait de moi des
sollicitations. Je me permis quand même de faire un bref exposé de mes
espérances pour la Mauritanie, notamment sur les dossiers qui peuvent être
définitivement réglés pendant la transition annoncée. Particulièrement le
dossier du passif humanitaire, celui de l’éducation et de la refondation de
l’Etat mauritanien. A mon avis, une transition peut servir à apurer tous les
passifs et à bousculer les présupposés.
J’eus
le temps de lui dire combien j’étais personnellement heureux que ce soit lui
qui arrive au pouvoir, ce qui lui permettait de se rendre compte par lui-même
que ma relation avec lui a toujours été saine et que rien n’est sorti de ce
qu’on se disait.
J’ai
naturellement accompagné la transition de 2005-2007. Apportant un bémol suite à
l’appel au vote blanc. C’est peut-être le point de départ d’une profonde
divergence qui est cependant restée au niveau de l’appréciation politique d’une
situation donnée.
Je
célébrais le plus jeune officier de la classe du Comité militaire de Salut
national (déjà), remettant le pouvoir au premier Président régulièrement élu en
mars 2007. Et je continuais à apprécier avec bienveillance l’homme qui a fait
partie des symboles de ce pays. Parce que le temps passé a fait de moi un
frère, du moins un élément de la famille. C’est comme cela que j’explique cette
grande affection que je voue à Saleck, à Ahmed que je connais pourtant peu,
mais aussi à Ahmed Baba, à Bezeyd, à toute la famille Ehl Deyda que je connais
beaucoup mieux… Une affection qui m’envahit à l’évocation de Eli et qui me rend
triste. Profondément triste…
A
Oum Kalthoum, aux enfants, à la grande famille, aux amis qui m’ont permis de
connaitre l’homme dans sa vérité d’homme de culture, d’homme de consensus,
d’homme d’envergure et de relations, à Mohamed Ould Bouamatou, Ahmed Ould
Hamza, Baba Ould Sidi Abdalla… à tous les Mauritaniens, je présente mes
condoléances les plus attristées.
Nous
sommes à Allah et à Lui nous revenons.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire