Que Moustapha Ould Bedredine critique vertement feu Moktar Ould Daddah,
premier président du pays, surnommé affectueusement «Père de la Nation»,
rien de surprenant à cela. Il n’a fait qu’exprimer une vieille position,
largement partagée au sein de son groupe politique. On ne peut donc lui
reprocher de reprendre la même rengaine qui a fini par prendre l’allure d’un
positionnement dogmatique. Même s’il est vrai que la manière et les mots
choisis peuvent avoir choqué les plus jeunes, ceux qui n’ont jamais entendu ces
critiques formulées et pour lesquels la personnalité de Moktar Ould Daddah
relève du domaine du sacré. Il est vrai aussi que «le Timonier» ne
faisant rien par hasard pour certains, ceux-là y ont vu quelque tentative de
relance en cette période creuse qui semble annoncer quand même quelques
revirements inattendus.
Ce que par contre on peut reprocher à ce militant inusable, c’est l’absence
de mise à jour de son système d’évaluation, de ses informations. La mise à
jour, si elle n’est pas faite, corrompt nécessairement le système et diminue
considérablement ses compétences et sa mémoire. Elle affecte inévitablement son
système immunitaire. Mais qu’est-ce que la mise à jour ici ?
Il faut supposer que tout un chacun de nous est avide de savoir tout –
sinon le plus – sur l’histoire de la Mauritanie. Et parce qu’on ne peut – on ne
veut – du passé lointain qui finit par être une objection de conscience à ceux
parmi nous qui ont construit leurs combats sur le communautarisme (sans ancrage
historique), sur les «identités
meurtrières» qui n’ont jamais eu d’expression dans cet espace qui finira
par s’appeler la Mauritanie, nous avons fini par choisir de nous en tenir à
l’histoire récente qui mérite elle aussi d’être connue. Des hommes comme Moustapha
Ould Bedredine sont des témoins privilégiés de l’évolution politique qui a
précédé et accompagné l’indépendance. Ses compétences d’enseignant sont évidentes
dans sa manière de faire le récit et de capter l’intérêt du public.
Mais peut-on croire que Ould Bedredine n’a pas lu les mémoires de Charles
de Gaule ou les verbatim repris par ses plus proches collaborateurs ? Dans
ce qui est relaté par les responsables français de l’époque, le jugement sur la
Mauritanie et sur son jeune gouvernement est clair : voilà un pays créé
par la seule volonté de la Métropole dont le gouvernement s’évertue à prendre
le contrepied de toutes les politiques préconisées par la France. Que ce soit
sur l’Algérie, sur la Palestine, sur les organisations promues par la France
(OCAM notamment), sur les mouvements africains de libération… sur tout, la
Mauritanie de Moktar Ould Daddah s’est retrouvée immédiatement dans le camp qui
faisait face à la France. Le renoncement, dès les premières années de
l’indépendance, à la subvention budgétaire accordée par la France, n’est que
l’expression de cette volonté d’indépendance.
Moktar Ould Daddah est certes un choix du colon, mais il a très tôt pris
ses distances avant de rompre carrément et de devenir l’un des présidents
africains qualifiés de «progressistes».
Pour ses choix pour son pays : révision des accords de défense avec la
France, création de la monnaie nationale, nationalisation des ressources (fer
et cuivre), instauration de l’Arabe comme langue officielle…, la fameuse
trilogie des indépendances (indépendance politique, indépendance économique,
indépendance culturelle). Ce qui a pour résultat pour le pays quelques années
de rayonnement à l’extérieur et de ferveur unitaire à l’intérieur.
Nous sommes loin de la propagande d’un mouvement politique opposant qui
mettait en avant – et c’est légitime – le caractère «donné» de l’indépendance nationale et qui dénonçait les liens
supposés – on le saura plus tard – avec l’ancienne puissance coloniale. Les
révélations des vrais acteurs, ceux qui étaient aux commandes en ce moment-là,
sont là pour le confirmer : Moktar Ould Daddah a cru à une Mauritanie
possible, et avec lui de nombreux autres fils du pays y ont cru. Les uns
acceptant de le soutenir, les autres le poussant à plus de combativité dans sa
volonté d’indépendance.
Ce qu’on peut reprocher à
Moustapha Ould Bedredine, ce n’est pas d’exprimer un positionnement vis-à-vis
d’un dirigeant avec lequel il n’a jamais pu ou su établir un rapport de
confiance et qui est resté pour lui le premier responsable des premiers
déboires de la jeune République (événements de 66, événements de Zouérate en
1968, répression du mouvement des Kadihines…), mais de l’exprimer sans nuance, sans
mesure et finalement avec tout le parti pris qui correspond à la période. Comme
si la connaissance des réalités des choses ne s’est pas étoffée depuis. Comme
si les lectures sont restées en l’état où elles étaient quand le foisonnement
constructif des deux premières décennies contribuait à forger la réalité d’une
Nation humble, digne, forte, authentique et ouverte.
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