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mercredi 10 mai 2017

Témoignage (tout à fait) personnel

Malgré des relations sociales qui nous prédisposaient à aller l’un vers l’autre, ce n’est qu’en 1995 que je rencontre le colonel Eli Ould Mohamed Val alors Directeur général de la Sûreté. Ce qui ne m’a pas empêché de le percevoir comme l’un des officiers sur lesquels on devait compter dans la réalisation du destin du pays. Je le dis pour expliquer la relation bienveillante que j’entretenais avec lui.
Eli Ould Mohamed Val était perçu par l’aire politique et sociale à laquelle j’appartenais, comme l’un des officiers politisés du pays, un officier qui pouvait constituer un recours, le jour venu, dans le sauvetage de la situation qui était appelée à se détériorer fatalement.
Nous croyions alors que certains officiers étaient plus aptes, mieux disposés que d’autres à risquer pour le bien du pays. Eli Ould Mohamed Val comptait bien parmi ceux-là, ceux que nous qualifions pompeusement de «Modernistes».
Dans mes recherches sur lui et sur son parcours, une figure historique du Baath en Mauritanie va m’apprendre que le surnom que la branche militaire du mouvement lui donnait était … «Wul ‘Umayr», en hommage au prestigieux Emir du Trarza, l’un des précurseurs du Nationalisme arabe en Mauritanie.
C’est pourquoi, dans notre récit des évènements, nous allions lui donner un rôle central dans le changement de décembre 1984. Et c’est pourquoi nous nous considérions ses obligés quand le régime de Maawiya Ould Taya commença à se durcir.
En avril 1995, je revenais de France où j’avais obtenu une interview de feu Moktar Ould Daddah qui avait rompu le silence depuis peu. J’ai été contacté par un homme d’affaires auquel pourtant rien ne me liait, pour me dire qu’il me demandait de rencontrer le colonel Eli Ould Mohamed Val. J’étais surpris par la démarche, la personne en question n’étant pas le meilleur canal par lequel le DGSN devait passer pour me solliciter.
Sentant mes réticences, l’intermédiaire me dit : «Ecoute, j’ai eu l’information selon laquelle tu es resté quelques jours avec Moktar Ould Daddah. Tu aurais eu accès aux mémoires en préparation et je l’ai dit au colonel en lui proposant de te voir…»
L’homme appelle et me dit que je suis attendu à 18 heures. Ce sera l’unique fois où je prendrai un thé dans la maison de Ould Mohamed Val. La rencontre me permit de lui tenir le discours suivant :
«Je ne sais pas qui vous a dit cette histoire de mémoires mais il n’en est rien. Je me permets de vous signaler qu’il en va de tout ce qu’on vous rapporte. Je profite donc de cette rencontre pour vous dire que j’appartiens à un état d’esprit qui distingue entre ceux qui sont qualifiés de Modernistes et ceux qui préfèrent l’immobilisme. Ceux-ci travaillent à l’isolement du Président Ould Taya en lui faisant croire aux complots et en le convainquant que les expressions légitimes d’un ras-le-bol général sont le fruit de la manipulation des comploteurs. C’est pourquoi nous les combattons. Nous pouvons nous tromper sur les autres, sur leur patriotisme, sur leur engagement, sur leur détermination, sur leurs convictions démocratiques… mais c’est ce qui nous reste parce que nous ne croyons pas à un changement de l’extérieur du système. Colonel, nous croyons que vous faites partie de ces gens qu’il est de notre devoir de soutenir et de défendre, les ennemis essayant de les déstabiliser par tous les moyens. On n’en attend rien.»
Très rapidement la discussion a pris un tournant autre, le colonel m’amenant à parler des derniers écrits ayant attiré mon attention. Je venais de lire des textes du philosophe français Michel Omfray. De quoi animer le temps d’un thé.
J’en sortis conforté dans l’idée qu’il s’agissait là d’un homme d’Etat qui méritait d’être protégé contre les campagnes de protagonistes de plus en plus insidieux et toujours dangereux. A plusieurs reprises, j’eus l’occasion de lui faire la preuve de mon soutien contre les protagonistes embusqués.
La douzaine de jours de jours que je suis resté entre les mains de la police politique en avril 2002, me confortèrent dans ma conviction : le colonel Eli Ould Mohamed Val était bien la cible de combines qui visait à le disqualifier en suggérant qu’il était une menace pour le système Ould Taya.
Le 9 juin 2003, c’est vers le colonel Eli Ould Mohamed Val que je me tourne. D’abord pour le féliciter. Ensuite pour lui dire que c’est cette situation que nous craignons : une sédition d’un groupe, bravant la hiérarchie et tirant dans le tas pour tenter de renverser le pouvoir. Je le quitte avec la conviction qu’il comptera dans le dispositif d’après Ould Taya.
Ma conviction était si forte que, le 3 août 2005, quand mes confrères de RFI m’appellent alors que j’étais à Akjoujt revenant d’Atar, je leur dis sans hésiter : «Le coup a été préparé et exécuté par deux jeunes colonels : Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazwani, mais ils seront obligés de faire appel au colonel Eli Ould Mohamed Val pour diriger le pouvoir…» Cet entretien a commencé à être diffusé à 7 heures du matin ce 3 août alors qu’à Nouakchott, la rumeur d’une tentative avortée était encore accréditée.
Mais dès qu’on m’a dit que ce sont les éléments de la Sécurité présidentielle qui tiennent la ville, j’étais sûr que le colonel Ould Abdel Aziz avait décidé de passer le rubicond. Qui dit Ould Abdel Aziz dit nécessairement Ould Ghazwani, les deux hommes étant liés au point de devenir inséparables. J’en déduisais que la jeunesse des deux hommes devait les empêcher d’exercer eux-mêmes le pouvoir. Surtout qu’ils avaient besoin de rassurer et de ne pas bousculer la hiérarchie, pour mener à bien le changement qu’ils envisageaient. L’unique solution qui s’offre alors est de se tourner vers le colonel Eli Ould Mohamed Val qui avait une envergure et une aura lui permettant d’unir et de rassurer.
Quelques semaines après son arrivée à la présidence, un ami commun m’appela pour me dire que le Président lui avait dit qu’il me recevait à 11 heures dans son bureau. La première fois que j’entrais dans les lieux.
Je lui faisais remarquer que les premières nominations à la Présidence inquiétaient plutôt pour la suite. Je n’eus pas besoin d’expliquer parce que le Président ne m’attendait pas sur ce sujet. Il parlait très bas. Je compris cependant qu’il n’avait rien à me dire de particulier et qu’il attendait de moi des sollicitations. Je me permis quand même de faire un bref exposé de mes espérances pour la Mauritanie, notamment sur les dossiers qui peuvent être définitivement réglés pendant la transition annoncée. Particulièrement le dossier du passif humanitaire, celui de l’éducation et de la refondation de l’Etat mauritanien. A mon avis, une transition peut servir à apurer tous les passifs et à bousculer les présupposés.
J’eus le temps de lui dire combien j’étais personnellement heureux que ce soit lui qui arrive au pouvoir, ce qui lui permettait de se rendre compte par lui-même que ma relation avec lui a toujours été saine et que rien n’est sorti de ce qu’on se disait.
J’ai naturellement accompagné la transition de 2005-2007. Apportant un bémol suite à l’appel au vote blanc. C’est peut-être le point de départ d’une profonde divergence qui est cependant restée au niveau de l’appréciation politique d’une situation donnée.
Je célébrais le plus jeune officier de la classe du Comité militaire de Salut national (déjà), remettant le pouvoir au premier Président régulièrement élu en mars 2007. Et je continuais à apprécier avec bienveillance l’homme qui a fait partie des symboles de ce pays. Parce que le temps passé a fait de moi un frère, du moins un élément de la famille. C’est comme cela que j’explique cette grande affection que je voue à Saleck, à Ahmed que je connais pourtant peu, mais aussi à Ahmed Baba, à Bezeyd, à toute la famille Ehl Deyda que je connais beaucoup mieux… Une affection qui m’envahit à l’évocation de Eli et qui me rend triste. Profondément triste…
A Oum Kalthoum, aux enfants, à la grande famille, aux amis qui m’ont permis de connaitre l’homme dans sa vérité d’homme de culture, d’homme de consensus, d’homme d’envergure et de relations, à Mohamed Ould Bouamatou, Ahmed Ould Hamza, Baba Ould Sidi Abdalla… à tous les Mauritaniens, je présente mes condoléances les plus attristées.

Nous sommes à Allah et à Lui nous revenons.  

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