B.B.
King est mort à l’âge de 89 ans. Riley B. King, de son vrai nom a régné en
maitre absolu sur la scène musicale depuis la fin des années 40. Il est resté
le Roi du Blues. Incontesté, incontestable.
A
la fin des années 70, le jeune lycéen que j’étais découvrait le blues comme
genre de musique en même temps qu’il récitait Baudelaire et qu’il s’émerveillait
devant les sonnets décrivant cet «esprit gémissant en proie aux longs ennuis»,
tanguant entre Spleen et Idéal. Une tragédie intime qui nous initiait à l’humaine
condition en nous proposant de partager la douleur exprimée de la plus belle
des manières : l’art poétique.
Quelqu’un
nous offrait une vieille cassette de variétés américaines. Il y avait là notamment
une interview de Marvin Gaye sur Motown, la célèbre maison de disques
américaine. Il y avait aussi une ou deux chansons d’Aretha Franklin, d’Etta
James, de James Brown qui nous était beaucoup plus connu et de B.B. King dont
on n’avait jamais entendu parler.
Nous
étions une bande de copains d’études que tout art émerveillait. On baignait
encore dans une adolescence qui nous empêchait d’entrer carrément dans le cycle
de la maturité. La musique, la poésie, la lecture, le théâtre étaient pour
nous, plus que des moyens d’évasion, des armes de résistance. Résistance à la
langueur qui commençait déjà à déployer sa chape. Résistance au reflux des
idéaux humanistes qui s’annonçait déjà. Résistance à l’obscurantisme qui s’exprimait
déjà dans les velléités à vouloir imposer à tous SA VERITE. Résistance à l’ennui
qui détruisait toute volonté de se libérer des pesanteurs sociales, de s’émanciper
des carcans iniques.
On
apprenait que cette musique qui a donné le Jazz et même le rock’n’ roll, que le
blues, contraction de blue devils (diables bleus) était né de la
souffrance des noirs aux Etats-Unis d’Amérique. Qu’il avait quelques
enracinements profonds en Afrique. On commençait à lui trouver des parentés
avec le k’haal karr de la musique Bidhâne. Et quand on revenait aux
gospels, à ce qu’ils comportent d’inspirations
religieuses, on rappelait dans nos discussions que le k’haal karr est
consacré aux panégyriques dédiés à la gloire du Prophète Mohammad (PSL). Qu’en
général, les mots sont composés de telle manière à exprimer en même temps la
vanité de la condition humaine, le regret de ne pas avoir vécu en ces temps de
sublimation où le Prophète (PSL) existait, la misère de la vie ici bas… Ecouter
le k’haal karr vous procure une peine intense, c’est un peu «avoir le
blues». Ce n’est pas par hasard que le medih (louanges au Prophète,
PSL) soit devenu l’art de prédilection de la communauté haratine. Comme les
gospels, il redonnait espoir face au dur labeur quotidien.
Nous
apprenons que comme beaucoup de nos
artistes musiciens, B.B. King avait donné un nom à sa guitare qu’il appelait Lucille,
un nom et une histoire. En 1949, l’artiste naissant se produisait dans un bar
quand une bagarre éclate entre deux hommes. La bagarre est si forte qu’un
incendie éclate. Dans la précipitation, B.B. King fuit comme tous les autres le
lieu en feu. Il se rend compte qu’il a oublié sa guitare qui est sa raison de
vivre. Il défie alors les flammes qui détruisent tout et réussit à sauver le
plus cher des objets pour lui. Quand il apprend que la bagarre a été provoquée
par un sentiment de jalousie autour d’une femme nommée Lucille, il
décide de donner le nom à la chose qu’il aime le plus : sa guitare.
Le
«Blues boy» vient de nous quitter. Il restera parmi nous, tant qu’on
soufflera les airs : The thrill has gone, Everyday I have the blues,
Rock me baby, Sweet sixteen ou Lucille.
Les
17 Grammy Award qu’il a obtenus en font certes l’artiste le plus distingué de
tous les temps, mais ils ne récompensent pas l’immense talent de B.B. King.
Adieu l’artiste !
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