Une
discussion avec mon ami Mohameden qui me fait une lecture de l’évolution
sociopolitique de la région de Mederdra. Quelques grands facteurs de
transformation (dont on ne citera qu’un) et un élément fondamentalement «perturbateur».
Le
facteur déterminant a été celui de la création de l’Etat moderne. Cette
création s’est faite sur les ruines de l’ordre traditionnel que l’Emirat
représentait. La proximité de la capitale du nouvel Etat a fait que la
naissance de l’un signifiait nécessairement la mort de l’autre.
«Ne
vous étonnez point si les leviers tribaux sont encore plus efficacement
utilisés ailleurs. Les habitants de ces régions ont tout cédé au Pouvoir
central de l’époque. Ce qui subsiste aujourd’hui n’est qu’une tentative de
résurgence du fait tribal pour faire comme les autres».
Est
venu s’ajouter à cela les effets de la forte scolarisation dans tous les
milieux. «La scolarisation a eu deux conséquences principales : la
fonctionnarisation des cadres et l’émancipation des couches laborieuses».
Tous
les diplômés ont pris pour modèle les premiers fonctionnaires de leur
environnement. C’est ainsi que toutes les familles, ou presque, comptent
aujourd’hui des salariés parmi elles. Si dans le temps, les campements vivaient
des revenus du commerce pratiqué par les hommes partis au Sénégal et dans les
villes naissantes, on ne compte plus que sur le salaire d’un ou plusieurs
membres de la famille.
Esclaves,
tributaires et suivants se sont massivement libérés de l’autorité
traditionnelle. Cette libération a pris très souvent la forme d’un abandon pur
et simple de l’activité qui vous affectait le statut qui est le vôtre. Ceux qui
travaillaient la terre ont abandonné les champs tout comme ceux qui gardaient
les troupeaux, ceux qui forgeaient, ceux qui foraient, ceux qui tissaient…
chacun a abandonné cette profession qui le maintenait dans une situation
d’exploité.
L’abandon
massif des secteurs traditionnels de production et la fonctionnarisation des
nouvelles élites ont créé une mentalité d’assistés qui a été aggravée par
l’utilisation de la politique comme source de revenus. Depuis plus de trois
décennies, faire la politique est devenu payant. Pour ce qu’elle
rapporte sans demander une quelconque aptitude.
Vint
la sécheresse. Le premier cycle affectant la région du sud-ouest est celui de
1968. Un jour de septembre de cette année-là, plus rien n’existait. Bergers et
cheptels survivants avaient fui plus à l’est, à la frontière du Trarza et du
Brakna. «’Aam Breykilli», du nom de ce puits vers lequel se dirigeront
les bêtes et les hommes pour y trouver quelques pâturages de subsistance. Cette
année noire marque encore les esprits dans la région de Mederdra. Puis se
succédèrent la sécheresse des années 70 et celle des années 80. A chaque fois,
mouraient plus de bêtes provoquant la pauvreté de nouvelles populations, puis
leur exode vers les centres urbains les plus proches.
Des
villages, des parcours, des puits furent abandonnés pour les bidonvilles de
Mederdra, de Rosso, de Nouakchott… Tous les prétextes étaient bons pour quitter
sans donner l’impression qu’on fuyait. A la fin des années 70 et au début des
années 80, le prétexte principal était de suivre les filles admises au concours
d’entrée en sixième et qui devaient donc aller dans les collèges puis les
lycées. A chaque étape son lot de migrants forcés.
«Ceux
qui sont restés sont soit ceux qui n’ont aucun moyen d’aller, soit ceux dont l’attachement
à la terre était très fort». Les premiers préféraient leurs cantonnements
où le niveau de vie – si l’on peut parler de niveau de vie – leur permettait de
répondre plus ou moins aux exigences de la survie. Les seconds préféraient
mourir dans le terroir hérité plutôt que de grossir le rang des mendiants dans
les villes. En fait, tous survivaient grâce à l’assistance de l’Etat et/ou de
membres de la famille partis travailler en ville.
«Vous
remarquerez que les villages ayant survécu à ces époques sombres sont
aujourd’hui perdus au milieu des dunes, d’un océan de sable qui semble les
recouvrir inexorablement. C’est bien parce que les habitants, véritables
survivants de ces époques, ne manifestent aucune velléité à transformer, à
influer sur la nature qui les entoure…» Aucune tentative de reboisement,
aucune culture, aucun effort pour produire…
«Nous
en sommes là. A attendre que la pluie tombe, que l’Etat déclenche de nouveaux
programmes d’urgence, qu’un fils ou un cousin se rappelle notre existence…»
Fataliste, mon ami occulte le dynamisme social impulsé
par l’aspiration des uns à sortir de leurs conditions, des autres à maintenir
leurs positions. Ce qui oblige les uns et les autres à se surpasser… et à la
société d’évoluer.
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